Extraits des lettres « Le cercle littéraire des amateurs de tourtes aux épluchures de patates » (de Mary Ann Shaffer et Annie Barrows traduction : Aline Azoulay) :
Eben : « Le jour radieux décline et nous entrons dans les ténèbres », j’aurais aimé connaître ces mots de Shakespeare le jour où les Allemands ont envahi notre île de Guernesey. Ça m’aurait un peu consolé, je crois. Je me serais senti mieux préparé pour affronter la situation, au lieu de quoi, mon cœur s’est liquéfié. Ils sont arrivés un dimanche. Le 30 juin 1940. Ils nous avaient bombardés pendant deux jours, ils ont tué des hommes embarqués sur des canots de sauvetage, ils ont mitraillé des ambulances de la Croix rouge , l’hôpital Ils ont tué ma fille Jane et son bébé
Elisabeth : . Ensuite, ils ont débarqué là pour nous occuper pendant cinq ans. Ah, au début, ils étaient tellement fiers d’avoir conquis une petite parcelle d’Angleterre qu’ils croyaient n’avoir qu’un petit saut à faire pour atterrir à Londres. Quand ils se sont rendu compte de leur bêtise, leur méchanceté a repris le dessus.
Dawsey : Ils nous avaient pris tous nos postes de radio, vous savez si vous vous faisiez prendre avec une radio, ils vous envoyaient direct en camp sur le continent. (fin des extraits)
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E 8 : Après la victoire de l’armée rouge à Stalingrad en février 1943, les Français entrevoient une possible défaite de l’armée allemande, la Résistance s’unit et s’organise comme le réseau Buckmaster-Oscar particulièrement actif au Nord de la Loire-Inférieure, avec beaucoup d’agents femmes, le long de la ligne St Malo, Rennes, Châteaubriant et St Nazaire.
Mais le chemin de la capitulation allemande est encore long vers le tombeau du troisième Reich. La violence monte barbare et sanglante, comme lors de ces « faux » procès : « le procès des 42 » en février 1943 et « le procès des 16 » en août 1943 où fusillades et déportations marquent à jamais les âmes françaises !
Le 30 novembre 1943, le réseau Buckmaster Oscar, qui aura tant fait dans notre région pour favoriser les parachutages anglais et la lutte armée, est dénoncé et décimé. Tous les membres sont déportés dans les camps de l’enfer. Les arrestations de janvier à juin 1944 à Châteaubriant accentuent la répression.
Un résistant 44 : Les femmes ont eu un rôle très important dans la Résistance, qu’elles soient libres en France, ou internées dans des camps. Comme Gisèle Giraudeau au camp de Ravensbrück.
Gisèle Giraudeau : « Dans les forteresses ou dans les camps, ou dans les Kommandos d’usines, le principal souci était d’opposer un maximum de force d’inertie devant le travail afin de réduire la production, d’organiser le sabotage. »
Le Résistant 44 : Ou Jean-Pierre Gasparro au Kommando de Gusen déclarant : ’’Les Allemands avaient besoin d’avions de chasse (), on a saboté le travail. Une fois en vol, les appareils étaient obligés de capoter.’’
Femme de 1944 - L’ouvrier poète Missak Manouchian avait pris la tête d’un groupe de jeunes juifs, hongrois, polonais, roumains, espagnols, italiens, arméniens, tous déterminés à combattre pour libérer la France. Dans la clandestinité et au péril de leur vie, ils vont harceler l’occupant, faire dérailler les trains
Infiltrés, les membres du groupe de Manouchian sont arrêtés en novembre 1943. Et 23 combattants de la première section parisienne de l’armée secrète sont condamnés à mort. Les Nazis vont faire de cette arrestation une propagande outrageuse et placarder des affiches de ces hommes, transformés en criminels, sur les murs du Tout-Paris et dans la France entière : « l’armée du crime » disaient-ils.
Femme de 1944 - Il y a 70 ans, le 21 février 1944, à 15 heures, au Mont Valérien, des salves de balles vont cribler les corps de ces Résistants.
« L’étranger libérateur » d’Aragon : chanté par léo Ferré. (extrait)
« Vous aviez vos portraits sur les murs de nos villes, noirs de barbe et de nuit, hirsutes menaçants, l’affiche qui semblait une tache de sang, parce qu’Ã prononcer vos noms sont difficiles, y cherchait un effet de peur sur les passants. Tout avait la couleur uniforme du givre, à la fin février pour vos derniers moments et c’est alors que l’un de vous dit calmement : ’’Bonheur à tous, Bonheur à ceux qui vont survivre, Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand ».
