(écrit le 13 novembre 2002)
Voir histoire des Tatoués
Le Congrès des « Tatoués » aura lieu à Châteaubriant les 12-13 avril 2003. Qui sont ces hommes ?
Ils étaient 14 de la région castelbriantaise, six de Châteaubriant (Roger Aulnette, Eugène Bellanger, Marcel Letertre-père, Emile Letort, André Malin, François Laguilliez, Auguste Morantin), un de Sion (célestin Deroche-père), trois de Ruffigné (Georges Lefeuvre, Louis Lefeuvre, Marcel Pigrée), un d’Erbray (Michel de Pontbriand), un de Martigné (André Maignan) et Maurice Plaud
Une exposition réalisée par l’Amicale des Tatoués, présente l’organisation du système concentrationnaire nazi dans l’Europe en guerre et le rôle du gouvernement de Vichy dans la déportation de Juifs et de Résistants. Elle évoque le drame vécu par ces 4 500 hommes et femmes (sur les 82 000 déportés de France pour faits de résistance), déportés pour leur engagement et envoyés à Auschwitz dont le nom restera à jamais lié au génocide des Juifs et des Tsiganes.
Seuls les déportés passés par Auschwitz furent tatoués sur leur avant-bras gauche. Les déportés des autres camps ont eux aussi reçu un matricule, mais celui-ci était soit un bracelet, soit un numéro cousu sur leur veste. Tous ces déportés tatoués ont été les témoins oculaires du génocide nazi
Trois convois importants sont partis directement de Compiègne pour Auschwitz. Le premier à quitter la France le 6 juillet 1942 emportait 1 175 otages. Parmi eux, un millier de militants et sympathisants communistes, souvent adhérents de la CGT, une vingtaine d’auteurs de délits de droit commun et cinquante juifs arrêtés en tant que tels.
Le second, parti le 24 janvier 1943, était constitué exclusivement de femmes, 230, pour la plupart militantes. Parmi elles, Marie-Claude Vaillant-Couturier, Danielle Casanova, Hélène Solomon (fille de Paul Langevin), la plus jeune fille de Lucien Sampaix, Simone, l’écrivain Charlotte Delbo et bien d’autres, inconnues.
Les deux premiers convois connurent des pertes avoisinant celles des déportés juifs compte tenu de la longueur de leurs séjours et de leurs conditions de vie particulièrement dures.
27 avril 1944
Le dernier convoi quitte Compiègne le 27 avril 1944 avec environ 1700 déportés. Il est le reflet de la diversité de la Résistance par les 64 réseaux et mouvements qui le composent. Et, s’il comporte une majorité d’ouvriers, sont aussi déportés des patrons d’entreprise, des artisans, des employés, des intellectuels, des écrivains, des étudiants et des lycéens. Parmi eux, le poète Robert Desnos et le journaliste Rémy Roure, André Boulloche, Marcel PauI... Plus de la moitié du convoi avait moins de 35 ans. C’est de ce convoi que faisaient partie les neuf personnes de la région castelbriantaise.
Des hommes de tous âges : le plus jeune des 1.700 détenus du camp de Royallieu désignés le 26 avril 1944 pour faire partie du convoi partant le lendemain, n’avait pas encore seize ans. Le plus âgé venait de fêter tristement ses 71 ans à son départ pour Auschwitz.
Vers 14 heures
Vers 14 heures, le 26 avril 1944, un appel désigne les 1700 détenus qui doivent constituer le convoi du lendemain. Lorsqu’ils se préparent fébrilement puis sont rassemblés dans la zone C du camp, ils ne connaissent pas encore leur terrible destination. Quelques-uns signent un formulaire imprimé à destination de leurs proches : « Je suis transféré dans un autre camp, ne m’envoyez plus de colis, attendez ma nouvelle adresse »...
Au matin du 27 avril, chacun reçoit une boule de pain et un saucisson. La colonne qui se constitue traverse Compiègne derrière un officier SS. Des civils, apeurés et effondrés, osent braver l’interdiction pour faire un dernier adieu aux déportés. En gare de marchandises, on fait s’entasser avec violence les prisonniers dans des wagons à bestiaux. La surpopulation est telle que l’air devient rapidement surchauffé et irrespirable. Il faut se battre pour accéder à tour de rôle aux lucarnes garnies de barbelés et y respirer l’air frais.
Suivent quatre jours et trois nuits d’un hallucinant voyage vers la Pologne. Soif, asphyxie et démence transforment certains wagons en cercueils ou cellules d’aliénés. Certains boivent leur urine, d’autres, rendus fous par la souffrance, veulent tuer leurs camarades et ne sont maîtrisés qu’Ã grand-peine. Les plus forts doivent imposer un semblant de discipline pour éviter le pire.
