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Ecrit le 16 juin 2010
Pierre Gaultier, souvenirs du Maquis de Saffré
1er décembre 1939, Pierre Gaultier, 14 ans, s’embauche à la Mine de fer de Rougé, comme son père et son grand-père. LÃ , il rencontre Georges Laurent, responsable JOC (Jeunesse Ouvrière Chrétienne), un jeune très patriote. « Nous avions une réunion de JOC tous les mois, à la cure de Rougé, avec l’abbé Guihéneuf. On parlait de la mine surtout. Moi j’étais aide-magasinier et j’habitais la cité minière de Bonne Fontaine ». 1940 : l’arrivée des Allemands à Châteaubriant. Pierre Gaultier se souvient : « Ã la JOC nous parlions de la guerre, plus tard nous apprendrons que Georges Laurent avait refusé de partir pour le STO, Service du Travail Obligatoire, et qu’il était recherché. Il était un exemple pour nous ». Il se rappelle aussi des affiches allemandes disant : « Jeunes Français, prenez garde. Tout franc-tireur saisi les armes à la main sera fusillé »
6 juin 1944, le débarquement des Alliés en Normandie. Les jeunes suivent les nouvelles du front. Le message de radio-Londres, « Le Canal de Suez est en feu » met la Résistance en état de mobilisation générale « c’est à ce moment-là que je suis parti au maquis, j’avais 18 ans et demi. » dit Pierre Gaultier.
Le maquis de Teillay
Le maquis ? C’était la forêt de Teillay, une forêt très vaste ! « Nous avons construit des huttes avec des arbustes et des branchages. Pas de bâches. Quand il pleuvait nous étions trempés. Nous étions ravitaillés par les cultivateurs des environs qui nous apportaient des veaux et des porcs. Nous faisions la cuisine à l’ancienne, sur des fourneaux de fortune et très peu de gamelles. La toilette ? Ça c’était secondaire. Nous étions en guerre, nous savions que nous voulions combattre pour la libération de la France ».
Mais un jour, dans un café de Teillay, un individu clame à qui voulait l’entendre, qu’il y a un Maquis dans la forêt de Teillay. Danger. Il fallait quitter les lieux. « Les 23 et 24 juin nous sommes partis vers le maquis de Saffré : 41 d’entre nous dans les camions de la minoterie Lebec, le premier soir. Les 42 autres, dont moi, nous sommes partis le lendemain. Pour tout armement nous n’avions qu’une mitraillette » Sten « , nous avions fait des entrainements de montage et démontage mais nous n’avions jamais tiré : il eût été dangereux de nous faire repérer ».
Le groupe de 83 maquisards de Teillay vient donc grossir les rangs des jeunes cachés dans la forêt de Saffré. La ferme des Brées appartient à Constant Aubry mais est exploitée par la famille Chevau. c’est le PC (poste de commandement) du maquis. La Volante et la Première compagnie (commandée par le capitaine Marionneau) logent au PC (ferme des Brées). La deuxième compagnie (confiée au capitaine Constant Aubry) se trouve dans le village voisin au Pas du Houx. « Moi je couchais dans la paille, dans le hangar ou dans le grenier » dit Pierre Gaultier.
Mais pourquoi Saffré ? Selon A.Perraud-Charmantier, la forêt de Saffré, 500 ha, « loin des voies fréquentées, au milieu de taillis et futaies impénétrables et enchevêtrés, très étendus, se soudant aux forêts de Vioreau et de l’arche » est un excellent emplacement pour l’établissement d’un terrain de parachutage, dans l’espoir de disposer des armes et des munitions sans lesquelles rien ne pouvait être fait en Loire Inférieure.
l’armement est constitué d’armes venant du Maquis de St Marcel, de quoi armer une cinquantaine de personnes seulement : 11 fusils mitrailleurs, 24 mitraillettes, quelques fusils anglais, quelques pistolets, ou fusils de chasse et une caisse de 35 grenades défensives anglaises. Le groupe de choc appelé « la Volante » compte une vingtaine de maquisards avec mitraillettes, grenades et pistolets automatiques. Des jeunes comme Georges Chaumeil et Georges Laurent, sont chargés de monter la garde. La Première Compagnie (capitaine Marionneau) compte 160 hommes. « Moi je faisais partie de la 2e compagnie, en cours de constitution, avec une centaine de jeunes répartis en trois sections dont l’une était commandée par James Linard (fils) » le fils de James Linard du groupe CND Castille de Ruffigné.
