Ecrit en novembre ou décembre 1999
Après le plein-emploi
L’article ci-dessous est largement emprunté aux propos tenus par Jean Paul Fitoussi, président de l’OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques)
« La France a dépassé le cap du million de chômeurs dans les années 1970, des deux millions dans les années 1980, des trois millions dans les années 1990. Cette inexorable montée du chômage en notre pays a conduit à bannir du vocabulaire le terme de plein emploi » dit-il « Chaque étape franchie affaiblissait l’espoir, réduisait la confiance en la politique économique, conduisait à la résignation, au point que la société de plein emploi n’apparaissait plus que comme une figure du passé, dont la modernité ne pouvait s’accommoder »
Fatalité ou incompétence
Selon M. Fitoussi, les discours sur la fin du travail se sont mis à abonder et à trouver audience « ils avaient le mérite d’inscrire le chômage dans une fatalité » . D’autres discours, plus techniques, parlaient d’une inadaptation structurelle d’une partie de la population, et stigmatisaient soit l’incompétence, soit la propension à l’assistanat de nombre de Français, propension servie par un système généreux de protection sociale.
« Mais voilà que deux années de baisse lente du chômage font renaître l’espoir. Les Français commencent à croire qu’après tout, le plein emploi n’est peut-être pas une chimère. Un tel espoir est-il fondé ? L’embellie des deux dernières années n’est-elle qu’une rémission ou au contraire une bifurcation vers une société de plein emploi ? »
Première erreur
Jean-Paul Fitoussi explique que, pendant des années, on a entendu dire que la croissance ne créait plus d’emplois . « D’une certaine façon, cette croyance était induite par la pensée économique dominante selon laquelle le chômage n’avait de causes que structurelles. Ainsi a-t-on légitimé le renoncement aux politiques de croissance qui a caractérisé les années 1990 » . Cela permettait de débarrasser l’économie française des éléments de « socialisme » hérités du pacte d’après guerre et progressivement intégrés au système pendant les « trente glorieuses »
Deuxième erreur
Aujourd’hui on dit que ce sont les évolutions démographiques qui, parce qu’elles réduisent la population active, permettront le retour au plein emploi. En clair, ce n’est pas la croissance qui permettra de réduire le chômage, mais la disparition d’un « excédent » de population.
« C’est une autre façon de dire que le chômage est naturel, puisqu’il résulterait d’une surproduction des hommes » : M. Fitoussi explique que ceci est une deuxième erreur.
La baisse de population engendre le chômage
M. Fitoussi interroge : les évolutions démographiques permettraient-elles de retrouver spontanément le plein emploi ? et il répond : « La baisse du nombre de personnes au travail signifie une baisse de la croissance économique : moins de jeunes couples, par exemple, signifie moins de construction de nouveaux logements, et probablement une baisse des prix de l’immobilier, moins d’achat de biens durables, etc. Dans ces secteurs, le nombre des emplois diminuerait et, de proche en proche, par effet de contagion, dans la plupart des autres secteurs de l’économie »
Ce qui veut dire que la baisse démographique, si elle faisait baisser le chômage de façon transitoire, ferait chuter la croissance, et recréerait le chômage. « Et, ce n’est que bon sens, le vieillissement d’une population n’est pas particulièrement une bonne nouvelle »
3 % de plus sans inflation
« Le taux de la croissance en un pays dépend essentiellement de deux facteurs : l’augmentation du nombre des personnes au travail - 12 personnes produisent davantage que 10 - et le progrès technique, qui fait que la production par travailleur a tendance à s’élever. Ce second facteur est évidemment la source principale de l’élévation du niveau de vie. Si chacun produit 3 % de plus, il peut en effet gagner 3 % de plus sans que l’économie ne connaisse de tensions inflationnistes »
Contraintes
Dans les courses avec handicap, les chevaux les plus performants sont lestés de poids supplémentaires qui les empêchent effectivement d’atteindre leur rythme le plus rapide. « On comprend aujourd’hui avec un peu de distance ce que l’on ne voulait point admettre avec obstination : un tel handicap a effectivement été imposé à l’économie française sous forme de taux d’intérêt anormalement élevés ».
