(écrit le 23 janvier 2002)
Casser un juge
Le juge Eric Halphen a annoncé lundi 14 janvier 2002, dans une interview au quotidien Aujourd’hui/Le Parisien qu’il quitte la magistrature. « Quand je suis devenu magistrat, j’avais un idéal de justice. La même justice pour tous (...). Plusieurs affaires, dont celle des HLM, m’ont fait toucher du doigt que cette justice-là n’existe plus », explique le juge.
Eric Halphen, 42 ans, affecté début janvier au tribunal de grande instance de Nanterre (Hauts-de-Seine), a instruit de février 1994 à septembre 2001 l’enquête sur les HLM de Paris, dans laquelle il avait convoqué le président Jacques Chirac comme témoin avant de renoncer à cette audition puis d’être dessaisi du dossier. Depuis le début du mois, il était vice-président du tribunal correctionnel de Nanterre, juge des libertés et de la détention et il présidait à temps partiel la 18e chambre, consacrée aux violences urbaines et aux incivilités.
Calomnié
Dans l’interview au Parisien, le juge a ajouté vouloir parler pour « défendre » son honneur. « Faire savoir que j’ai été calomnié et que mon instruction sur l’affaire des HLM a été sabotée. On m’a mis des bâtons dans les roues tout le temps. On a sans cesse voulu m’empêcher d’enquêter », dit-il.
« Certains juges, auxquels on a attribué des idées politiques qui ne sont pas celles du président de la chambre de l’instruction, ont été comme moi systématiquement maltraités ». Le juge estime qu’on a « déstabilisé » sa vie privée. « Pendant l’affaire Schuller-Maréchal, quand je tournais la clef de ma voiture, avec mes enfants, dans le parking, j’avais une appréhension. J’ai eu peur, Je savais aussi que j’étais sur écoute, que j’étais suivi, pris en photo, filmé... jusque sur mes lieux de vacances », avoue-t-il.
Le juge a indiqué qu’il termine un livre qui va s’appeler « Sept ans de solitude »
piégé
Lundi 14 janvier, joint par « Le Canard », un proche de Chirac ne cachait pas sa fureur contre ce juge d’instruction « Pauvre type ! » a-t-il dit de lui, l’accusant d’avoir persécuté l’ançien maire de Paris (Chirac) et ses collaborateurs durant sept ans, et maintenant de vider son sac dans « Le Parisien » risquant de gâcher la campagne présidentielle du candidat Chirac à sa ré-élection.
Selon le Canard Enchaîné, Chirac croyait pourtant en avoir enfin fini avec le cauchemar Halphen. En septembre 2001, un arrêt de la chambre de l’instruction ne lui avait-il pas retiré le dossier des HLM de Paris ? Une victoire obtenue après des années de calomnies, de tentatives de déstabilisation et de manœuvres bien orchestrées.
Ce n’est pas Chirac, il est vrai, qui a tiré le premier. A l’automne 1994, dès qu’Eric Halphen commence à s’intéresser aux réseaux de Pasqua, alors ministre de l’Intérieur de Balladur, certains experts en coups tordus entreprennent de passer au crible l’entourage du juge, sa famille, ses amis, dans l’espoir de découvrir un maillon faible.
Gagné !. En décembre 1994, Jean-Pierre Maréchal, beau-père du magistrat, se fait piéger par un collaborateur de Pasqua qui lui remet, alors que des flics sont aux aguets, un sac rempli de billets. A la suite de quoi le RPR, pour une fois unanime, exige le dessaisissement du juge Halphen au motif qu’il ne pourrait plus désormais garder la distance nécessaire pour instruire à charge et à décharge.
Espionné
La manœuvre échouera finalement. Mais ce n’est que partie remise. Car divers chiraquiens et des amis de feu J Cl méry (homme d’affaires très proche de Chirac) prennent le relais les mois qui suivent la présidentielle, Eric Halphen est pris en filature jusqu’aux Antilles, photographié sur ses lieux de vacances et placé sur écoute.
Faute de trouver quelque chose à se mettre sous la dent, ces braves gens multiplient les rumeurs malveillantes. Des proches de Pasqua font ainsi courir le bruit que le juge aurait touché de l’argent dans l’affaire Maréchal, une rumeur que relaie un magistrat RPR de Créteil. L’avocat d’une personnalité importante mise en examen dans le dossier des HLM diffuse un autre bobard : Eric Halphen aurait eu recours à un salarié payé au noir pour repeindre son appartement. Il faut à tout prix déstabiliser ce trop gênant magistrat.