En attendant le moment d’intervenir, les jeunes maquisards font de l’éducation physique et du maniement d’armes, et préparent le terrain de parachutage dans la plaine des Gouvalous, à proximité de la ferme des Brées : arbres abattus, fossés comblés, terrain nivelé. La piste fait 1800 mètres, le parachutage est attendu pour le 28 juin 1944.
28 juin 1944
« Le 28 juin 1944 au matin, je n’étais pas de garde. Je dormais profondément. Mon camarade Roger Morin me soulève de terre et me laisse retomber. » Tu es fou « lui ai-je dit ! Mais ce n’était pas le moment de discuter. Il m’avait réveillé car les Allemands attaquaient, ils hurlaient comme des sauvages. Ça tirait de partout. Une trentaine de camarades étaient déjà partis par le pignon de la ferme Fourny, je les ai rejoints en emportant ma couverture, sans penser qu’elle pourrait m’encombrer ». Les jeunes étaient si peu armés qu’il n’était pas question de faire front. Le groupe atteint une voie ferrée. James Linard (fils) qui avait pris la tête du groupe, tient une grenade à la main. Un maquisard porte un sac de balles. C’était leur seul moyen de défense.
« La voie était gardée par une mitrailleuse allemande. Avons-nous étés vus ? Je ne sais pas comment nous avons pu passer ». Le groupe traverse ensuite un champ de céréales « Je ne sais plus ce que c’était, je sais seulement qu’elles étaient assez hautes pour nous cacher. Nous entendions en lisière du champ les Allemands qui patrouillaient ».
Le groupe traverse un village où les paysans fournissent des caches. « Puis nous nous sommes séparés : cinq groupes de 6 pour diminuer le danger. Moi je faisais partie du groupe Rougé-Soulvache. Il faisait chaud, j’avais les pieds gonflés » . « Partez sans moi » dit Pierre Gaultier à ses camarades. Mais Jean-Marie Joly reste avec lui. « Nous avons dormi dans un grenier à foin, au dessus d’une écurie, auprès d’un château, dans la forêt de Vioreau. Nous entendions les coups de fusil au loin. Le cheval tirait sur sa chaîne, ce qui nous réveillait. Nous avons eu peur. Nous avons fait le tour des bâtiments, 2 ou 3 fois. Pour rien, heureusement ». Le lendemain les deux jeunes s’en vont à Louisfert « Nous avons dormi dans une ferme du maire. Jean Marie Joly a emprunté un vélo pour aller jusqu’Ã Bonne Fontaine voir le Père Sailly, chef d’exploitation de la mine. Il nous a dit qu’il fallait nous camoufler. Jean Marie est revenu me chercher »
Les Allemands étaient chez moi
Les deux jeunes rejoignent Bonne Fontaine à travers champs : entreprise harassante quand il faut faire des tours et des détours pour trouver une barrière ou un échalier. « Cette nuit-là j’ai pu dormir chez moi et y passer la journée. Mais le soir, pour rien au monde, je ne serais resté. J’avais comme un pressentiment. Je suis allé chez notre voisin, Armand Poirier. Bien m’en a pris car, au petit matin, les Allemands étaient chez moi, il y en avait un à chaque porte et fenêtre. ils ont emmené mon père, avec le père Giron, le père Henry et le père de Georges Laurent »
« J’ai voulu aller me rendre » - « Surtout ne fais pas cela, ils vont tous vous fusiller ». Les prisonniers, attachés 2 par 2 dans la cave de la Kommandantur à Châteaubriant, seront relâchés au bout d’une semaine : le directeur de la mine était intervenu pour faire libérer ses ouvriers. « Moi je suis allé me cacher au Ruisseau, chez la mère Bruno, avec un copain, Alphonse Jouault. La brave femme nous a hébergés dans le cellier jouxtant la pièce unique de sa ferme. Les miliciens nous cherchaient. Nous, on s’ennuyait ! Un jour nous sommes allés voir le père de René Leloup à Fercé et nous avons fait un tour de bateau sur un étang à proximité. Insouciants ! En revenant nous avons été interpellés par Jean ménard, un porion, fâché de nous dire que nous avions été repérés. Je suis alors parti à Mouzeil chez ma tante, jusqu’Ã la libération de Châteaubriant »
