Ecrit le 10 juin 2015
Lettre à Nicolas Revel,
Directeur de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS)
Monsieur le Directeur,
Pourquoi tant de haine et d’humiliation envers les pauvres ? Vous annoncez avec fierté la mise en œuvre, après expérimentation dans trois caisses primaires, d’un « super » contrôle des bénéficiaires de la CMU-C.
En mettant le projecteur sur la population pauvre de ce pays, vous omettez de dire que la véritable et importante fraude aux prestations sociales est le travail dissimulé de la part des employeurs. Il est toujours plus facile de taper sur ceux qui sont vulnérables, cela exige moins de courage que la lutte contre la fraude des employeurs. Votre expérimentation dit que la fraude des bénéficiaires de la CMU-C est anecdotique. Le rapport coût bénéfice est négatif, mais vous cherchez une posture politique de gestionnaire responsable, selon le credo de bonne gestion des finances publiques.
Qu’appelez-vous fraude ?
Qu’appelez-vous fraude ? Chez ces personnes la fraude est de dissimuler des ressources. Mais vous ne faites pas la différence entre l’organisation collective d’une escroquerie avec faux documents et la non-déclaration par une personne d’une aide solidaire de la famille. Faut-il vous rappeler deux choses fondamentales : ces personnes sont précaires (la valeur d’un euro n’est pas la même pour eux et pour vous et la CMU-C est l’accès au droit fondamental des soins). Dans une de ces caisses, 30 % de la population renonce aux soins. Est-il cohérent, au regard des valeurs et des missions de l’institution que vous dirigez, d’investir des sommes considérables pour débusquer un tout petit nombre de fraudeurs, alors que vous savez que votre mission est d’aider à l’accès aux soins.
Jetés par les fenêtres
Surtout, M. le Directeur, ne répondez pas que votre mission est de bien utiliser l’argent public, car alors il faut commencer à balayer devant votre porte. Combien de millions d’euros jetés par la fenêtre à l’Assurance maladie : l’affaire Lucentis/Avastin, le remboursement des soins inutiles, le surcoût des dispositifs d’organisation que vous mettez en place qui, non seulement déstabilisent le système de l’offre de soins du premier recours, mais coûtent cher pour un service rendu quasi inexistant. Et nous pourrions parler de la politique du médicament et du coût de celui-ci, plus cher en France que dans le reste de l’Europe.
Non, M. le Directeur nous n’avons pas besoin de morale sur la gestion du système de soins, nous avons besoin que vous défendiez les valeurs de la sécurité sociale, celle de la solidarité, et d’abord pour permettre aux populations victimes innocentes de la crise économique de se soigner.
Mesurez-vous le mal que vous faites avec votre chasse aux fraudeurs ? Vous faites de cette population le bouc émissaire de notre société en crise : c’est tellement plus facile de faire l’amalgame entre bénéficiaire d’un droit et un abuseur du système. C’est indigne mais non surprenant. Savez-vous que dans votre institution les contrôleurs zélés que vous employez promeuvent la délation en donnant crédit aux lettres anonymes, savez-vous que le dossier à remplir pour la CMU-C est une épreuve pour ceux qui en ont le plus besoin, savez-vous que vous ne respectez pas la loi en n’accordant pas l’automaticité de délivrance de la CMU-C aux bénéficiaires du RSA , savez-vous que l’accès en urgence à la CMU-C est bafoué régulièrement dans les centres de la CPAM ?
Alors M. le Directeur, nous qui soignons tous les jours ces familles exclues de la société, nous avons de leur part un message à vous transmettre. La lutte quotidienne pour la survie demande du courage et de l’énergie, des valeurs de solidarité, les pauvres se prêtent entre eux comme probablement aucun autre de nos concitoyens, les pauvres avalent des insultes à longueur de temps, les parents pauvres soignent d’abord les enfants et prennent sans cesse des risques pour leurs vies
Alors M. le Directeur, arrêtez d’humilier nos patients, mettez vos moyens et vos énergies à lutter contre les véritables fraudeurs et faites vivre les valeurs de l’Assurance maladie qui sont, d’abord, de protéger les plus faibles et non pas de s’en servir pour bomber le torse et faire croire que les déficits de l’Assurance maladie proviennent de la fraude de quelques dizaines de personnes qui ont osé dissimuler quelques centaines d’euros dans leurs dossiers.
Vous allez regarder les comptes bancaires de ces personnes, alors dites-nous combien sont dans le rouge, combien de gens vivent avec presque rien. J’espère que la vue de la misère dans notre pays vous donnera la nausée.
M. le Directeur, nous sommes des soignants, qui faisons vivre le magnifique projet de nos aînés ayant combattu le nazisme et imaginé la sécurité sociale, alors, au lieu de défendre des vertus politiques qui n’en sont pas, soyez solidaire de notre combat !
Patrick Dubreil, médecin, président du SMG
(Syndicat de la médecine Générale)
Didier ménard, président d’honneur du SMG
Notes
La CMU-C procure la prise en charge de la part non remboursée des soins par l’assurance maladie. Pour y avoir droit, il faut percevoir des revenus inférieurs à 720 euros par mois pour une personne seule, 1080 euros pour un couple. 5,2 millions de personnes en bénéficient actuellement.
Selon Jean-Michel Cano, représentant CGt à la CPAM (voir l’Humanité du 15 mai 2015) « On nous dit que, lors d’une expérimentation de contrôles de comptes bancaires sur 1000 assurés, on aurait trouvé 10% de la population en situation d’indélicatesse. Mais à aucun moment on ne nous donne officiellement un chiffre, une étude argumentée, circonstanciée. En réalité, sur l’ensemble de la fraude à l’assurance maladie, [192 M€ en 2014] celle imputable aux seuls assurés représente 19%. Et encore, en y incluant la fraude aux indemnités journalières versées en cas d’arrêt de travail, dont une partie n’est pas de la responsabilité de l’assuré, mais de l’employeur »
On estime ainsi que 3 millions de personnes qui devraient être couvertes par la CMU-C n’en bénéficient pas, par défaut d’information, parce qu’elles ont renoncé à la demander face à la complexité de la procédure (47 documents à fournir !), ou par crainte d’être stigmatisées en tant qu’ « assistées ».
Selon le rapport du comité national de lutte contre la fraude (mai 2014)
– En 2012 (dernier chiffre disponible), la fraude détectée par les caisses de sécurité sociale atteint : 562,3 millions d’euros dont 150 M€ au titre de la fraude aux prestations sociales (maladie).
– En 2012, c’est 18,1 milliards d’euros de fraude qui ont été détectés en matière de fraude fiscale. Soit 120 fois plus que la fraude aux prestations maladie.
Mais les banques impliquées dans l’industrie de l’évasion fiscale qui coûte chaque année de 60 à 80 milliards d’euros à l’État français, on les laisse tranquilles !