Ecrit le 4 décembre 2001 :
Massacre à la forteresse de Qala-e-Jangi
Des chevaux éventrés gisent dans la poussière, mêlés aux cadavres déchiquetés de combattants étrangers dans la vaste cour de la forteresse de Qalae-Jangi en Afghanistan, le 28 novembre 2001.
Pour mater la révolte de 600 prisonniers talibans, concentrés dans ce fort du XIXe siècle, l’aviation américaine a effectué plus de 30 sorties. Et l’Alliance du Nord les a tirés comme des cartons à une baraque de tir dans une fête foraine.
La forteresse est un champ de bataille, totalement chaotique. Des véhicules, jeeps et camions aux squelettes métalliques calcinés par les bombes américaines. De grands sapins, fauchés par les obus. Des maisons en terre éventrées, trouées de roquettes. Le sol est jonché de fragments de bombe, d’obus, de roquettes. Et, partout, ces cadavres éparpillés, aux têtes éclatées, aux membres arrachés. Un char de l’Alliance du Nord écrase de ses chenilles plusieurs corps.
Il est impossible d’accéder à certaines parties derrière le rempart Sud en raison d’un amoncellement de troncs fauchés, de ferrailles tordues, de maisons écroulées. C’est ici qu’ont résisté jusqu’au bout les derniers volontaires étrangers pro-talibans. Dans cet immense décor d’apocalypse, les combattants de l’Alliance du Nord vont et viennent, ouvrent des caisses de munitions, tirent avec un char un camion embourbé.
Le général Abdul Rashid Dostam, est venu constater la reprise de la forteresse. Blouson noir sur robe marron, grande stature, le général Dostam, dit que ses hommes ont proposé aux Pakistanais, Arabes, Tchétchènes et Ouzbeks, qui constituaient la « légion étrangère » des talibans, de se rendre, mais qu’ils ont refusé. « Alors, nous avons dû les tuer », dit-il en lissant sa moustache.
Le CICR (comité international de la Croix Rouge ) a obtenu l’accord du général Dostam pour évacuer les cadavres des combattants étrangers. « C’est une mesure de salubrité publique, mais aussi nous voulons essayer de les identifier pour pouvoir informer leurs familles », explique Olivier Martin responsable du CICR.
Le général Dostam a arpenté la vaste cour, puis il est monté sur le rempart Est, troué d’un énorme cratère produit par une bombe, où se trouve ce qui devait être un appartement confortable constitué de chambres et de salons. Il s’est assis dans un fauteuil, au milieu des débris de verre et de tapis en morceaux. « Je vais reconstruire la forteresse », dit-il.
Quelques tirs, quelques explosions secouent encore le silence du champ de bataille. Des chevaux rescapés hennissent. Les soldats ne semblent pas particulièrement soulagés par la fin des combats, comme s’il ne s’agissait que d’une étape de plus dans l’actualité guerrière de l’Afghanistan. L’un d’eux lave avec précaution dans un ruisseau fangeux une paire de chaussures noires de tennis qu’il vient d’enlever à un cadavre. Puis il les enfile avec plaisir.
Un soldat ramasse tranquillement des fusils dans un champ de cadavres. Malheur aux dépouilles des vaincus. Même dans la mort les vaincus ne sont pas des hommes. On a honte d’être un Homme.
De nombreuses questions restent sans réponse : pourquoi n’avoir pas sérieusement désarmé les prisonniers à leur arrivée ? Pourquoi les avoir rassemblés dans un endroit où se trouvaient entreposées des armes ? Pourquoi les avoir laissés tous ensemble, alors qu’on les disait très dangereux, sans un nombre de gardiens suffisant pour les surveiller ? Pourquoi les Occidentaux, présents sur les lieux, les ont-ils laissés sous la surveillance du général Dostam dont on connaît le lourd passé en matière de mépris des droits de l’homme ?