La Poche de St Nazaire
« Je suis revenu à Châteaubriant à la libération de la ville. Pierre Marionneau était commandant de la place. J’ai été enrôlé dans le troisième bataillon. Nous étions sans uniforme »
Le jeune homme, il n’avait pas encore 19 ans, part ensuite combattre sur le front de St Nazaire, toujours sous les ordres du capitaine Marionneau, sur la ligne de défense de la fameuse « poche ». « Nous avons aménagé des blockhaus en creusant le sol sur 50 cm de profondeur. Une partie servait de dortoir, le reste était la salle de garde. Le tout était protégé par un toit de troncs d’arbres recouvert de terre pour résister aux obus allemands. Notre front se trouvait à Plessé, nous étions d’un côté du canal de Nantes à Brest. De l’autre côté, autour de Guenrouë t, les Allemands grimpaient dans les pommiers pour nous observer. Il n’y avait entre nous que quelques centaines de mètres ». C’était une zone tampon sillonnée par les uns et les autres ! Un jour, lors des vendanges de noah, les Français se servirent des gobelets de jus de raisin sorti du pressoir. Un peu plus tard, les Allemands aussi . « Finalement, c’étaient les SS et les fanatiques du nazisme qui étaient méchants... » dit Pierre Gaultier.
Un jour, au Dresny, village de Plessé, un fermier est venu dire aux Français que 5 ou 6 Allemands étaient chez lui et voulaient se rendre. « Trois ou quatre gars y sont allés. sous la direction de Baptiste Cadot. C’était un piège : les Allemands entouraient la ferme. Fusillade. Une dizaine de maquisards arrivent en renfort. Moi je faisais partie du troisième groupe. Nous sommes arrivés après la bataille où mourut René Thibaud, victime d’une balle explosive dans la cuisse. Nous avons réussi à faire prisonnier leur chef. J’étais chargé de le garder sous le préau de l’école. Heil Hitler ! Il ne voulait rien céder »
De temps en temps les Allemands attaquaient pour savoir ce qu’ils avaient devant eux. « Ils disposaient de deux petits canons : ils tiraient avec l’un et avançaient l’autre. Nous ripostions avec un fusil mitrailleur pour montrer notre force. Ils repartaient, alors » .La ligne de défense était perméable. Du côté de Sainte Adeline, en Plessé, dans la cave de l’ancien château de Carheil, il y avait du bon vin. Les soldats français en dégustaient de temps en temps. Les Allemands aussi Un jour ils s’y sont trouvés ensemble. Heureusement nul n’était armé.
Nantes
« En décembre 1944 nous avons été envoyés à Nantes, caserne Mellinet pour enrôlement dans le 18e RCC (régiment de Cavalerie à Cheval). Nous avons passé un Conseil de Révision. Tous mes copains ont signé ce jour-là , pas moi mais j’ai fini par accepter de rester jusqu’à la fin de la guerre. A Mellinet nous faisions de l’instruction. Il fallait marcher au pas. Une-Deux, Une-deux. Moi cela ne m’intéressait pas ! La nuit nous faisions le mur ! Nous étions un peu voyous sur les bords ! »
Pierre Gaultier se souvient des jeunes officiers bien proprets avec des uniformes tout neufs. « Nous les appelions : des naphtalins. Nous ne voulions pas les saluer. Nous n’étions pas des soldats de métier » Avec la petite équipe issue du maquis se trouvait Baptiste Cadot, de Châteaubriant, avec le grade d’adjudant. « C’était un dur ! Du côté du Pont de Pirmil, à Nantes, effondré, on ne pouvait passer la Loire que par un pont de fortune, flottant. Un jeune officier a voulu em-bêter mon Baptiste : il a mouillé son bel uniforme quand, déséquilibré, il est tombé à l’eau ».
Par la suite Pierre Gaultier fut envoyé du côté de Royan où se trouvait une autre poche d’Allemands. « La moitié des nôtres sont partis avec des chenillettes délivrer l’île d’Oléron. Nous, nous étions à pied, de chaque côté des tanks. Un petit »coucou« (avion) réglait le tir des canons qui se trouvaient plus loin derrière nous du côté de Cognac ».
