Ecrit le 12 novembre 2008
Yves Le Gall
On décrit le travail ou la personnalité d’un artiste, d’un poète, d’un artisan mais on oublie souvent de parler du travail d’un ouvrier. Quand celui-ci se double d’un syndicaliste, il ne faut pas se priver de ce plaisir.
Yves Le Gall est entré chez Huard, à 14 ans, en apprentissage, en septembre 1965. « Quarante-trois ans plus tard j’ai trouvé le chemin de la sortie » dit-il.
« L’école pour moi, ça ne marchait pas » dit-il « j’aurais voulu être électricien, mais je ne voulais pas aller dans une école. J’ai donc passé le concours d’entrée au centre d’apprentissage de l’usine où travaillait mon père. La première année nous faisions un peu de tout : tournage, fraisage, ajustage. La deuxième année j’ai choisi le fraisage car c’est une activité assez variée, et puis j’aimais travailler sur une machine » dit-il. Le jeune homme a passé son CAP en juin 1968. « A cette période là les apprentis étaient les seuls autorisés à rentrer dans l’usine car il y avait un piquet de grève à l’entrée. Première sensibilisation à l’action collective. » : il n’a pas d’autre souvenir des « événements de 68 »
Plus tard, quand viendra le temps des machines à commandes numériques, Yves s’adaptera en suivant une formation AFPA . « Quand on est intéressé, c’est facile » dit-il.
« Travailler chez Huard, ce n’était pas mon désir, mais j’ai pris ce boulot-là en attendant l’armée où j’ai fait mon temps dans le service de santé. On nous avait donné une formation de 3 mois, je faisais même les piqûres. J’aimais ce travail-là , j’aurais voulu le poursuivre, mais il fallait reprendre des études J’ai donc abandonné, avec regret ».
délégué
« Je suis persuadé que ce qui m’a fait trouver de l’intérêt à mon boulot, c’est d’être délégué » . délégué du personnel en 1973, puis membre du Comité d’Entreprise et délégué syndical. « J’aurais peut-être pu me consacrer totalement à mes activités syndicales mais j’ai toujours voulu conserver une activité professionnelle pour ne pas être coupé des réalités. Je travaillais à l’outillage ».
Yves était d’équipe du matin, avec travail de 5 h à 14 h au début. Quand les 35 h ont été mises en place, il travaillait de 6h10 à 13h30. « Une heure de plus le matin, c’est appréciable. Car, pour travailler à 5 h, il fallait se lever à 4h30 au plus tard, ce qui interdisait pratiquement toute activité la veille au soir. Exceptionnellement on pouvait le faire mais il fallait tenir après ! ».
« Le fraisage, c’est toujours en équipe. J’aimais travailler le matin, cela paraît moins long que l’après-midi. Il y avait l’arrivée de » la normale « et la pause casse-croûte vers 8h30. Quand les copains partaient vers midi, on savait que pour nous c’était bientôt la fin. Et puis, en travaillant le matin cela laisse des après-midi pour une vie sociale, même s’il fallait faire une sieste en arrivant chez soi ».
« délégué c’est bien. Quand on commence à avoir de la bouteille, quand on a réussi à s’affirmer, quand la Direction sait qu’on ne dit pas n’importe quoi, on peut faire progresser les choses, on peut aller trouver la Direction pour régler un problème ». « Je n’aime pas les conflits. Je cherche à arranger les choses sans renier mes convictions et ce que je pense être juste ». Une difficulté du travail des délégués : les réflexions de certains collègues de travail « toujours prêts à dire que nous nous promenons ». « Dans bien des cas j’ai répondu : aux prochaines élections, tu te présentes. Mais alors il n’y avait plus personne ! »
Atmosphère atmosphère
A l’usine Huard, Yves Le Gall pouvait prendre une pause de temps en temps pour aller discuter avec ses voisins ou dans un atelier plus lointain, tout en respectant les règles. « Bien sûril ne faut pas en abuser. Mais cette relative liberté est favorable à la qualité du travail. Le nez dans le guidon, le travail sans pause, le flicage, le stress cela ne donne rien de bien. Globalement, quand il nous arrive de nouveaux cadres, nous parvenons à maintenir cette atmosphère mais il y en a qui ont du mal à comprendre au début. On leur a inculqué, sans doute, l’idée que les ouvriers sont tous des fainéants voire des incapables. Heureusement il y a chez Huard une tradition : la Direction accepte le dialogue social et le respecte ».
