Page 1613
La science des rythmes de la vie
écrit en avril 2000
La chronobiologie, qu’est-ce que c’est que ça ? Un médecin, d’origine castelbriantaise, Françis Peslerbe, médecin du Travail, est venu parler des « rythmes de la vie ». Tout ce qui suit (ou presque) est emprunté à la conférence qu’il a donnée vendredi 7 avril 2000 à St Aubin des Châteaux.
Rythmicité
Certains animaux vivent le jour. D’autres préfèrent la nuit. Des fleurs s’ouvrent le matin et se referment le soir. Des arbres perdent leurs feuilles à l’automne et en créent d’autres au printemps : la nature exprime la rythmicité, qu’elle soit celle du jour et de la nuit, ou celle des saisons.
L’homme vit en fonction de l’alternance du jour et de la nuit. Il estime même être plus efficace le jour que la nuit (ce qui n’est pas général : il y a des gens qui sont plutôt « du soir » ). Comme dit le poète, il y a un temps pour planter, un temps pour récolter, un temps pour dormir, un temps pour aimer.
La rythmicité est une propriété fondamentale de la matière vivante.
Notre corps a des périodes de forte activité et de plus faible activité et cela se manifeste de nombreuses façons : la température, la tension artérielle, la composition du sang, etc.
37° le matin
Les malades le savent bien : ils ont toujours une plus forte température le soir. Ils attribuent ça à la fatigue de la journée. En fait, cette variation de température est permanente : elle est la plus faible vers 3 ou 4 heures du matin, puis elle augmente et atteint un palier, pour recommencer à décroître vers 20 heures. Ecart normal entre les deux : 1°C environ.
Pour la tension artérielle, c’est le même phénomène, au point que les médecins notent l’heure à laquelle ils prennent la tension de leurs patients.
C’est comme si le corps humain avait une période d’activité, et une période de repos. On pourrait penser que cette baisse de température et de tension artérielle est due au sommeil : l’expérience a prouvé que les personnes qui travaillent la nuit connaissent les mêmes phénomènes. Donc, pour rester performant la nuit, il faut demander au corps plus d’énergie qu’en travail de jour. D’où une fatigue plus importante.
Globules
Le sang, lui aussi, a une composition variable selon le temps : plus de globules blancs le soir, plus de globules rouges le matin. Françis Peslerbe cite à ce sujet une entreprise fabriquant des produits toxiques, qui, s’inquiétant de la santé de son personnel et de son éventuelle sensibilité aux produits, entreprit de faire une analyse de sang générale vers minuit. Important taux de globules blancs. réaction sans doute à une infection ?? . Panique. L’entreprise entreprit alors d’importants travaux de sécurité. Mais le taux de globules blancs du personnel ne baissa pas : c’était avant que l’on s’intéresse à la chronobiologie
L’heure est toxique
La nocivité de certains produits est aussi variable selon le temps. Des expériences ont été tentées sur des souris auxquelles on a injecté une dose d’alcool. Celles qui l’avaient reçue le soir en sont mortes, les autres ont tenu le coup.
Rayonnements, produits chimiques, alcool : la toxicité varie en fonction de l’heure d’administration.
25-26 heures
Nos organes ne fonctionnent pas de la même façon, 24 heures sur 24. D’ailleurs, si on le laissait faire, notre corps vivrait sur un rythme de 25 à 26 h. Comme si nous avions dans le corps une horloge biologique.
Cette horloge n’est pas en phase avec les contraintes de temps de la vie que nous menons, c’est pourquoi il se produit comme une sorte de mise à l’heure permanente de notre horloge biologique, avec ce qu’on appelle des « syn-chroniseurs », des repères qui permettent à notre horloge de se régler toute seule. Des expériences ont été tentées sur des singes et des souris, pour lesquels on a modifié profondément la durée du jour et de la nuit. Dans de nombreux cas, ces animaux ont développé des maladies mentales.
L’un de ces synchroniseurs, c’est l’alternance du jour et de la nuit. Il lui faut du temps pour se mettre en place. Les bébés par exemple, mettent du temps à s’adapter.