La Poche de Royan
Royan : la bataille de libération a duré trois jours et trois nuits en avril 1945. « On crevait la faim ! Nous étions nourris comme des cochons, avec nouilles et haricots moisis. Nous avions une boule de pain de 2 livres pour 10 personnes, par jour. Dans les fermes on buvait du vin : cela nous emplissait l’estomac. A Royan, les Allemands avaient, eux, un imposant ravitaillement . Nous avons fait 8000 prisonniers. Quand nous sommes entrés, nous avons défilé fièrement le long de la plage ».
« Ensuite nous sommes allés à Loudun. Le lieutenant voulait que je fasse : Une-Deux, Une-Deux, moi je ne voulais pas signer dans l’armée, car je n’aime pas obéir. Avec la fin de la guerre j’ai pu rentrer chez moi. Je portais un uniforme vert de l’armée de Vichy ! Rempli de poux ! Les poux de corps sont plus hargneux que les poux du cuir chevelu Je suis allé à la douche collective de la mine et ma soeur a fait bouillir l’uniforme pour le nettoyer mais les lentes étaient toujours vivantes ! Sales bêtes ! Sans doute en restait-il encore quand j’ai renvoyé l’uniforme à l’armée ».
Retour à la Mine
Pierre Gaultier n’avait pas encore 20 ans. Il est retourné travailler à la Mine de la Brutz, a pris des cours de dessin industriel et de français et est devenu aide-géomètre. Mais la mine a fermé en 1950 (incendie). La société JJ Carnaud lui a proposé un poste de comptable à Paris : il a accepté malgré les difficultés de logement : pendant des mois il lui a fallu, tous les jours, téléphoner en cours de journée pour trouver une chambre pour le soir.
« Je ne connaissais rien à la comptabilité mais un cadre, M. Rialland, m’a pris en amitié et m’a poussé à apprendre la comptabilité analytique. Heureusement, je pigeais tout de suite ». Pierre Gaultier a fini sa carrière comme chef de bureau de comptabilité à Rouen. Et maintenant, toujours bon pied bon Å“il, il se consacre à la mémoire du Maquis de Saffré, en tant que président de « Saffré-Londres ».
Le maquis de Saffré
Printemps 44 : les réseaux de résistants reçoivent la mission de retarder par tous les moyens l’arrivée de renforts allemands sur le front de Normandie. Vingt-trois groupes sont constitués en Loire-Inférieure, dix-huit d’entre eux donneront l’ossature de maquis de Saffré. 6-8 juin 1944, débarquement des Alliés en Normandie. La BBC diffuse le message Le canal de Suez est en feu. Une liaison s’établit entre des responsables de Loire-Inférieure et les Forces Françaises Libres au Maquis de St Marcel (Morbihan). 14-15 juin 1944 : décision de regrouper une centaine d’hommes en forêt de Saffré pour préparer le terrain de parachutage, en vue d’armer la Résistance. Le parachutage, retardé par les mauvaises conditions atmosphériques, doit avoir lieu le 28 juin. 24-25 juin arrivée à Saffré des 83 maquisards de Teillay. En tout le maquis de Saffré compte environ 310 hommes : 160 aux Brées (PC du maquis), 110 au Pas du Houx, 20 hommes de la Volante, 20 aviateurs récupérés. 28 juin 1944 : vers 5 h du matin, le maquis est encerclé par 2000 Allemands et 600 miliciens. 13 maquisards sont tués. Les autres peuvent s’enfuir. 29 juin 1944, des maquisards sont arrêtés, 27 d’entre eux seront fusillés au château de la Bouvardière à St Herblain 29 personnes décéderont en camp de concentration. Au total : 69 victimes, auxquelles il faut ajouter les 4 tués et 2 déportés suite au guet-apens de La Brosse en Sion-les-Mines le 11 juillet 1944. |
Ecrit le 30 octobre 2019
Adieu à Pierre
Il était le dernier maquisard survivant du Maquis de Saffré. Passionné de la France et de La Mine de Rougé. Pierre Gaultier nous a quittés à 94 ans. La Mée a raconté ses souvenirs en 2010 : Journal La Mée article 2329