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Cinquième cas
Mademoiselle E arrive de province et est embauchée comme caissière-vendeuse dans une grande surface de fruits et légumes de la région parisienne. Elle est tout de suite en butte aux tracasseries du patron qui lui reproche .... d’avoir son baccalauréat et d’avoir fait un an d’Université ! « Dans cette entreprise nous étions tous filmés, il y avait des caméras, dehors, et à l’intérieur, et aux caisses. Moi j’étais particulièrement visée, sans doute parce que je tenais tête. Je me faisais engueuler devant les clients, régulièrement. Le patron criait tout le temps. J’ai fini par ne plus pouvoir le supporter, j’en étais malade physiquement et moralement, crampes, coliques, tension. J’ai dû donner ma démission. Et pendant des années je n’ai pas réussi à passer devant le magasin sans voir revenir l’angoisse »
Sixième cas
Monsieur F. Dans son atelier le chef passe son temps à crier. « Moi, pendant la pause du matin, je me faisais toujours appeler au bureau, certaines semaines c’était tous les jours. Quand nous étions une dizaine à prendre un café, j’étais le seul à qui on le reprochait. Tout ça parce que je n’ai pas voulu venir travailler un samedi. C’était pas obligatoire de venir ce samedi, tous les gars de l’atelier avaient dit qu’ils ne viendraient pas : je suis le seul à ne pas être venu. En punition, en plus de cris perpétuels, le chef a décalé mon horaire pour que le soir je finisse tout seul, après les autres. je n’avais pas le droit de parler aux autres pendant la pause. Et puis, la punition suprême, c’était le tapis d’écaille, une chaîne où les gars manient la masse 8 heures par jour pour casser les plus grosses bavures des pièces. Une chaîne prévue pour 5 , nous y étions parfois 10, si serrés qu’il arrivait que la masse frappe le voisin et pas la pièce ! C’était pire que l’armée, pire que la prison. J’ai fait une dépression, je ne dormais plus, j’ai préféré m’arrêter avant de mettre mon poing sur la gueule du chef. Et pourtant j’ai horreur d’être à la maison. Je tourne en rond. Il me faut du travail ».
Ce salarié a heureusement retrouvé un travail, en plein-air cette fois. « les patrons ont des droits, mais nous aussi. On ne traite pas les salariés comme des chiens » nous a-t-il dit.
Septième cas
Une femme raconte. « Lorsque mon mari est arrivé dans cette entreprise, c’était l’apprenti, en priorité, qui subissait vexations, agressions verbales, brimades. C’était lui le nul, l’incompétent, le mec à abattre. Mon mari rentrait le soir très affecté par cette situation, sans savoir quoi faire pour aider ce jeune homme. Aujourd’hui c’est mon mari qui est devenu la cible privilégiée »
Arrêtez le massacre !
Tous ces cas dépassent largement le contexte habituel du conflit normal sur le lieu de travail. Ils constituent ce qu’on appelle du « harcèlement moral ». Une violence que l’on peut qualifier de « discrète » par le fait qu’elle utilise des moyens généralement peu voyants, insidieux, imperceptibles de l’entourage, dans une forme de huis clos. Discrète aussi parce que c’est un sujet socialement peu apparent, dont on entend peu parler, qui semble difficile à reconnaître, à nommer, à identifier et sur lequel les victimes elles-mêmes s’expriment peu sinon dans l’intimité du cabinet médical, et encore.... .
Mais La Mée a été saisie d’un cas à la mairie de St Herblain, puis d’un autre dans une entreprise de Châteaubriant, et, quand nous avons commencé à en parler, les langues se sont déliées. Le phénomène nous a paru plus fréquent que nous le croyions.
Nous avons alors découvert une association nommée « Mots pour maux au travail » et celle-ci annonce qu’elle a reçu en un mois quelque 800 appels téléphoniques et 150 lettres. « Il s’agissait donc seulement de mettre des mots sur ce qui se passait pour que cette souffrance sorte de l’ombre. » dit-elle.
Selon l’association « Mots pour maux au travail » le harcèlement est une souffrance infligée sur le lieu de travail de façon durable, répétitive et/ou systématique par une ou des personnes à une autre personne, par tout moyen relatif aux relations, à l’organisation, aux contenus ou aux conditions du travail, en les détournant de leur finalité, manifestant ainsi une intention consciente ou inconsciente de nuire voire de détruire.
Le professeur Leymann, qui a étudié cette situation, donne une définition pragmatique du harcèlement moral : « il s’agit de la répétition d’un ou plusieurs agissements hostiles au moins une fois par semaine pendant au moins 6 mois ». Il y a donc une double condition : la REPETITION et la DUREE.
Il y a 5 catégories de harcèlement :
empêcher la victime de s’exprimer
isoler la victime
déconsidérer la victime auprès de ses collègues
discréditer la victime dans son travail
compromettre la santé de sa victime
Tous ces agissements relèvent du non-respect
de la personnalité.
Mais pour qu’ils soient considérés comme du harcèlement,
il faut qu’il y ait répétition de ces agissements
et que cela dure plusieurs mois.
Voir les quatre premiers cas :
Ecrit le 7 juillet 2004 :
Harcèlement : un milliard par an
Attendez-vous à savoir que le stress et le harcèlement nuisent à la fois à la santé des salariés et au bon fonctionnement des entreprises. Entre 1 milliard et un milliard et demi d’euros par an, rien que pour la France (quand on vous dit qu’un milliard c’est pas grand chose !). Tout ça parce que les situations de harcèlement sont moins dues à des persécutions individuelles qu’Ã une mauvaise organisation de l’entreprise. Premiers touchés : les cadres, coincés entre les exigences de la direction et le mal être des salariés. C’est malin !