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écrit le 2 avril 2003
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Congrès des Tatoués - 12-13 avril à Châteaubriant
Au début de l’année 1944, dans un monde où la vie humaine compte peu, dans une France exsangue où les passions sont exacerbées, les Nazis débarrassent le territoire occupé de tous ceux qu’ils savent pouvoir devenir redoutables le jour du débarquement allié.
Après avoir, pendant deux années, infiltré plus ou moins profondément une partie des Mouvements et Réseaux de Résistance, les Nazis passent à l’action. Les prisons se remplissent de patriotes et retentissent du gémissement des suppliciés, du râle des mourants, des salves d’exécution.
Ceux qui échappent à ce sort immédiat sont voués à la déportation, entreprise démoniaque destinée à mettre physiquement hors d’état de nuire les adversaires du régime tout en les faisant contribuer à l’effort de guerre allemand. Antichambre de cette déportation qui se veut afflictive et infamante, le centre de rassemblement-triage de la caserne de Royallieu à Compiègne regroupe les détenus de toutes les prisons de France avant leur départ vers l’Allemagne.
1655, le 26 avril 1944
Le 26 avril 1944, ils sont 1655, résistants dans leur grande majorité, à être parqués et isolés comme des bêtes dans l’enceinte de transit de ce camp. Le lendemain, entassés à 100 par wagon de marchandise hermétiquement fermé, ils entreprennent un hallucinant voyage de quatre jours et trois nuits à travers l’Europe, sans manger et surtout sans boire, sans dormir, sans air, debout ou accroupis.
Une cinquantaine d’entre eux sont morts, d’autres ont perdu la raison, lorsqu’ils débarquent au camp d’Auschwitz-Birkenau, près de Cracovie en Pologne. Hurlements, cravaches et coups de feu les accueillent.
Tatoués sur l’avant-bras
Après une nuit d’enfer ils sont tatoués sur l’avant-bras gauche d’un matricule (par exemple 185437 pour célestin Deroche de Sion-les-Mines, et 184976 pour Roger Aulnette de Châteaubriant). L’Histoire a retenu ce transport sous le nom de « CONVOI DES TATOUÉS »
Douze jours plus tard, excepté une centaine de blessés et de malades qui demeurent à Birkenau, le convoi est dirigé sur le camp de Buchenwald. Un tiers seulement d’entre eux y sera incorporé, les autres étant acheminés peu après au camp d’extermination de Flossenbürg.
De ces trois camps les « Tatoués » seront disséminés dans 13 camps et 41 kommandos d’Allemagne et d’Europe Centrale. Guère plus de 800 d’entre eux verront la Libération et un peu moins de 400 y survivront durablement.
Les rares survivants et leur famille se retrouveront pour leur Congrès annuel les 12-13 avril à Châteaubriant. Une cérémonie évocatrice aura lieu le samedi 12 avril à 17 h à la Borne de la Voie de la Liberté, place de la Motte, là où se trouvait le peloton nazi qui surveillait les abords lors de l’arrestation de Marcel Letertre-père (responsable local du réseau Buckmaster-Oscar, et lui-même déporté Tatoué).
Puis le cortège ira inaugurer l’exposition « déportés Tatoués » qui se tiendra à la Maison de l’Ange , du 12 au 15 avril inclus (30 panneaux, et quelques autres évoquant la vie à Châteaubriant sous l’Occupation).
Le dimanche 13 avril, à 10 heures précises, dans la cour d’honneur du Château, aura lieu un hommage à tous les déportés avec participation de « Ceux qui croyaient au ciel » représentants des cultes : juif, musulman, protestant, catholique, orthodoxe, et même de « ceux qui n’y croyaient pas » : quatre jeunes qui parleront au nom des sans-religion. Il y aura ensuite cérémonie au Monument aux Morts. Tout devra être terminé pour 11 h pour permettre aux catholiques qui le souhaiteraient, d’aller à la messe.
[Ainsi, pour une rare fois, cette cérémonie
ne sera pas liée à une messe obligatoire,
à l’inverse de toutes les autres cérémonies patriotiques de la région castelbriantaise,
(sauf le 14 juillet, le 19 mars et le 22 octobre), qui associent
toujours le seul culte catholique aux cérémonies officielles,
ce qui est anormal dans notre France
où sont séparées les églises et l’Etat].
Ecrit le 23 avril 2003 :
JE VOUS AI TOUS VUS,
MOI, LE VIEUX DONJON
_ Je suis là depuis tant de siècles
Personne ne connaît mon âge
Mais mes pierres sont un coffre précieux,
Le plus précieux peut-être : celui de la mémoire
La tienne, sire de Brient,
Et puis vous les Dinan
Et vous Seigneur Jean de Laval
Je vous revois conter fleurette à votre Françoise de Foix
Et lui construire cette perle princière
J’ai vu la ville grouillante de 40 000 soldats pendant la Révolution
40 000 !
Et j’ai aperçu là , dans la rue de Couë ré, Sophie Trébuchet
Eblouie par son léopold et bientôt mère de Victor.
Le grand Victor Hugo
Je vous ai presque vu naître, à deux pas d’ici
Au château des Fougerays,
Jacques Pâris de BOLLARDIERE
Je vous ai vu jouer dans ces jardins
Au petit soldat, bien entendu.