D’autres synchroniseurs sont « socio-écologiques » : les repas, les activités professionnelles, les activités de loisirs, et même le journal télévisé à 20 heures,, nous aident à mettre à l’heure notre horloge interne.
Chamboule tout
Chambouler notre horloge interne produit en nous des désagréments. Les voyageurs connaissent bien cette sorte de fatigue qui envahit ceux qui voyagent au loin et franchissent plusieurs fuseaux horaires : l’organisme met plusieurs jours à s’adapter.
Le cas le plus fréquent concerne les travailleurs postés, ceux qui travaillent en 2 x 8 ou 3 x 8 , ils connaissent une sur-fatigue, une usure plus importante de leur organisme, une augmentation des temps de réaction, d’où une moins bonne performance, puisqu’ils travaillent au moment où l’organisme est au repos, et qu’ils ont des difficultés à se reposer au moment où les autres travaillent. La force physique est aussi moins importante la nuit que le jour.
Les accidents de la route sont multipliés par 6 entre 0 et 4 heures du matin. En raison de la fatigue de la journée, sans doute mais, pour quelqu’un qui se serait bien reposé la veille de son départ, il y a cependant risque d’accident car le corps, la nuit, a tendance à se relâcher.
De même les accidents du travail sont plus fréquents et plus graves la nuit et toutes les grandes catastrophes liées à des erreurs humaines (Three Miles Island, Tchernobyl, Exxon, etc) se sont produites vers les 3 heures du matin, ce qui ne saurait surprendre : les travailleurs de nuit se reposent toujours moins bien que les autres et la vigilance fléchit au petit matin.
Une expérience a été tentée sur des chirurgiens, chargés d’opérer (de façon virtuelle heureusement) : ceux qui ont opéré la nuit ont commis davantage d’erreurs. Pauvres patients.
Le travail posté
Il n’y a pas de pathologie spécifique du travail posté. Mais les médecins notent une plus grande fatigue, des troubles du sommeil, des troubles du caractère, l’impression d’avoir mal dormi, des troubles digestifs voire dépressifs. Quinze à vingt pour cent des salariés ne peuvent pas s’adapter au travail posté.
Les difficultés liées à la nuit se retrouvent aussi chez certaines personnes qui souffrent de dépressions saisonnières, à l’automne et en hiver, quand la lumière du jour est insuffisante. Il faut conseiller aux personnes âgées, qui ont une baisse d’acuité visuelle, de mettre beaucoup de lumière chez elles (alors que souvent, parce qu’elles se couchent tôt, les personnes âgées ont tendance à fermer les volets prématurément).
Les vacances
Le repos est une nécessité de notre corps. Prendre des vacances répond à la fois à des besoins physiologiques et à des besoins sociaux.
Si nous n’écoutions que notre corps, nous devrions prendre les vacances en hiver, (comme les marmottes) car l’homme est façonné pour travailler l’été et se reposer l’hiver. L’hiver est d’ailleurs une saison à risque : dans tous les pays, on meurt plus l’hiver que l’été ; les maladies du cœur et des vaisseaux sont plus fréquentes en février (8000 accidents cardiovasculaires) qu’en août (3000).
Mais les besoins sociaux viennent parfois contrecarrer les besoins physiques. Par exemple, les vacances scolaires d’été, en France, ont été conçues du temps où les familles avaient besoin de la main d’œuvre enfantine pour les travaux des champs.
médicaments
La chronopharmacologie mesure l’influence de l’heure sur l’efficacité d’un médicament, son absorption, son transport et son élimination. Par exemple les médicaments pour les ulcères de l’estomac sont plus efficaces le soir et quasiment nuls le matin.
Les médecins s’efforcent de plus en plus de tenir compte des rythmes biologiques pour prescrire tel ou tel médicament. Bref, la chronobiologie, science nouvelle, est un élément important de notre santé.
(Exposé de Francis Peslerbe)
Des livres :
Le temps humain et les rythmes biologiques d’Alain Reinberg (Edition du Rocher)
ABC des biorythmes, de Patrick Debarbieux - (Jacques Grancher Editeur)
Guide santé Hachette : être au top à chaque heure, par Marc Schwob.