Pendant quelques années Yves Le Gall a été secrétaire du Comité d’Entreprise (après Jean Gilois, André Roul et d’autres), il a participé au Comité de groupe et même au Comité européen de Bücher propriétaire de KUHN. « Cela permettait de rencontrer les délégués des autres usines, et des grands patrons. Cela permettait de donner un point de vue syndical, par exemple sur l’orientation économique du groupe, et même de demander un partage plus équitable des résultats qui sont quand même dus au travail des salariés. » - Chose pas évidente : souvent les employeurs s’entendent pour ne pas augmenter les salaires de façon à ne pas se faire concurrence dans ce domaine, pour ne pas se faucher des salariés. « c’est un secret de polichinelle les directions l’ont évoqué assez clairement ! ». [Ndlr : c’est d’ailleurs pour cela que la région de Châteaubriant était et reste une région à bas salaires ! c’est comme ça aussi que les garagistes locaux se sont opposés, dans un passé lointain, à l’implantation d’un constructeur automobile à Châteaubriant : la politique sociale de cette entreprise, à l’époque, leur aurait fait trop de concurrence !].
Yves Le Gall s’est investi aussi dans le bureau de l’Union Locale de Châteaubriant (sans jamais avoir été secrétaire de l’Union Locale), et notamment dans les dossiers prud’hommes de défense des salariés. « Cela m’a appris plein de choses » !
Il a participé également au collège « salariés » du Conseil de développement et, récemment, au Foyer du Jeune Travailleur. « Actuellement on trouve encore des salariés qui acceptent d’être délégués dans l’entreprise, mais il ne s’investissent plus à l’extérieur. Il y a une perte de la conscience de classe et de l’action collective, il y a aussi un désenchantement par rapport à l’action politique ».
Chez Huard, l’entreprise a un contrat avec la mutualité médico-chirurgicale-pré-voyance depuis 1974. Un contrat de groupe a été signé dans le département. Des délégués représentent les salariés. c’est comme cela que, aussi, Yves s’est embarqué dans l’action mutualiste. « Cela fait découvrir un autre monde, des gens venant des divers horizons, pas forcément ouvriers ».
Alors maintenant, la retraite ?? « Je n’ai plus envie de monter des dossiers, d’accumuler des déplacements et des réunions. J’ai envie d’avoir du temps pour moi, pour faire de nouvelles choses que je n’ai pas pu faire avant : voyager, faire du théâtre par exemple ... ». Et peut-être écrire aussi ? Car Yves, qui n’aimait pas l’école, écrit très bien, avec des idées, du style et de l’humour. Seul problème : les enfants qui ne sont pas encore sortis d’affaire.
Alors, rester au boulot jusqu’Ã 70 ans ? Eh bien non ! La vie est trop courte pour se tuer à travailler
Quand il se retourne un peu sur sa vie passé, Yves Le Gall commente : " Mon engagement syndical m’a ouvert sur les autres, m’a permis de me dépasser car j’étais de nature très réservé et de prendre confiance en moi. Cela m’a permis de parler d’égal à égal et donner mon avis aux directions successives de Kuhn Huard même si ça dérangeait parfois.
J’ai horreur de l’hypocrisie, de l’injustice sous toutes ses formes et du non respect des différences ! J’ai un défaut je n’aime pas les cons de quelque bord qu’ils soient ! " .