Ecrit le 22 mai 2019
Interrogés au printemps 2017 dans le cadre du Panel des médecins généralistes libéraux, près d’un quart des praticiens des Pays de Loire considèrent exercer sur un territoire en situation de défavorisation sociale, et 16 % estiment qu’au moins un de leurs patients sur dix est vulnérable socialement. Une large majorité (83 %) des médecins généralistes s’accordent à penser qu’il est de leur rôle de repérer systématiquement les personnes en situation de vulnérabilité sociale.
Les réponses des médecins généralistes témoignent des multiples difficultés soulevées par la prise en charge des patients vulnérables socialement, complexité qui se traduit par un véritable sentiment d’impuissance exprimé par deux-tiers des praticiens.
Les praticiens des grands pôles urbains et des communes à dominante rurale déclarent plus fréquemment que ceux des zones périurbaines exercer sur un territoire en situation de défavorisation sociale.
précarité sociale : ce champ recouvre la précarité financière, l’absence de couverture sociale, la précarité dans le logement, les personnes prises en charge pour une pathologie psychiatrique et/ou addictologique, et les personnes migrantes.
Les facteurs familiaux, sociaux, culturels sont aujourd’hui bien identifiés comme des déterminants majeurs de l’état de santé de la population. Certains facteurs de fragilité jouent notamment un rôle important. En Pays de Loire, la part des 18-24 ans ayant quitté le système scolaire sans diplôme présente de fortes disparités. Elle est significativement plus élevée dans les zones éloignées des aires urbaines, notamment dans la partie Est du Maine-et Loire, en Sarthe, dans le Sud Vendée et au Nord de la Loire-Atlantique.
Interrogés sur le dernier patient adulte vu en consultation et considéré en situation de vulnérabilité sociale, les praticiens évoquent le plus souvent, parmi une liste de sept critères proposés, ceux d’ordre économique : « revenus insuffisants pour satisfaire les besoins primaires » (68 %), « difficultés liées à l’emploi » (59 %) : ainsi que la notion d’« isolement social » (65 %).
Les personnes décrites cumulent le plus souvent ces difficultés, qui sont très corrélées entre elles : près des trois quarts des praticiens attribuent ainsi aux patients deux à quatre critères de vulnérabilité.
La connaissance de l’environnement social des patients constitue un préalable nécessaire à une prise en charge adaptée. La très grande majorité (83 %) des médecins généralistes ligériens considèrent à cet égard qu’il est de leur rôle de « repérer systématiquement les patients en situation de vulnérabilité sociale »
La plupart (90 %) des médecins généralistes ligériens s’accordent à penser qu’il est de leur rôle « d’adapter leur relation avec un patient en situation de vulnérabilité sociale » . 87 % pensent en outre qu’il est de leur ressort « d’adapter leur prise en charge biomédicale » . Ces proportions restent très élevées quels que soient le sexe, l’âge, la zone d’exercice (urbaine ou rurale, plutôt défavorisée ou non) et le mode d’exercice (seul ou en groupe) des médecins.
Les praticiens apparaissent par contre plus partagés vis-Ã -vis de leur rôle dans « l’organisation de collaborations interprofessionnelles (secteur social et médicosocial) » . Moins de deux sur trois (61 %) se retrouvent en effet dans cette mission. Ce résultat pourrait traduire une certaine forme d’isolement ressenti par les professionnels dans ce domaine. A cet égard, 84 % des praticiens indiquent n’avoir que « parfois » , « rarement » ou « jamais » des « contacts spécifiques avec d’autres professionnels de santé pour la prise en charge de patients en situation de vulnérabilité sociale » (39 % n’en ont que « rarement » ou « jamais » ).
Plus de la moitié (56 %) des médecins généralistes indiquent qu’il est de leur rôle « d’accorder des aménagements financiers aux personnes en situation de vulnérabilité sociale » . En pratique, 84 % des praticiens déclarent avoir « souvent » ou « parfois » accordé des aménagements de ce type à certains de leurs patients au cours du dernier mois, alors que parmi ces médecins 40 % considèrent que cela ne fait pas partie de leur rôle.
Plus de la moitié (52 %) des médecins généralistes ligériens ne se sentent pas suffisamment formés pour la prise en charge des patients en situation de vulnérabilité sociale. Les principaux champs dans lesquels ces praticiens se sentent le moins bien armés sont « les domaines et possibilités d’intervention des travailleurs sociaux » (82 %) et « l’accès aux droits dans le système français » (80 %), ce constat illustrant la nécessité de mise à disposition de guides de l’accompagnement médico-psycho-social tels que ceux proposés par l’URML (Union Régionale médecine Libérale)
Les praticiens évoquent également majoritairement leur manque de formation sur « l’utilisation d’outils de repérage des patients en situation de vulnérabilité sociale » (73 %).
Les difficultés auxquelles se heurtent les médecins présentent de multiples facettes, et le plus souvent se cumulent. Une large majorité des praticiens indiquent que l’obésité est deux fois plus importante chez les Ligériens ayant un niveau de diplôme inférieur au baccalauréat que chez ceux ayant un niveau supérieur. Le recours aux soins et à la prévention apparaît retardé et moins fréquent dans les groupes sociaux les moins favorisés, notamment chez les enfants en termes de santé buccodentaire, troubles de la vue et du langage. A 5-6 ans, 15 % des enfants ligériens d’ouvriers et d’employés présentent au moins une dent cariée (soignée ou non), 11 % ont une anomalie de la vision de loin non corrigée par des lunettes, et 13 % ont une élocution anormale, contre respectivement 8 %, 7 % et 8 % des enfants des autres catégories socioprofessionnelles.
Chez l’adulte, les inégalités d’accès à la prévention sont particulièrement bien illustrées à l’échelle nationale par les différences de participation aux dépistages organisés de cancers (sein notamment). La prévalence de nombreuses maladies est augmentée dans les groupes sociaux les moins favorisés. Ce constat, qui porte aussi bien sur les affections métaboliques (diabète), cardiovasculaires, cancéreuses que sur la santé mentale, est bien établi.
Parmi les difficultés cliniques, les problèmes liés au recours tardif aux soins, aux défauts d’observance thérapeutique ainsi qu’Ã la multimorbidité sont principalement mis en avant, par plus de 85 % des praticiens.
Les inégalités concernent aussi les restrictions d’activité : les Ligériens ouvriers, employés et agriculteurs exploitants déclarent ainsi deux fois plus souvent que les autres (8 % vs 4 %) être fortement limités dans leurs activités habituelles à cause d’un problème de santé. Chez les personnes âgées, les conditions socio-économiques ont des intrications fortes avec la fragilité, qui reflète une diminution des capacités à répondre à des situations de stress (et exposant aux risques de perte d’autonomie, d’hospitalisation, de décès).
Plusieurs études françaises montrent ainsi que les difficultés financières tout au long de la vie favorisent la fragilisation, ce processus s’accompagnant lui-même de nouvelles difficultés financières.
La nécessité d’une consultation plus longue est la première évoquée par les médecins (85 %), devant le manque de coordination entre le secteur médical et le secteur social (77 %), l’inefficacité de la prévention (74 %) et les rendez-vous non honorés (74 %). Deux médecins généralistes sur trois indiquent ressentir fréquemment un véritable « sentiment d’impuissance » face aux patients vulnérables socialement, une perception nettement partagée par les médecins du groupe de lecture de l’URML (Union Régionale de la médecine libérale).
Source :voir le site vulnerable