Femme de 44 : Et puis il y a l’acharnement : la solution finale pour les 6 millions de Juifs, les 500 000 Tziganes, les Homosexuels, les Résistants, les Justes, tous ceux qui disparaissent dans les camps d’extermination et de concentration d’Allemagne. De Châteaubriant, 407 internés sont d’abord envoyés à Voves puis à Compiègne, antichambre des camps de la mort : Dachau, Mauthausen, Buchenwald, Auschwitz et tant d’autres, dont en Alsace Le Struthof Natzweiler.
Une Poupée à Auschwitz (extrait)
Sur un tas de cendre humaine une poupée est assise. Dans ses mains, il y a peu, l’enfant tenait la poupée. Dans ses bras, il y a peu, la mère portait l’enfant, la mère tenait l’enfant comme l’enfant la poupée, Et se tenant tous les trois, c’est à trois qu’ils succombèrent dans une chambre de mort, dans son enfer étouffant. La mère, l’enfant, la poupée, La poupée, l’enfant, la mère. Parce qu’elle était poupée, la poupée eut de la chance. Quel bonheur d’être poupée et de n’être pas enfant... Moshe Schulstein : Auschwitz
Sur un bruitage de vent.
La faim
« Le corps est vide. Il n’y a pas de solution. Il ne souffre pas. Aucune douleur. Mais le vide dans la poitrine, dans la bouche, dans les yeux, entre les mâchoires qui s’ouvrent et se ferment sur rien, sur l’air qui entre dans la bouche. Les dents mâchent l’air et la salive. Le corps est vide. () cherche un poids pour l’estomac, pour caler le corps sur le sol, il est trop léger pour tenir. » (extrait de Robert Antelme, L’espèce humaine)
Appel à Maidanek
’’Son strident de cloche. La baraque craque comme un vieux tronc. d’un pas mesuré les hommes vont, marchent et tremblent de froid. Rangs gris de miséreux, ossements fragiles retenus par des loques. Le désespoir frappe. (). Le jour qui vient, point de repos pour les bras des forçats chargés de pierres. La cloche du camp se tait, sourdement. Les rangs emplissent la place d’appel. Crânes dénudés ravagés, livrés au vent sauvage. c’est l’instant de recueillement. L’une près de l’autre soupirent les poitrines. J’entends la toux dans les hurlements du vent. Et je sens la Mort dans sa marche’’. Grigori Timofeevy : Maïdanek
Yves Pelon : « Je m’appelle Yves Pelon, j’en suis revenu... Dans le camp de Struthof, tous les détenus laissaient une fine tranche de leur ration de pain, pour la solidarité. Le pain recueilli ainsi était distribué à un déporté mal en point. »
Marcel Guibert : « Je suis Marcel Guibert ancien déporté Pour tenir il fallait conserver une activité intellectuelle, réciter des poèmes, être solidaire envers d’autres détenus. »
Les enfants de 2014 : Tandis que les Russes accentuent la pression sur le front de l’Est, que les Forces Navales Françaises Libres mènent la Bataille de l’Atlantique, voici qu’arrive le 6 juin 1944, le débarquement des Alliés : Anglais, Américains et Canadiens !
Extraits des lettres « Le cercle littéraire des amateurs de tourtes aux épluchures de patates » (suite)
Dawsey : Ici, à Guernesey, certains habitants avaient pris le risque d’écouter la radio . Et ils avaient entendu dire que les Alliés allaient débarquer en Normandie. Vous imaginez Nous n’étions pas censés le savoir ! La chose la plus difficile que j’ai eue à faire c’était de marcher dans la rue de St Peter Port, le 7 juin 1944 sans avoir l’air joyeux, sans rire, sans sourire, sans rien faire qui puisse avertir les Allemands que je savais ! Je savais que leur fin était imminente. s’ils nous avaient démasqués, ils se seraient défoulés sur l’un de nous. C’était terriblement difficile de faire semblant d’ignorer que le jour J était enfin arrivé !
Une femme d’Arromanches : C’est le début de la terrible bataille de Normandie. J’avais quatre ans à Arromanches et blottie contre ma mère, enfouie dans une cave, j’ai connu l’apocalypse
Arrivent des femmes, des enfants, des hommes, ils se regroupent au centre de la scène, serrés les uns contre les autres, et doucement vont s’allonger au sol.
