Ecrit le 2 octobre 2013
Michèle Hersant, qui travaille avec des prostituées, livre ici quelques questions ou réflexions ou avis concernant la prostitution.
« Cette activité est à nouveau sur le devant de la scène médiatique. Il faut ouvrir d’autres voies à notre réflexion et connaissance et non répéter toujours les mêmes arguments depuis des lustres » dit-elle à propos du projet de loi visant à pénaliser les clients des prostituées..
« Les personnes qui aujourd’hui vivent de prestations sexuelles tarifées, qui paient des impôts, des cotisations sociales et cotisent à une caisse de retraite, comment vont-elles pouvoir travailler si leurs clients sont pénalisés ? »
Si cette activité, quand elle est rémunérée, était inscrite au Code du travail, ses acteurs bénéficieraient des mêmes droits et auraient les mêmes devoirs comme pour toute autre activité salariée ou exercée en indépendante. Les inspecteurs du travail, les syndicats et organisations professionnelles joueraient leur rôle de protection et sauvegarde des droits des travailleurs(es). Des violences au travail telles que harcèlement moral ou sexuel, des morts, des suicides, des exploités, des dépressions, on en trouve dans toutes les activités rémunérées. Il n’est pas besoin d’être prostituée pour avoir un mal-être au travail et être victime d’exploitation !
Et si cette activité sortait des cadres idéologiques ou moraux, ne serait-elle pas mieux appréhendée et étudiée car libérée de tout clivage passionnel ?
Et si la prostitution des personnes étrangères était pleinement intégrée dans la lutte contre tout travailleur clandestin et les réseaux qui les font venir, cette lutte ne serait-elle pas plus efficace ?
Cette activité prostitutionnelle revient continuellement dans l’actualité car elle n’est jamais appréhendée en toute réalité. Et si la parole était directement donnée aux personnes en activité de prostitution et organisées en syndicats ou associations, n’aurions-nous pas un autre éclairage sur leur travail ? et nous pourrions connaître ce qu’elles désirent et leurs revendications. Dans les médias, leur expression est très vite contrée par des personnalités prônant la pénalisation des clients et avançant toujours les mêmes arguments.
La femme a acquis des droits : d’ouvrir un compte bancaire, de travailler, de poursuivre une maternité ou non, sans l’autorisation de son mari. Il lui reste un droit à conquérir : son indépendance sexuelle. La prostitution c’est aussi une conséquence de la non-égalité entre les femmes et les hommes ! Tant que la femme ne sera pas reconnue pleinement en égalité à l’homme dans sa différence et non dans sa ressemblance, les violences, les discriminations et le sexisme ordinaire perdureront pour toutes, prostituées ou non !
Et puis tous ces moralisateurs ou idéologues de gauche comme de droite ont laissé nos entreprises s’envoler dans des contrées lointaines où des travailleurs sont exploités à en mourir ou vivent dans une très grande misère. Une morale, une dignité pour qui ? La morale, la dignité, ceux qui s’y réfèrent la placent à la hauteur qui les arrange !
En France des Chinoises, des Nigérianes, des Roumaines viennent travailler dans la rue. Posons-nous de bonnes questions. La mondialisation et la Chine, qui en profite ? Les richesses du sous-sol nigérian qui en profite ? Les mines, l’industrie autour du porc en Roumanie qui en profite ?
La prostitution nous renvoie à notre propre sexualité, nos propres fantasmes, frustrations, tabous, intimité pas toujours très bien épanouie. Comment ces femmes osent-elles exposer une pratique que nous-mêmes nous cachons, non seulement par pudeur et fidélité, mais aussi par gène ou honte, imprégnés que nous sommes par toute une éducation multi-centenaire culpabilisant le plaisir. Femme soumise à l’homme, devoir conjugal, faite pour mettre au monde les enfants officiels du mari portant son nom et non celui de la mère ! Ce schéma reste bien ancré dans nos têtes, conscient ou inconscient.
Cette activité qui revient sur le devant de la scène médiatique suite à la proposition de loi de Maud Olivier va-t-elle enfin être abordée dans toute sa réalité avec pragmatisme, rigueur intellectuelle, libérée de tout clivage passionnel hypocrite.
