Ecrit le 22 juin 2016
La Mée s’intéresse beaucoup à l’histoire ancienne de notre région. Mais, le 10 juin dernier, à l’invitation de la Croix-Rouge et de l’association MISAS sénégal, le général Dominique Delawarde a brossé un tableau de l’évolution des relations internationales de 1945 à 2016. Il montre comment nous, pauvres citoyens de base, nous ne sommes que des pantins dans une bagarre mondiale qui se fait au dessus de nos têtes.
Pour lui, l’évolution des relations internationales de 1945 à 2016 peut se diviser en trois périodes.
1) 1945-1990 La guerre froide
Au sortir de la guerre 1930-1945, le monde s’est réorganisé autour des vainqueurs. La création de l’ONU, de son Conseil de sécurité, de ses cinq membres permanents avec droit de veto ; les accords de Bretton Woods organisant un système monétaire international fondé sur le dollar ; la création du FMI (Fonds Monétaire International) et de la Banque mondiale dont la direction reste aux mains des Occidentaux : c’est sur la base de ces trois principaux accords, qui prévalent toujours aujourd’hui, que les Occidentaux vont bâtir leur puissance économique et leur prospérité.
De 1945 à 1990 s’écoulent 45 ans d’une période souvent qualifiée de « guerre froide » au cours de laquelle les relations internationales s’articulent autour de deux axes :
– Un axe Est-Ouest opposant le monde communiste et son outil militaire, le Pacte de Varsovie, au monde capitaliste dirigé par les États-Unis et son outil militaire l’OTAN. Les deux blocs disposant de l’arme nucléaire, la confrontation totale est évitée par l’équilibre de la terreur. Chacun des blocs s’occupe de sa zone d’influence cherchant toute occasion de l’étendre par des guerres régionales (Guerre de Corée, Cuba, Guerre du Vietnam, multiples conflits en Afrique, révolutions et coups d’Etat en Amérique du Sud).
– Un axe de relations Nord-Sud entre des pays riches à démographie contrôlée exploitant les ressources de pays, souvent décolonisés au sortir de la guerre ; pays pauvres, instables, à démographie galopante. Des flux de matières premières et des flux migratoires importants circulent du Sud vers le Nord.
Dans l’immédiat après guerre, le processus de décolonisation est enclenché. De 51 Etats en 1945, l’ONU compte plus de 180 états indépendants en 1990. Certains pays refusent de s’aligner sur les grands et créent le mouvement des non alignés : Bandoung (1955) .
2) de 1990 à 2008 Super-puissance américaine...
Après l’effondrement de l’Union Soviétique, les États Unis restent la seule superpuissance dans un monde qui entre alors dans une période de transition. Cette période de 18 ans commence par une période de détente et de désarmement quasi général. Les efforts budgétaires de défense sont réduits, voire s’effondrent dans presque tous les pays de l’OTAN et du pacte de Varsovie (division par 2 ou par 3) à l’exception notable des États Unis. Soucieux d’assumer et de conserver leur place de seule superpuissance sans aucune opposition, ces derniers conservent un budget de défense très élevé et interviennent à tout propos dans les affaires du monde, usant et peut-être même abusant de ce pouvoir sans partage pour imposer partout leur loi, conforme à leurs intérêts. (occupation de Panama, 1re guerre du Golfe, invasion d’Haïti, bombardement puis intervention en Bosnie, bombardement de l’Irak, de l’Afghanistan et du Soudan, Guerre du Kosovo).
Un mouvement d’idées, appelé néoconservateur, qui transcende les deux grands partis états-uniens (républicains et démocrates) monte en puissance au cours de cette période. Nombre de ses membres accèdent à des niveaux élevés de l’administration américaine. Il publie son programme en 1997 : le PNAC (Project for a new american century), un projet très ambitieux pour la défense des intérêts et de la suprématie des USA pour un nouveau siècle, par tous les moyens, y compris militaires.
c’est durant cette période que l’on assiste aux attentats du 11 septembre 2001 sur le WTC et le Pentagone, attentats qui ont marqué les esprits. Ces attaques suicide sur le World Trade Center et le Pentagone renforcent considérablement la position des néoconservateurs américains qui ont désormais les mains libres pour développer leurs actions visant à consolider l’hégémonie mondiale des USA. Ils vont s’emparer des principaux rouages du pouvoir aux États Unis, mettre en application, sous la Présidence Bush, leur PNAC publié en 1997.
et désordre international
Ces événements du 11 Septembre 2001 sont le point de départ d’un engrenage malsain dans la politique étrangère américaine et donc dans la géopolitique mondiale. De septembre 2001 à nos jours s’ouvre une période de désordre international clairement créé et entretenu par les néoconservateurs états-uniens. Guerre en Irak (à partir de 2003) - Révolutions colorées (Rose 2003, Orange 2004, Tulipe 2005). En Octobre 2006, proclamation de I’État Islamique d’Irak, père de l’État islamique actuel, en réplique à la guerre menée par les néoconservateurs américain de Bush à partir de mars 2003. Le monde unipolaire, dominé et régenté par une superpuissance unique, elle-même dirigée par les néoconservateurs états-uniens et soutenue fidèlement par quelques états vassaux de l’Union européenne (France et Grande Bretagne en particulier) va pourtant rencontrer une première opposition, qui progressivement se renforce et se durcit à partir de 2008.