Un homme de 44 : Les représailles allemandes s’intensifient. Les maquisards des Glières et du Vercors se sacrifient. Miliciens, collaborateurs et soldats allemands, massacrent des innocents : comme les 642 femmes, enfants et hommes du village d’Oradour sur Glane le 10 juin 1944, comme les 52 villageois raflés et fusillés à Mussidan le 11 juin 1944.
Oradour (de Jean Tardieu) Sur une musique : « Terre vue du ciel »
Oradour n’a plus de femmesOradour n’a plus un hommeOradour n’a plus de feuillesOradour n’a plus de pierresOradour n’a plus d’égliseOradour n’a plus d’enfantsPlus de fumée, plus de riresPlus de toits, plus de greniersPlus de meules, plus d’amourPlus de vin, plus de chansonsOradour, j’ai peur d’entendreOradour, je n’ose pasApprocher de tes blessuresDe ton sang de tes ruinesJe ne peux pas, je ne peux pasVoir ni entendre ton nom.Oradour je crie et hurleChaque fois qu’un cœur éclateSous les coups des assassinsUne tête épouvantéeDeux yeux larges, deux yeux rougesDeux yeux graves, deux yeux grandsComme la nuit, la folieDeux yeux de petits enfantsIls ne me quitteront pasOradour je n’ose plusLire ou prononcer ton nomOradour, honte des hommes (...)Oradour n’est plus qu’un criEt c’est bien la pire offenseAu village qui vivaitEt c’est bien la pire honteQue de n’être plus qu’un criNom de la haine des hommesNom de la honte des hommesLe nom de notre vengeanceQu’Ã travers toutes nos terresOn écoute en frissonnantUne bouche sans personneQui hurle pour tous les temps.
Jean Tardieu
(fin de la musique Terra incognita)
Un homme : En juin-juillet 1944, c’est l’attaque du Maquis de Saffré, les guet-apens de la Brosse en Sion-les-Mines, les exécutions de Bout-de-forêt à Juigné-des-Moutiers. Les Allemands cherchent à détruire tous les ilots de Résistance qui les empêchent de concentrer leurs troupes sur le front de Normandie.
Les témoins s’ouvrent de chaque côté de la scène. Et sur l’introduction musicale de : « In the Mood » Glenn Miller, on voit une femme sur le côté.
Une femme : De Gaulle est maintenu à l’écart par les Alliés américains et anglais ! Il rêve de fouler le sol français aussi libéré par son peuple, les Résistants, l’armée de l’ombre unifiée autour de Jean Moulin, qui a parcouru la France occupée afin de créer le Conseil National de la Résistance. Ce sera le mérite exceptionnel de Jean Moulin d’avoir compris, dès le premier jour, que sans l’unité, la Résistance n’avait aucune chance de survivre !
Du fond de la scène, on voit arriver le Général de Gaulle, suivi d’une foule de gens. Il monte en avant-scène et s’approche du micro sur pied. :
La femme : Paris est libéré le 25 août par la 2e Division Blindée du Général Leclerc , par son avant-garde « La Nueve » composée essentiellement de Républicains espagnols et par le colonel Rol-Tanguy, ses FFI, Forces Françaises de l’Intérieur, qui tenaient les rues depuis sept jours et avaient contraint les Allemands à se réfugier dans quelques points d’appui.
On entend un message radio en direct.
Rol Tanguy : Moi colonel Rol-Tanguy je vous parle : Les FFI et les FTP ont engagé la bataille pour sauver Paris, protéger les monuments, les ponts, les habitants. J’en appelle à la population parisienne.
Nous manquons d’armes face aux mouvements rapides des chars ennemis, il suffit d’empêcher les Boches de rouler !
J’en appelle aux hommes, aux femmes, et aux enfants : il faut construire des barricades ! Ainsi l’ennemi sera isolé et cerné. Signé Rol
La femme (elle reprend) : 26 août 1944, le Général De Gaulle descend les Champs Elysées au milieu d’une immense foule en délire !
De Gaulle : Paris outragé Paris brisé Paris martyrisé mais Paris libéré ! Par son
peuple ! Libéré par lui-même ! Par la France toute entière !
Applaudissements de tous.
On voit danser la foule sur l’air américain de Glenn Miller. « In the mood »
Un Homme de la Libération : L’Etat rétabli en cet été 44 est issu de la constitution du Conseil National de la Résistance, (celle du 27 Mai 1943) avec son unité affirmée face aux Alliés !
