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Date ?
L’Europe qui lit
Justo BARRANCO, journaliste à la Vanguardia de Barcelone a levé un lièvre inattendu dans un article repris par le Courrier International du 27 avril dernier : une étude statistique sur la lecture en Espagne, réalisée par la Société des Auteurs et Editeurs, a révélé que le pourcentage des Espagnols qui ne lisent pas est passé en 10 ans de 41 à 49 % . Cette évolution hélas n’est pas le cas de la seule Espagne et ne mériterait pas en soi de citation particulière .
Pourquoi lire
puisqu’on nous explique !
Seulement voilà , et c’est là que gîte le lièvre, Justo BARRANCO explique que « De l’avis des spécialistes c’est à cause de la tradition catholique (et du manque de l’intérêt des élites pour la culture), que l’Espagne est passée directement de l’analphabétisme à la télévision. » Et le sociologue Salvador GINER explique que de ce fait l’Espagne n’a pas bénéficié des cent cinquante ans de lecture populaire qu’ont connus la plupart des autres pays européens, et il cite un fait tout à fait révélateur : l’histoire de George BARROW, un anglais excentrique qui, venu vendre des bibles en Espagne, s’est entendu rétorquer : « Le curé est là pour nous l’expliquer . »
L’Europe de la Bible
et celle du catéchisme
Il ressort des réflexions de Salvador GINER « qu’il y a une Europe qui lit - celle des pays protestants, privilégiant une lecture individuelle et soutenue de la Bible, ce qui a débouché sur un respect du livre - et une Europe qui ne lit pas - où il s’est toujours trouvé quelqu’un, prêtre ou homme politique pour expliquer au peuple la vérité - l’Europe Catholique . Ce verdict ne s’est jamais démenti . »
Et Justo BARRANCO ajoute : "Les statistiques sur la lecture dans d’autres pays semblent confirmer la thèse religieuse. Au Royaume-Uni, en Allemagne, et aux Pays-Bas, près de 70 % des gens lisent.
La France, pays intermédiaire entre les deux Europes, re-
vendique 60 % de lecteurs, tandis que l’Italie, comparable à l’Espagne n’en recense que 51 %.« Certes pour le cas espagnol, il ajoute d’autres causes et précise » Le niveau moyen d’éducation est très faible chez nous . Certaines enquêtes révèlent que les universitaires eux-mêmes ont du mal à comprendre les phrases compliquées ."
Mais chaque pays n’a-t-il pas ses propres carences ? Et il ne faudrait probablement pas trop gratter en ce qui concerne l’évolution de l’illettrisme en France. L’intérêt de l’article de Justo BARRANCO est la démonstration que parmi les multiples Europes que nous connaissons, il en existe encore deux autres catégories : l’Europe Protestante (plus au nord) attachée à la lecture, et l’Europe Catholique (plus au sud) qui ne lit pas ou peu
De la communication
et du gavage des oies
Concernant l’évolution de la lecture, il est une autre question fondamentale. Cette question est celle de la multiplication et de l’invasion des nouveaux media face à la lecture. A la radio et à la télévision se sont ajoutés le portable et Internet et le son et l’image se sont insidieusement substitués à l’écrit. Les grands-prêtres de la communication ne manquent pas d’affirmer que le champ des connaissances mises à la portée de tous s’est élargi considérablement.
Il conviendrait plutôt de dire qu’au lieu d’élargissement c’est de trop plein et de cacophonie qu’il s’agit. L’image s’impose alors que le livre, ami discret, se choisit : l’ère de la communication est aussi et surtout celle de la manipulation, qui aliène le sens critique, la liberté de choix et pour finir la liberté individuelle tout court. C’est le temps du conditionnement où on pense et on agit par mimétisme .
On dit que le singe imite l’homme. On affirmait aussi autrefois que l’homme descend du singe (alors qu’il ne serait en réalité que son cousin) . Mais il serait plus exact alors de dire, non pas que l’homme vient du singe, mais qu’il y retourne .
Jean GILOIS