3) de 2008 à nos jours et au delà .
Pour de nombreux pays, l’attitude des États-Unis, seule superpuissance depuis 1990, n’a pas été jugée pacifique, impartiale et désintéressée. Ces pays, toujours plus nombreux, ont vu, dans cette superpuissance unique, un facteur de désordre plutôt que d’ordre dans les relations internationales, un facteur de déséquilibre et d’injustice sur le plan économique avec le maintien d’institutions datant de la fin de la 2e guerre mondiale et ne tenant aucun compte de l’évolution du monde, un traitement très partial et orienté des problèmes du Proche Orient.
Dès 2001, une première alliance visant à promouvoir la sécurité en Asie, donc affichant clairement un volet militaire, se met en place. c’est l’OCS (organisation de coopération de Shangaï), sous la houlette de la Russie et de la Chine, elle regroupe 4 autres pays d’Asie Centrale, et se renforce en 2015 par l’arrivée de l’Inde et du Pakistan. Ces huit pays comptent aujourd’hui la moitié de la population de l’humanité, quatre puissances nucléaires, deux droits de veto a l’ONU.
A partir de 2008, cinq grands pays s’organisent peu à peu pour promouvoir un monde différent. Ce sont les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud). Ils représentent aujourd’hui, à eux cinq, 42 % de la population mondiale et 25 % de son économie. Trois de ces cinq pays sont des puissances nucléaires, deux d’entre elles ont un droit de veto à l’ONU. On retrouve dans les BRICS le noyau dur de l’OCS (Russie, Inde, Chine).
Le programme des BRICS s’articule autour de quatre objectifs communs :
- 1- La construction d’un monde multipolaire, donc le rejet d’un monde unipolaire dirigé par les États Unis.
- 2- La construction d’un nouvel ordre économique mondial donc la réforme du système FMI, Banque Mondiale, et la remise en cause du monopole du dollar,
- 3- La réforme de l’ONU, de son conseil de sécurité et des droits de veto pour tenir compte de l’évolution du monde.
- 4- La reconnaissance de l’État Palestinien dans ses frontières de 1967 pour mettre fin à un conflit empoisonnant toutes les relations internationales depuis 1945, bien au-delà du Proche Orient.
La cohésion de ces pays aux cultures très différentes, aux intérêts divergents, se construit, au-delà des antagonismes qui ont pu les opposer dans l’histoire, sur leur volonté de rééquilibrer le monde, de réformer sa gouvernance et sur des rencontres fréquentes entre leurs dirigeants. Qu’on le réalise ou non, le monde revient progressivement vers un bras de fer, plus ou moins feutré, entre deux camps : celui du maintien du statu quo (USA « uber alles », FMI, Banque Mondiale, dollars), celui du changement (monde multipolaire, évolution du système économique mondial, reconnaissance de la Palestine).
Presque tous les grands événements qui se déroulent depuis 2008 dans le monde, et leurs dégâts collatéraux, parfois dramatiques, peuvent être rattachés, directement ou indirectement à ce bras de fer. D’un côté l’Occident et l’OTAN, de l’autre les BRICS et l’organisation de coopération de Shanghai.
Depuis 2008 nous avons vécu :
- .0 Les Printemps arabes (2011) et les guerres civiles en Syrie, mais aussi en Irak, en Afghanistan, en Libye. . ..
- .1 En avril 2013, création de l’état islamique en Irak et au Levant qui se sépare d’Al Quaïda et devient DAESH, soutenu en sous-main par la Turquie, l’Arabie Saoudite et le Qatar, avec la bénédiction du clan occidental.
- .2 En automne 2013 : La crise ukrainienne, toujours en cours
- .3 En 2015 : Le début d’une crise en mer de Chine
- .4 En avril et mai 2016 : un coup d’état au Brésil avec mise à l’écart de Dihna Roussef.
Aucun de ces événements récents n’a été aussi spontané qu’on l’a dit à la télévision ou dans la presse. Bien sûr, l’incident de départ qui met le feu aux poudres peut être fortuit et spontané mais l’exploitation de cet incident est préméditée, calculée, préparée, exécutée sans grand souci des dégâts collatéraux qu’on n’évalue pas toujours à leur juste mesure et qui peuvent s’avérer catastrophiques.
Deux camps s’opposent désormais et continueront de s’opposer jusqu’Ã ce que l’un des deux l’emporte ou s’effondre. Le camp occidental a gagné la guerre froide. Plutôt déclinant aujourd’hui, il n’est pas certain du tout qu’il gagne son bras de fer une deuxième fois.
Peut-on imaginer un retour à la guerre avec chars, avions, arme nucléaire ? Le général Delawarde pense que non. L’OTAN n’a plus une avance technologique lui permettant de compenser une très forte infériorité numérique. Le monde revient donc à une sorte d’équilibre de la terreur.
(extraits des propos du Général délawarde)
Autre article à venir : six formes de la guerre : chauffer les opinions publiques, affaiblir l’économie d’un pays, diviser pour régner, attiser les oppositions religieuses, terrorisme. Ce ne sont pas des guerres à l’ancienne. Et 90 % des victimes de conflits actuellement dans le monde sont des civils.