D’autres aussi ...
A défaut de se révéler efficaces contre Halphen, ces méthodes seront parfois utilisées contre plusieurs de ses collègues. Un juge de Montluçon qui, voulant jouer dans la cour des grands, enquête sur le rachat d’un casino par un élu RPR, est filmé à son insu passablement éméché au cours d’une soirée privée. La cassette atterrit, comme par hasard, sur le bureau du directeur central des Renseignements généraux lequel jure l’avoir reçue par courrier en négligeant d’examiner le cachet de la Poste. Et il se trouve quelques esprits bien intentionnés pour affirmer - sans avoir visionné ce document - que le maqistrat s’y était exhibé en très-petite tenue. C’était faux.
D’autres champions de la pellicule fiImeront, queIques temps plus tard, le même juge dans un café parisien en compagnie d’un avocat. Ce qui n’est pas répréhensible puisque aucun article du Code n’interdit à un magistrat de poursuivre son enquête hors de son cabinet. Peu après, un jeu de ces clichés sera expédié à l’avocat, histoire de lui montrer, ainsi qu’au juge, que l’on s’intéresse beaucoup à eux. L’avocat et le magistrat feront ensuite l’objet de menaces diverses.
Rumeurs malignes
Le 11 mai 2000 un dirigeant de la banque Rivaud (proche du RPR) réclame le dessaisissement de la juge prévost-Desprez qui l’a mis en examen. Motif : lors d’un dîner à New-York la magistrate aurait transmis des informations confidentielles à des dirigeants du groupe Bolloré, partie civile contre la banque Rivaud. Obligeamment livrée à la presse, l’information est parrainée par un commissaire de la DST, mais elle bidon. Aucune importance : même éventées, les rumeurs anti-juges conservent leur pouvoir de nuisance. Un magistrat calomnié et espionné peut devenir plus fragile, plus malléable, et afin de retrouver un peu de tranquillité,moins offensif.
Pour intimider les récalcitrants, des proches de l’Elysée ne se privent pas de donner de la voix.
Ainsi, quand les juges Armand Riberolles et Marc Brisset-Foucault s’intéressent aux voyages payés en liquide par Chirac, des amis du président sortent aussitôt leur boîte à injures « Cosaques, bolcheviques ! » lancent, à l’adresse de ces magistrats, Jean Louis Debré, président du groupe RPr à l’Assemblée Nationale et son collègue du sénat Josselin de Rohan.
Et parfois ça marche : certains juges, qui n’étaient pas préparés à ces mauvais traitements et qui ne se sont pas sentis soutenus par la Chancellerie, ont mis plusieurs semaines à s’en remettre. Toujours ça de gagné avant l’élection présidentielle.
Qui a dit que la France est un Etat de Droit ?
d’après Alain Guédé et Hervé Liffran
(dans le Canard Enchaîné du 16 janvier 2002)
Relevé dans le Canard Enchaîné du 13 mars 2002 , l’article ci-dessous.
L’ami RPR d’Halphen :
« Le juge Halphen a rencontré Michel Hunault, élu de Loire-Atlantique et avocat de profession. Les deux hommes ont déjeuné ensemble, courant janvier 2002, au restaurant Chez Françoise, près de l’Assemblée Nationale. Hunault s’est d’ailleurs fait copieusement tancer par plusieurs députés RPR présents ce jour-là dans le dit restaurant »
Le Canard ne dit pas quelle magouille le premier a pu proposer au second, et réciproquement .
Ecrit le 14 juillet 2004 :
Devoir de courtoisie
Du Canard Enchaîné du 30 juin 2004, cette information terrible qui concerne la mise en cause d’un juge d’instruction : « Hubert Dujardin a été traduit devant la formation disciplinaire du Conseil Supérieur de la Magistrature ». A-t-il fait traîner quelque dossier ? Non. A lui seul, précise l’acte d’accusation, il traite « les trois quarts, voire les quatre cinquièmes, selon les années » des dossiers. A-t-il expédié des innocents en prison pour de longues années ? A-t-il évité de poursuivre des délinquants ? Non : il a même engagé des poursuites contre Xavière Tibéri, au point que le garde des sceaux de l’époque a dû envoyer un hélicoptère sur l’Himalaya pour tenter de retrouver le procureur, en vacances dans ce coin. Alors qu’est-ce qu’il a fait, Hubert Dujardin : rien d’autre que « un manquement au devoir de courtoisie et au principe hiérarchique ». On croit rêver. Quand la politesse devient plus importante que la simple justice, il se passe quoi, à votre avis ?