Le 30 avril en fin d’après-midi, le convoi décharge sa marchandise humaine sur un quai apparemment en rase campagne, à Auschwitz. L’ouverture des 17 wagons s’accompagne d’un certain nombre d’exécutions sommaires. Ceux qui sont devenus fous lors du transport ou gesticulent en s’éloignant du groupe sont abattus froidement. A la soixantaine de morts du transport viennent s’ajouter une dizaine d’hommes exécutés sur le ballast.
Les malades soutenus par les valides, la colonne se forme, encadrée des sentinelles qui distribuent de nombreux coups de crosse. Après environ deux kilomètres de marche forcée sur un chemin caillouteux, les déportés entrent dans le camp dont le nom est indiqué sur un panneau : Auschwitz. « Arbeit macht frei » : le travail rend libre !
Après être passée devant la « porte de la Mort » (entrée principale), la colonne est conduite vers le camp « Canada ». LÃ , les déportés sont parqués entre 24 et 48 heures dans deux écuries, en attendant leur tatouage, comme si leur vocation était d’être affectés au camp pour y travailler.
Après le tatouage, les kapos polonais procèdent à une fouille complète (y compris les parties les plus intimes) des nouveaux arrivés. Suivent une séance de tonte, une douche (alternance d’eau bouillante et d’eau glacée), une désinfection (bain de crésyl) et la course vers le magasin d’habillement où sont distribués des oripeaux rayés.
La séance d’incorporation terminée, retour aux écuries, où est distribuée une soupe infecte : une gamelle sale, boueuse ou rouillée, sans cuillère, pour dix ou quinze détenus. Les hommes sont entassés à 800 par baraque de quarantaine, réduits à l’immobilité, sans pouvoir s’allonger, sans couvertures ni paillasses. Ils y restent plusieurs jours. Leur bâtiment est voisin du four crématoire, d’où s’échappe une horrible odeur de chairs grillées.
Quelques jours plus tard, ils sont transférés dans deux bâtiments de la division « familles tziganes ».
Le vendredi 12 mai, sans explications, les détenus sont rassemblés et conduits en colonne jusqu’au quai d’embarquement. LÃ , ils prennent place à 50 (seulement) dans des wagons, puis repartent vers l’ouest, en direction de Buchenwald, que le convoi atteint le dimanche 14. Ils laissent à Auschwitz 92 des leurs, morts ou malades.
L’accueil à Buchenwald est semblable à celui vécu à Auschwitz deux semaines plus tôt : coups de crosse, hurlements, morsures de chiens... Le camp, par contre, offre un saisissant contraste : pelouses bien entretenues, maisons des SS fleuries, animaux, tout cela tranche avec les sinistres crématoires que l’on venait de quitter.
Buchenwald
La bonne impression du début était trompeuse. Après les formalités, les détenus sont parqués dans le camp de quarantaine, le « Petit Camp ». Jacques L’Hoste a laissé de celui-ci un témoignage saisissant : « Le petit camp était en quelque sorte la cour des miracles de Buchenwald. C’est là que mouraient tous ceux qui n’avaient ni la force, ni la constitution physique pour travailler dans les Kommandos. A Auschwitz, ces malheureux auraient été immédiatement gazés, mais ici, les nazis les laissaient crever entre eux. Ils passaient leurs journées dehors, désoeuvrés, attendant la mort, sans espoir d’aucune sorte. La nuit, l’entassement était ignoble, dans des baraques immondes ».
La contrainte la plus pénible est celle des appels, qui pouvaient s’éterniser pendant plusieurs heures, par tous les temps. La nourriture par contre, était de bien meilleure qualité qu’Ã Auschwitz. Elle restait toutefois très insuffisante et les morts par malnutrition étaient nombreux. Les mauvais traitements et les exécutions arbitraires aussi étaient une cause de décès fréquente.
Le 24 mai, un millier de Tatoués sont à nouveau déplacés. Ils quittent Buchenwald pour Flossenbürg.
Flossenbürg
L’agonie du Troisième Reich est également celle de toutes les victimes de son système concentrationnaire. Parmi elles, les Tatoués du convoi du 27 avril 1944 subissent les évacuations successives, les « marches de la mort » et les ultimes sévices, avant de pouvoir être enfin libérés. Suivant les affectations ou les camps de rattachement, les destins sont très variés. En voici quelques exemples :
Le 27 janvier 1945, vers 15 heures, les premiers groupes de reconnaissance soviétiques pénètrent à Birkenau, où ils libèrent 5.800 prisonniers des deux sexes, parmi lesquels les survivants des 77 malades du convoi du 27 avril 1944 laissés au Revier le 12 mai précédent. Acheminés de Pologne en Moldavie puis en Ukraine, ils sont embarqués à Odessa pour débarquer à Marseille vers la fin du mois de mars. Ces onze hommes sont les premiers à revoir la France.