Bal populaire avec un mélange de danses françaises et américaines sur : « In the mood ».
Sur l’estrade, montent deux hommes et une femme :
C ’est le programme : Les jours heureux ! définissant la nouvelle République
- - Le rétablissement du suffrage universel ;
- - La pleine liberté de pensée, de conscience et d’expression ;
- - La liberté et l’indépendance de la presse,
- - La liberté d’association, de réunion et de manifestation ;
- - Le respect de la personne humaine
- - L’égalité absolue de tous les citoyens devant la loi ;
La musique se transforme en air français :« Le Jazz et la Java » de Claude Nougaro
a ) Sur le plan économique :
- - Le retour à la Nation des grands moyens de production monopolisés, fruits du travail commun, des sources d’énergie, des richesses du sous-sol, des compagnies d’assurances et des grandes banques ;
b ) Sur le plan social :
- Le droit au travail et le droit au repos,
- La sécurité, la dignité et la possibilité d’une vie pleinement humaine ;
- Un plan complet de sécurité sociale, visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence
- Une retraite permettant aux vieux travailleurs de finir dignement leurs jours
c) Une extension des droits politiques, sociaux et économiques des populations indigènes et coloniales.
d) Accès à l’instruction et à la culture les plus développées pour tous !
Une femme : Quant au droit de vote des femmes, voté le 21 avril 1944 grâce notamment à l’action de Fernand Grenier, il sera mis en application bientôt.
Une Femme : En avant donc, dans l’union de tous les Français rassemblés autour du Gouvernement Provisoire, avec la nouvelle République ! Les Alliés ne peuvent plus douter de la légitimité de la France à gouverner son Pays !
Fin de la musique : « Le Jazz et la Java »
Des jeunes de 2014 : La joie est indescriptible, mais elle n’efface pas le souvenir. Le courage, c’est de continuer de vivre et d’aimer la vie comme l’ont si bien dit les lettres des Internés, des déportés avant de tomber ! Et qui représentent les graines, le levain de la construction d’un programme du CNR plein de justice sociale et de fraternité !
Les enfants du début montent sur l’estrade : Voilà ce que nous insuffle le souvenir de ceux qui ont donné leur vie. : ne jamais oublier, pour vivre libres, heureux et dignes. ()
Une femme : Charlotte Delbo fut l’une des quarante-neuf rescapées du camp d’Auschwitz sur les deux cent trente femmes déportées « politiques » que comptait le convoi du 24 janvier 1943. Elle a beaucoup écrit et témoigné.
Charlotte Delbo : « Je vous en supplie, faites quelque chose ! Apprenez un pas, une danse,
quelque chose qui justifie, qui vous donne le droit d’être habillé de votre peau, et de votre poil. Apprenez à marcher, à rire, parce que ce serait trop bête à la fin, que tant soient morts et que vous viviez sans rien faire de votre vie ! ».
Chanson « Sans la nommer » de Georges Moustaki.
Je voudrais, sans la nommer, vous parler d’elle comme d’une bien-aimée, d’une infidèle, une fille bien vivante qui se réveille à des lendemains qui chantent sous le soleil.C’est elle que l’on matraque, que l’on poursuit, que l’on traque. C’est elle qui se soulève, qui souffre et se met en grève. C’est elle qu’on emprisonne, qu’on trahit, qu’on abandonne, Qui nous donne envie de vivre, qui donne envie de la suivre. Jusqu’au bout, jusqu’au bout.Je voudrais, sans la nommer, lui rendre hommage, Jolie fleur du mois de mai ou fruit sauvage, Une fille bien plantée sur ses deux jambes. Et qui traîne en liberté où bon lui semble.Je voudrais, sans la nommer, vous parler d’elle. Bien-aimée ou mal aimée, elle est fidèle. Et si vous voulez que je vous la présente, on l’appelle Révolution Permanente
Les enfants 2014 : Bertold Brecht, le grand poète a dit « le racisme, l’homophobie, la haine ont failli dominer le monde ! Les peuples ont fini par en avoir raison (...) Mais nul ne doit chanter victoire hors de saison (...) Le ventre est encore fécond d’où a surgi la bête immonde (...) ».
Les enfants commencent alors l’hymne de la Carrière ! « L’Âge d’Or » léo Ferré.
Nous aurons du pain doré comme les fillessous les soleils d’or,nous aurons du vin, de celui qui pétillemême quand il dort . "