Avant de devenir un GRAND soldat,
Compagnon de la Libération
et le général le plus décoré de l’armée française
Je vous ai vus, gars de Châteaubriant,
En 1914 partir à la guerre, la fleur au fusil.
Et votre nom est là sur le monument
Veillé par un Poilu de pierre
J’ai vu les foules de gens, déboussolés, dans la débâcle
Chercher abri dans ces cours, dans ces salles, sous cette galerie.
Et puis les bruits des bottes ...
Les bruits des bottes : ils durèrent quatre années
Le Poilu m’a raconté une étrange histoire :
C’était par une nuitée de novembre 1940, le 10 je crois
Des pas feutrés, cinq silhouettes
Une échelle, un drapeau caché sous un manteau
Pas un rai de lumière ne perçait les ténèbres ni le couvre-feu
Et au petit matin du 11 novembre,
le Poilu s’est éveillé tenant dans ses bras le drapeau tricolore
interdit
Alors il y eut des cris de colère :
ACHTUNG ! Ils ont osé faire ça !
Oui, ils avaient osé
Le signal était lancé
Le Pays de Châteaubriant était entré en Résistance
Pas seulement les cinq
Mais toute la région
Et toute la France aussi
Et tout changea dans cette enceinte apparemment paisible.
Je surprenais les allées et venues dans la Sous-préfecture,
LÃ , à mes pieds.
On conspirait. Assurément
Ici ... ici derrière les arcades,
c’étaient les gendarmes français qui, le soir, cherchaient comment faire fuir
les jeunes désignés pour le service du travail en Allemagne
ou passaient furtivement chez les Résistants pour les prévenir du danger
ou sur les routes du voisinage qui menaient aux lieux de parachutage.
Un soir j’ai vu le juge Fichoux
fermer pour la dernière fois la porte du Tribunal,
Ici, où il avait mission de rendre la justice
Nul ne le revit jamais. déporté lui aussi
Je savais bien qu’Ã cent mètres, à la Poste, sur la Place des Terrasses
on triait le courrier de la Kommandantur
pour en soustraire les lettres de délation. On sortait, inquiet.
Gestapo peut-être ? Elle était partout.
Mais on risquait tout
Quelques personnes il est vrai ...
mais de cela je ne veux par parler aujourd’hui.
La nuit parfois, j’apercevais des ombres furtives
qui couraient autour de la gare
Je savais bien que c’étaient des Résistants
qui repéraient les emplacements des wagons, le trafic des trains
et de la gare pour en informer Londres.
Tout était noté, enregistré, codé
Et filait en curieux messages vers l’Angleterre
pour le réseau Buckmaster ou d’autres réseaux.
Plus d’une fois j’ai vu des jeunes se glisser le long de ces murs
forcer des portes, dérober des armes à l’Occupant.
Un soir, un 6 février 1942, trois partirent Dieu sait où.
déportés
Et puis ce sinistre 22 octobre 1941.
Oh ! ce 22 octobre
Des camions s’engouffrent sous ce porche.
Ils stoppent au bout de la pelouse, là .
Alors, ignoble besogne, 27 corps sanglants sont jetés dans ce bâtiment.
Pour une nuit.
Et j’ai entendu une rumeur effrayante monter de la ville.
déjà le poste radio caché dans la Grande Rue avait lancé la nouvelle.
C’était donc vrai ? C’était possible ?
Un 30 novembre 1943, tout le quartier de la Motte fut bouclé.
Le vent du large me le murmurait :
Trois Résistants partaient, menottes aux mains
déjà en route vers ... des lieux d’horreur.
Le réseau Buckmaster venait d’être décapité.
Peu après, le 21 janvier 1944,
plus de vingt Résistants connurent le même sort.
Tout le Pays de Châteaubriant était dévasté
Erbray et Fercé
Rougé et Ruffigné
Noyal et Sion
Martigné et Soulvache
St Julien et Treffieux ..
En mai 1944 il y eut d’autres arrestations
Le calvaire continuait.
Et un jour de juillet 1944 : des sifflements tridents,
des bombes pleuvent sur l’usine, sur la gare
Sur le château lui-même . LÃ , cette tour qui s’écroule ...
Et ce fut le silence.
Ce silence plus angoissant que les explosions des bombes
J’ai vu tout cela, moi, le vieux Donjon
J’ai entendu les pleurs des fiancées et des épouses,
Des mamans et des enfants.
Et l’on parlait aussi, presque à voix basse
de ceux qui attendaient depuis cinq ans, là -bas, dans des camps
aux noms imprononçables.
Mais un jour ...
Le tumulte se mêla de cris de joie
On croyait que c’était fini.
Et un rouge-gorge se mit à chanter, comme dit le poète.
Le Poilu retrouva son drapeau
Il y avait, à ses pieds, ce 4 août 1944,
une gerbe. Une gerbe d’hortensias. Bleus, Blancs, Rouges
Et sur la place de la Motte, plus tard,
la borne de la Voie de la Liberté
Et moi le vieux Donjon,
compagnon des siècles,
je suis toujours là .
Et je vous crie
A toutes et à tous :
On n’arrête JAMAIS
La marche de la Liberté
(texte d’Emile Letertre prononcé par David Clausse,
dimanche 13 avril 2003, au Château de Châteaubriant
lors du Congrès des déportés Tatoués)