Le 17 février, 2.500 déportés, dont une vingtaine de Tatoués, quittent Sachsenhausen pour Mauthausen, en une marche terrible. A l’arrivée ils ne sont plus que 1.700.
A la hache
Le camp de Mauthausen étant déjà surpeuplé, le commandant ordonne d’en sélectionner 400, que l’on place, nus, sur la place d’appel durant plusieurs heures à une température de - 8° C. La mort tardant à venir, on les passe sous une douche glacée avant de les exposer à nouveau au froid. Les derniers survivants sont achevés à la hache
Le 20 avril, 16.000 détenus de Flossenbürg sont répartis en quatre colonnes puis jetés sur les routes de Bavière. Retardataires et malades sont systématiquement abattus. Le 23, les 6.000 survivants sont libérés par les Américains près de Cham, à 110 kilomètres du point de départ.
Un Tatoué, Victor Legouy, témoigne en ces termes : « Nous suivions toute cette scène avec des visages transformés par le bonheur ; nous vivions un moment inoubliable dans un monde immatériel et irréel. Nos cerveaux étaient en feu et tout se brouillait. Il y a des sensations qu’on ne peut rendre par des mots parce qu’elles sont si complexes qu’il faut vraiment les avoir senties pour les comprendre. Et lorsque les premiers Américains arrivèrent, quelques minutes après, ce fut du délire ».
Sur les 380 Tatoués qui subirent l’évacuation de Flossenbürg le 20 avril 1945, 150 moururent sur la route, entre le camp et la ville de Cham, lieu de la libération
Compiègne-Royallieu
Situé dans un faubourg de Compiègne, le camp de Royallieu est l’un des deux principaux centres français de régulation pour la déportation. Il est destiné aux prisonniers politiques, alors que celui de Drancy est réservé aux Juifs.
Est déclaré prisonnier « politique » toute personne arrêtée pour faits de résistance, appartenance à des partis ou groupements dissous, auditeurs de la radio anglaise, détenteurs d’armes, otages ou malchanceux pris dans des rafles.
Le camp de Royallieu avait été aménagé par l’armée française avant 1914. Il avait servi d’hôpital militaire pendant la Grande Guerre, puis à nouveau en 1939-40. De juin 1940 à juin 1941, baptisé Frontstalag 122, il accueillait des prisonniers de guerre français.
Passé ensuite sous le contrôle de la Sicherheitsdienst, il servit de réservoir dans lequel était puisée une partie des otages fusillés par les nazis. Le premier convoi de déportés part le 27 mars 1942, avec à son bord 1.112 Juifs (le dernier convoi, de 300 détenus, partit le 26 août 1944 pour être libéré par les Alliés à péronne).
De mars 1942 à août 1944, 53.787 hommes et femmes ont transité par Royallieu.
Mais pourquoi les Tatoués ?
Les causes du détour du convoi du 27 avril 1944 par Auschwitz-Birkenau restent mystérieuses. Pourquoi les Tatoués ont-ils été transférés d’Auschwitz à Buchenwald au bout de deux semaines ? Le mystère demeure, même si plusieurs tentatives d’explication ont été avancées.
Dès le débarquement, la vue des prêtres en soutane qui déboulent des wagons provoque la stupéfaction des gardiens nazis
Après la période de quarantaine et ses angoissantes incertitudes, le convoi repart pour Buchenwald le 12 mai. Les seules explications données sont les commentaire mensongers de l’haupsturmführer Kramer : « Vous allez partir pour Buchenwald, un bon camp, le meilleur d’Allemagne, vous y serez bien ».
Les causes de ce revirement soudain et du relatif confort du transport suivant (50 détenus par wagon, avec les portes ouvertes pendant le trajet et des gardes peu agressifs) n’ont pas manqué de susciter diverses hypothèses :
– Selon certains, l’envoi à Birkenau aurait simplement été le résultat d’une erreur bureaucratique de l’Office Central SS d’Économie et d’Administration des Camps, rectifiée après deux semaines.
– Selon d’autres, le convoi aurait été destiné à Buchenwald, mais il y aurait été refoulé une première fois et détourné sur Auschwitz.
– Certains affirment également qu’il s’agissait d’un convoi de représailles (soit pour donner un gage à la Milice française, soit pour venger l’exécution de Pierre Pucheu à Alger), destiné à l’extermination, mais dont le destin aurait été modifié à la suite d’interventions (des familles de membres du convoi auraient intercédé auprès d’Otto Abetz)
Quelle que soit l’hypothèse retenue, aucune preuve n’a été retrouvée, qui pourrait expliquer ce passage par Birkenau. Les tenants des diverses thèses n’ayant pu apporter à ce jour d’élément irréfutable, le mystère reste entier.
Sites internet à consulter :