Pour une personne qui se prostitue, la rémunération permet de désacraliser l’acte et lui donne sa justification. La femme est consentante, par défaut ou non de pouvoir exercer une autre activité, ce qui est vrai notamment pour les personnes étrangères et elle est payée pour cela. Elle négocie le tarif de la passe avec un client. La personne prostituée dérange car l’acte sexuel n’est plus un acte gratuit d’amour mais un acte d’échange commercial où les deux parties ont souvent un nom d’emprunt !
Michèle Hersant
Ecrit le 9 octobre 2013
La prostitution et la morale
La Mée, (voir ci-dessus), donne la parole à Mme Michèle Hersant qui expose son avis quant à la prostitution à l’occasion des débats concernant un projet de loi visant à pénaliser les clients des personnes prostituées. Projet qu’elle désapprouve. A plusieurs reprises elle s’en prend à la morale qui, selon elle, n’a pas à être évoquée dans ce débat.
Pourtant je note qu’il existe une morale de la république qui est tout entière dans sa devise : « liberté, égalité, fraternité ». n’est-elle pas là pour s’opposer à la loi de la jungle ?
Quelle est la liberté des personnes prostituées qui, dans leur immense majorité sont victimes des violences des réseaux, des proxénètes ?
Qui oserait prétendre, en matière d’égalité, que la dignité des personnes prostituées est la même que celle des gens exerçant des activités professionnelles conventionnelles ? On l’oublie trop souvent, sans doute pour pouvoir la regarder sans en être choqué, mais la prostitution n’est pas une profession libérale. Elle est bien une atteinte à la dignité des personnes prostituées et fait partie de ces violences silencieuses faites, pour l’essentiel, aux femmes.
Qui oserait dire que le regard du client posé sur une personne prostituée, vue alors comme objet sexuel à consommer, a quelque chose de fraternel ?
Oui, la morale de la république me parle.
Je partage l’avis des partisans de l’abolition de la prostitution qui soutiennent un projet de pénalisation des clients des prostitués-es et qui disent : « Nous exigeons d’en finir avec la complaisance sociale qui autorise ces hommes, en toute indifférence, irresponsabilité et mépris, à exploiter sexuellement des personnes dont ils ignorent tout. »
« Quand je mange un bifteck, je ne me demande pas si la vache a souffert » répond un client de prostituées au réalisateur de documentaires Hubert Dubois, qui l’interroge sur les prostituées victimes de la traite. Un autre dit : « On n’est pas dans un monde de Bisounours, sur terre, les hommes vendent et achètent tout ! » Tout est dit. n’est-il pas temps pour ces hommes d’assumer leurs responsabilités ainsi que l’exigent d’ailleurs les textes internationaux ? Leur comportement nuit à autrui, il a des conséquences sociales. c’est à leur profit que les proxénètes et les trafiquants organisent, par tous les moyens, le « marché » . Peuvent-ils continuer à l’ignorer ? Je suis de ceux qui refusent la marchandisation des personnes.
La demande de prostitution alimente le marché de la traite des êtres humains (80% des victimes de la traite le sont à des fins d’exploitation sexuelle). Il s’agit de protéger l’immense majorité des prostituées, qui sont d’abord des victimes de violences de la part des réseaux, des proxénètes.
Le 2 décembre 1949, une convention approuvée par l’assemblée générale des Nations unies établissait que « la prostitution et le mal qui l’accompagne, à savoir la traite des êtres humains en vue de la prostitution, sont incompatibles avec la dignité et la valeur de la personne humaine ».
Sylviane Agacinski, philosophe, dit : Le législateur n’a pas vocation à intervenir dans la morale privée des « femmes entretenues » ou des « gigolos », ce qui lui serait d’ailleurs impossible. Mais il lui appartient de dire si le corps humain et ses organes doivent être reconnus comme des marchandises à la disposition du public, ce qui serait contraire au droit français. « Les promoteurs du projet de loi disent : » Il nous semble que ces principes ont pour vocation de protéger les plus vulnérables. Si la vente de ses propres organes est interdite, c’est parce que l’autoriser reviendrait à favoriser toutes sortes de pressions poussant les plus démunis à céder leur rein ou leur cornée contre rémunération. c’est pourquoi l’achat d’organes est un délit pénal, quand bien même la personne qui les vend serait volontaire et revendiquerait cette liberté.
c’est donc bien sur le fondement de ces valeurs que la présente proposition de loi entend responsabiliser les clients de la prostitution, améliorer la protection des victimes de la traite et du proxénétisme et encourager la lutte contre ces deux formes de criminalité. "
Pierre URVOY