Les chevaux débarrassés du poids artificiel qui leur était imposé retrouvent leur allure normale. « Ce ne sont pas les sacrifices d’hier qui expliquent les performances d’aujourd’hui, mais la disparition d’une contrainte artificielle. Eût-elle disparu plus tôt que le retour de la croissance eût été avancé »
Pour Jean-Paul Fitoussi « le plein emploi demain est subordonné à la poursuite de la croissance. » « Si l’annonce au retour d’une société de plein emploi est aujourd’hui plus crédible qu’hier, c’est qu’on ne voit plus pour quelles raisons on imposerait à l’économie française de nouveaux handicaps artificiels. »
Le mal-emploi
On peut même se mettre à rêver de l’après plein-emploi. Car l’économie française, comme la plupart des économies européennes, est caractérisée aujourd’hui à la fois par du chômage et du sous-emploi, qui, pour l’essentiel, est du mal-emploi. « Pour que ce dernier disparaisse, il faut que les emplois morcelés se transforment en emplois choisis, que le travail précaire voie son importance diminuer, que l’écart entre les compétences et la qualification des emplois se réduise, que les taux d’activité, singulièrement des » vieux « , augmentent » dit-il.
Freinages ...
Mais une société qui a besoin de tous ses citoyens pour produire est caractérisée par un autre rapport entre les forces sociales que celui du temps présent, un autre partage des revenus et des richesses. « Peut-être le seul obstacle au retour du plein-emploi est-il dans la capacité de certaines fractions de la société de s’opposer à cette évolution des rapports de forces que ce retour suppose » dit-il.
Ni chèvre ni chou
Ces propos, venus du Directeur de l’Observatoire Français des Conjonctures Economiques, vient de trouver un écho dans l’avis qu’a donné, le 14 décembre 1999, le Conseil Economique et Social, sous la Présidence de M. Jacques Dermagne (un ancien du Patronat). Celui-ci a souhaité que cet avis ne soit ni-chèvre-ni-chou, et fasse apparaître des convictions fortes et évite l’eau tiède.
Il a été entendu : le rapporteur du projet d’avis, Patrick Careil, président de la Banque Hervet accorde un satisfecit à la politique de Lionel Jospin, en attribuant le retour à la croissance « à une modification profonde de notre politique économique » c’est-Ã -dire à l’abandon de dogme de la monnaie forte et au soutien de la demande des ménages.
Chômage : la gestion des déchets
Du 27 janvier au 1er février 2000 s’est tenu le « sommet de l’économie » à Davos, rendez-vous des chefs d’Etat, économistes, chefs d’entreprise, et autres gourous de la finance et de la spéculation boursière.
On n’y a pas parlé, cette année, de création de valeurs et d’actionnaires, mais de « progrès social ».
Reste à savoir ce qu’on entend par là . Comme dit Marco Cattaneo (dans la Tribune de Genève), il fut question de savoir « comment traiter cette frange de la population que l’évolution laisse sur le bord de la route : c’est en somme une théorie du traitement des déchets ».
Première voie, préconisée par la Gauche : préserver à tout prix les emplois. « C’est une économie sans déchets visibles »
Deuxième voie, type libéralisme : on oublie les laissés-pour-compte. C’est en somme la mise en décharge des déchets
Troisième voie, qui semble avoir la faveur de Tony Blair (Angleterre) et Bill Clinton (Amérique) : « adapter la population aux nécessités du moment, par la formation » . C’est une économie de recyclage !
Cette dernière voie veut ADAPTER l’homme à l’économie, et non l’inverse. Dommage !
(d’après Philippe Thurea-Dangin , dans Courrier International du 3 février 2000)
Ecrit le 10 mai 2000 :
Contentez-vous de peu ... ou foutez le camp !
Quand il n’y a pas de boulot, les entreprises licencient les salariés, voire diminuent leurs salaires. Quand il y a du boulot, il devrait se produire le contraire. Tu parles, Charles !
Un exemple tout frais, tout chaud : le jeudi 4 mai 2000, les Chantiers de l’Atlantique, les industriels de la métallurgie et les professionnels du bâtiment ont signé une convention « de non-agression » (sic !) par laquelle les Chantiers s’engagent à recruter en priorité les candidats venant d’une autre région que celle des Pays de Loire. Tout ça « pour éviter une concurrence et une surenchère sur les salaires ».
On sait bien que les salariés qualifiés de Châteaubriant s’en vont travailler à St Nazaire, parce qu’ils y gagnent 1500 F de mieux par mois. Alors maintenant ils n’auront plus le droit ? Il faudra qu’ils restent sous-payés dans les entreprises locales ou qu’ils trouvent du boulot en dehors de la Région des Pays de Loire quitte à chercher un autre logement ? à augmenter leurs temps de déplacement et leurs frais ? Sans blague ! Au moment où on nous chante, en Europe, la nécessaire mobilité des salariés, la libre circulation des personnes et des travailleurs, il se trouve des patrons pour limiter arbitrairement les embauches, de façon à ne pas payer davantage leurs salariés ?
Une fois de plus la « mondialisation » et la « dérégulation » montrent leur vrai visage : celui de la régression sociale.