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Ecrit le 3 mai 2000
L’Europe est morte, vive l’Europe !
Savez-vous la nouvelle ? Il vient d’arriver une chose inouïe. L’Europe fédérale, l’Europe Supranationale est morte le jeudi 20 avril 2000, et, comme tous les évènements majeurs qui jalonnent et réorientent le cours de l’Histoire, cette disparition n’a pas bouleversé le monde. L’Europe fédérale, celle du M.R.P. et de l’U.D.F. réunis, celle du socialisme atlantique et du Vatican, celle de LECANUET, celle de Guy MOLLET, celle de Jacques DELORS, celle de François BAYROU et de Simone WEIL, est morte dans l’indifférence générale et a été enterrée à la sauvette comme le Roi Louis QUATORZE et le comble du paradoxe (ou de l’habileté), c’est que le plus inconditionnel, le plus béni-oui-oui, le plus européiste des journaux, à savoir Ouest-France, a été choisi pour annoncer le décès .
La fin de l’Europe fédérale
déjà dans l’éditorial de Ouest-France du 20 avril 2000 , ce n’est pas bien sûrF.R.HUTIN qui le signe, mais Joseph LIMAGNE qui écrit : « Choisir les coopérations renforcées, c’est privilégier une conception intergouvernementale de l’exercice du pouvoir dans le jeu, passionnant, pour des dirigeants politiques, de la construction européenne. Depuis·des années, le Conseil Européen - les Gouvernements - conforte sa prééminence sur les autres institutions, en particulier la Commission de Bruxelles . Ainsi l’Europe des Etats s’impose-t-elle peu à peu au détriment de l’Europe fédérale, dont certains rêvaient et dont la monnaie unique aurait pu être l’un des instruments ». On ne saurait être plus clair, plus précis, plus catégorique. Donc, conclusion : Il n’est plus question d’Europe fédérale (supranationale), mais d’Europe Intergouvernementale, et de coopérations renforcées, c’est-Ã -dire d’Europe Confédérale. (Rappelons pour être précis que selon le Robert historique de la langue française une FEDERATI0N (d’Etats), c’est une association (d’Etats) groupés sous une AUTORITE COMMUNE, alors qu’une CONFEDERATI0N D’ETATS, c’est la réunion de plusieurs Etats QUI CONSERVENT LEUR SOUVERAINETE .)
VEDRINES : Kohl, Mitterrand, Delors, c’est du passé !
L’éditorial de Joseph LIMAGNE constituait en quelque sorte l’entrée qui a précédé le plat de résistance, à savoir l’interview d’Hubert VEDRINES, Ministre des Affaires Etrangères, c’est à dire le seul Membre du Gouvernement qui est à la fois sous l’autorité du président de la République Jacques CHIRAC et du Chef du Gouvernement Lionel JOSPIN : Ce que dit Hubert VEDRINES engage donc à la fois Lionel JOSPIN et Jacques CHIRAC et « lève le voile sur les intentions et les objectifs » de la France qui présidera l’Union Européenne du 1er juillet au 31 décembre 2000 .
Et que dit Hubert VEDRINES : « » L’Europe à Quinze n’est plus celle de KOHL, MITTERRAND, DELORS (.....) La perspective de l’élargissement a ouvert les yeux (.....). La prise de conscience du risque de paralysie ou de dilution de l’Europe est là (.....) La réforme devrait être mise en place pour 2003 (.....). Les (nouveaux) pays qui seront prêts à rentrer le pourront à partir de cette date (d’ores et déjà 12 pays candidats, mais il y en aura d’autres) (.....) La question de l’unification du grand ensemble européen s’est posée (.....) Nous devons travailler à trouver la réponse institutionnelle qui permettra à cet ensemble élargi de fonctionner malgré tout « Et Hubert VEDRINES d’ajouter que les priorités pour la France lors de sa Présidence sont : la poursuite des négociations d’élargissement, compte tenu de la politique agricole commune, la mise en œuvre des décisions en matière de défense, la conclusion de la Conférence Intergouvernementale de la réforme des institutions et la mise en place des »coopérations renforcées".
