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Ecrit en novembre 1999 :
Brésil : L’expulsion des sans-terre
Au Brésil de cette fin du siècle, la question sociale est redevenue une affaire de police, et la douleur des gens continue à ne pas apparaître dans la presse de ce pays (Lire La Mée du 7 juillet 1999). A l’aube, samedi 27 novembre 1999, le gouverneur de l’Etat du Parana, Jaime Lerner, a lancé une énorme opération répressive contre les travailleurs sans terre : expulsion massive des familles, transport forcé vers des régions très éloignées, intimidation avec des armes à feu, confiscation des biens. Des menaces d’actions encore bien pires sont faites ouvertement, dans cet état où la police militaire et les milices des « latifundiaires » (gros propriétaires terriens qui, la plupart du temps, laissent leurs terres en friche) agissent souvent de concert et où divers assassinats ont eu lieu ces derniers mois. Le nombre de ces évènements n’a pas, jusqu’Ã aujourd’hui, ému la « grande presse ». Les informations sont cachées aux lecteurs ou diffusées parmi le flot quotidien des faits divers.
Oreilles sourdes, mains de fer.
Des faits extrêmement graves se passent dans le Centre Civique de Curitiba (capitale du Parana), juste en face du Palais du Gouvernement. Il y a près de 6 mois, des membres du Mouvement Sans Terre y ont installé leur campement, avec l’espoir que le Gouverneur écoute leurs revendications et prenne des décisions simples, comme l’attribution de lots de terre et de l’ouverture d’une enquête afin de déterminer quels sont les responsables des divers actes de violence pratiqués par la police ces derniers mois.
A l’aube de ce samedi, le Gouverneur Lerner a décidé de montrer que ses oreilles restaient sourdes, mais que ses mains étaient de fer. A 3 heures du matin, plus de mille policiers, portant des mitraillettes et excitant les chiens qui les accompagnaient, ont envahi la place. Ils sont entrés dans les baraques de bois et de plastique, ont pointé leurs armes vers les têtes des dormeurs et ont hurlé leurs ordres. Humiliations, coups de pieds et nettoyage. Il ne suffisait pas d’expulser, il fallait aussi humilier. Furent également détruits, à l’aide des bulldozers, les deux symboles du courage humain face au pouvoir : le potager et la boulangerie communautaire, que les habitants du camp avaient construits.
Les dirigeants des comités de défense populaire qui se dirigeaient vers le lieu furent agressés. La police conseilla à l’avocat de la Commission des Droits de l’Homme, Darci Frigo, de ne pas se mêler de cette histoire. Comme il insistait, Darci Frigo fût arrêté, les mains attachées derrière le dos, frappé à coups de pieds et coups de matraque. L’évêque Dom Ladislau Biernaski, vice-président de la Commission Pastorale de la Terre (CPT), lui aussi fut empêché de s’approcher de la place. Une équipe de nettoyeurs, formée des heures auparavant, était présente, afin qu’il ne subsiste aucune trace du campement.
Nous nous reverrons bientôt !
Les Sans-Terre furent forcés d’entrer dans des bus, en laissant derrière eux les tentes et tout ce qu’elles contenaient : leurs documents, le matériel scolaire, leurs photos, leur argent, leurs matelas.
Des heures plus tard ils furent abandonnés bien loin dans l’intérieur du pays, à des kilomètres de la Capitale, et souvent bien plus loin encore de leur lieu d’origine. Pendant le trajet, les policiers les ont menacés de nouveaux actes de violence. Une phrase revenait constamment : Attention ! nous nous reverrons bientôt !
Après l’opération, les menaces ont continué et d’autres ont été proférées contre divers campements de Travailleurs Sans Terre. Parana, un état sans loi !
La tentative d’intimidation est évidente, car cela fait des mois que le Parana est devenu l’un des états où la violence policière contre les mouvements sociaux est la plus brutale. Rien que cette année, d’après les données de la commission pastorale de la terre, ont été perpétrés contre les Sans Terre deux assassinats, trois tentatives, vingt menaces, cinq cas de torture et une séquestration. 29 expulsions violentes atteignirent 2.000 familles et 137 arrestations. La police militaire agit habituellement en association avec les milices formées par les grands propriétaires terriens.
Le climat de terreur est permanent car les criminels restent impunis.
Le silence des médias
Dans un cadre comme celui-ci, le silence de la grande presse couvre et stimule les crimes. Pour tenter d’éviter que ceux-ci se répètent, une commission formée par Dom Thomas Balduino et par divers parlementaires, a rencontré le Gouverneur. Ce fut inutile et très préoccupant car M. Lerner refusa de reconnaître les abus de la police militaire. Ce même jour apparut un détail qui rendait encore plus injustifiable l’opération policière : plusieurs jours avant ce samedi 27 novembre, un accord avait été conclu, avec le Mouvement des Sans Terre, qui prévoyait la désoccupation du centre civique pour le 30 novembre, en échange de l’acceptation de plusieurs revendications.
Lerner refusa de l’admettre.