Mais, dit encore H. VEDRINES, pour que l’Europe fonctionne, il faut étendre le principe du vote à la majorité qualifiée (en matière d’agriculture, de budget, d’agenda social, et pour certaines décisions fiscales) . Mais il faut d’abord trouver une nouvelle clé de répartition des votes au Parlement (la répartition des populations nationales est de 1 à 200, alors qu’au Conseil Européen cette répartition est de 1 à 5 ) afin que les « petits pays » n’imposent pas leur décision aux « grands pays ». Il faut enfin réformer la Commission de Bruxelles, limiter sa taille et la réorganiser !
L’Europe à géométrie variable
Et Hubert VEDRINES de déclarer : la fédération d’Etats, noyau dur proposé par Jacques DELORS a vécu ; le moteur franco-allemand ne suffit plus ; et les onze pays de l’euro sont trop nombreux pour constituer un noyau, d’ailleurs il ne semble qu’il y ait aujourd’hui de pays européen qui le veuille. Alors, seule solution pour Hubert VEDRINES : une Europe à géométrie variable basée sur des coopérations renforcées et souples du type de celles qui ont permis de faire l’Euro, ou les accords de Schengen, ou Ariane, ou Airbus.
Mais on ne peut pas affirmer, non plus, que d’autres réformes ne seront pas nécessaires : l’Europe n’est pas une construction finie . Enfin, dernier couplet : la charte des droits fondamentaux sera, selon Hubert VEDRINES, une démarche politique et symbolique qui rappellera les principes et les valeurs politiques, économiques et culturels de l’Europe ; il reviendra au Conseil européen d’en fixer le statut et la valeur juridique, mais il n’est pas sûrqu’il faille l’inclure dans les traités : une résolution de « première communion » en quelque sorte !
L’élargissement mène inéluctablement à l’Europe confédérale
En fait dans l’interview du Ministre des Affaires Etrangères, à la veille de la Présidence tournante de l’Europe qui échoit pour six mois à la France, il y a, parmi beaucoup de généralités, le dit et surtout le non dit , qu’on peut résumer de la façon suivante :
– L’Europe fédérale (qui n’a jamais existé) est morte et enterrée .
Le mode de décision (vote) est à changer. Mais il faut d’abord changer la clé de vote, pour que les petits pays minoritaires en habitants n’imposent pas la décision : il est probable qu’on votera le moins possible .
– La Commission de Bruxelles tatillonne, pléthorique et irresponsable est à reprendre par le pied .
– L’élargissement sera poursuivi dans la perspective d’inclusion de tous les pays européens y compris les pays de l’Europe de l’Est (et du Sud) . Ce qui est non dit, c’est qu’une telle Europe ne pourra dans les faits être que confédérale. Et c’est la raison pour laquelle Hubert VEDRINES préconise à côté les « coopérations renforcées », c’est à dire l’Europe à géométrie variable (ou à la carte et au coup par coup), ce qui n’est pas très nouveau, mais a le mérite d’être négocié et non imposé, et celui de fonctionner .
Une remarque toutefois au passage : Hubert VEDRINES (pas plus que Joseph LIMAGNE d’ailleurs) n’a pas éprouvé la tentation de pousser au passage quelques cocoricos sur l’Euro, l’actuelle monnaie commune dont nos penseurs européens nous ont dotés dans la perspective rapprochée d’en faire une monnaie unique. Il est vrai que ce n’est guère le moment de pavoiser à ce sujet ainsi qu’on pourra le lire dans un autre article
Enfin, l’Europe des Peuples ?
Une chose est bien certaine désormais ; c’est la fin de l’Europe étriquée, corsetée , réglementée, monolithique, aseptisée, incolore, inodore et insipide .
On voit poindre à l’horizon l’Europe à dimension de tout le continent européen où se mêleront sans se fondre et sans se confondre le souffle de l’Océan et le vent des steppes, l’Europe de HUGO à GOGOL et de VOLTAIRe à POUCHKINE .
Ouf ! Enfin on respire !
Jean GILOIS