(écrit le 2 octobre 2002)
C’est une « fuite » que n’apprécie guère Nicolas Sarkozy. Alors que les détails de son avant-projet de loi sur la sécurité intérieure s’étalent dans l’édition du « Monde » daté du 27 septembre, le ministre n’hésite pas à dénoncer le Syndicat de la magistrature qui « a cru bon de communiquer largement et de dénoncer un document de travail ».
De fait, la divulgation du projet, très répressif, ne passe pas inaperçue. Tant chez les policiers qui en ont eu la primeur mercredi 25 septembre, raconte l’Agence France-Presse, et se réjouissent d’un renversement de tendance en leur faveur, qu’auprès de la Ligue des Droits de l’Homme (LDH), qui, à l’unisson du Syndicat de la Magistrature, le juge simplement « terrifiant »
Police partout
Les dispositions dévoilées jusqu’Ã présent vont dans le sens d’une plus grande répression en étendant les pouvoirs de la police. Ainsi, les enquêteurs obtiendraient le droit de consulter les fichiers d’organismes publics ou privés (comme celui de la sécurité sociale) ou de ficher les empreintes ADN de n’importe qui, rien qu’en le déclarant « suspect ». De même, les possibilités de perquisitions de nuit et d’écoutes téléphoniques seraient multipliées. Le cadre légal permettant aux policiers de fouiller les coffres de véhicule serait étendu. Les procédures de garde à vue seraient assouplies, la visite des avocats retardée et le contrôle des magistrats réduit.
Les étrangers, les prostituées, les mendiants et les gens du voyage seraient particulièrement visés par l’aggravation de sanctions pénales existantes ou par la création de nouveaux délits. Dans ce nouvel arsenal juridique figure également le renforcement de la législation sur ... les rassemblements dans les halls d’immeubles !
La pauvreté devient un crime
Ce durcissement de la législation suscite des réactions indignées de la part des magistrats, des avocats et des associations des droits de l’homme. Pour la Ligue des droits de l’homme, ce projet « terrifiant » reprend l’idéologie du président du Front national, Jean-Marie Le Pen. « Il dessine les contours d’une société où les policiers font le travail des juges et peuvent violer en toute impunité les libertés individuelles, où les avocats sont tenus en lisière, où être pauvre devient un crime et où être simplement suspect fait de chacun de nous la matière de fichiers de plus en plus tentaculaires », déclare la LDH.
« En affichant sa volonté d’aller plus avant dans la violation des libertés individuelles, de poursuivre et d’incarcérer les mendiants et les nomades, le gouvernement a décidé d’en finir rapidement avec les principes de non-discrimination sociale, de droit au respect de la vie privée qui sont garantis par les textes fondamentaux sur lesquels repose la démocratie », critique de son côté le Syndicat de la magistrature.
« Le tout pénal ne peut pas être une solution », estime l’Union syndicale des magistrats (USM, modéré majoritaire).
Il y a « pénalisation de la misère » pense le syndicat des avocats de France, qui voit dans ce texte « un recul sans précédent depuis la Libération ».
(écrit le 20 novembre 2002)
Echos de la France d’en haut
Le 4 octobre 2002, les pandores aux aguets chopent, à 170 km/h sur l’autoroute A 11, un chauffeur et son patron, lequel est producteur et animateur de télévision. 40 km/h au dessus du maxi autorisé, c’est le retrait de permis immédiat. Mais le producteur de télé a le bras long, il réussit à joindre le préfet du Mans qui rappelle les policiers et leur dit que le seuil de retrait administratif du permis n’est pas 40 km/h mais « plus de 40 km/h ». Ouf, le producteur de télé est reparti sans ennui. C’est pratique de faire partie de la France d’en haut. (Canard Enchaîné du 16.10.2002)
Le 19 octobre 2002, dans les rues du 19e arrondissement de Paris, Claude Estier, président du Groupe Socialiste au sénat, était pressé. Il a été contrôlé à 83 km/h au lieu de 50 km/h, roulant de plus sans sa ceinture de sécurité. Interpellé, il a montré un macaron officiel sur le tableau de bord de sa voiture et est parti. Les policiers ont interrogé la salle de commandement central à la préfecture qui leur aurait conseillé de ne pas faire d’histoires ... (cf Le Monde du 31 octobre 2002).
Le 28 octobre 2002 une patrouille de police interpelle à Perpignan une Opel qui roule en sens interdit. LÃ où les choses se corsent, c’est quand on découvre que le conducteur, qui n’a pas pu présenter son permis, est un ex-commissaire de police, roulant dans une voiture sans assurance et dont le certificat de contrôle technique était périmé. Et qui plus est, cet homme est le mari de la Directrice départementale de la sécurité Publique des Pyrénées Orientales, en clair de la chef des flics du département ! L’homme fut verbalisé. Quand même ! Ouf ! Enfin un peu de justice ! (cf Le Canard Enchaîné du 6 novembre 2002).
L’ancien ministre de la Justice, Jacques Toubon, a perdu son sang-froid mercredi 13 novembre 2002, à Paris, alors qu’il venait d’être arrêté par des policiers pour circulation dans un couloir de bus, tout en téléphonant au volant. « Vous faites un métier de merde , vous feriez mieux de traquer les loubards » leur a-t-il dit, se soumettant « de mauvaise grâce » aux injonctions des policiers, se livrant à des remarques acerbes qui ont été consignées au procès-verbal. C’est Ouest-France du 15 novembre 2002 qui révèle la chose. Ainsi il y aurait un code de la route différent pour un ancien député-maire RPR (France d’en haut) et pour les loubards (France d’en bas) ?.
Ces histoires d’infractions au code de la route, rappellent l’histoire d’un député de la circonscription de Châteaubriant, au sujet duquel Ouest-France Nantes avait fait un écho ironique le 12 novembre 1993 évoquant sa « manière facétieuse de tester les réflexes des policiers ». La presse locale, qui n’en a pas été avisée, n’a pas pu en parler, sauf La Mée qui à l’époque avait écrit, le 18 août 1993 : « un jeune et fringant bipède, sûrde lui et dominateur, téléphonait de sa voiture dans une rue de Nantes. D’inattention, un feu rouge il grilla et prit la fuite malgré les injonctions de la Maréchaussée, malheureusement présente sur les lieux. Celle-ci, croyant avoir affaire à un petit malfrat, le poursuivit à travers les rues et l’intercepta. Le » héros « du rodéo le prit fort mal, vociférant : ça ne se passera pas comme ça, je connais Pasqua ! Nous aussi, répondirent les pandores en le plaquant à terre et en lui passant les menottes. Sa tendre épouse fut contrainte de venir récupérer son régulier à la Brigade de Gendarmerie »
B.Poiraud
Ecrit le 2 juillet 2003 :
Reçus à l’Elysée, mais bousculés par la police
65 Maires ruraux, organisés en délégation, ont été reçus à l’Elysée pour remettre au président de la République une pétition « contre l’embastillement des libertés fondamentales », signée par 850 élus de communes rurales. Cela ne s’est pas fait sans mal : ils ont été bousculés et malmenés par les forces de l’ordre.
« Nous nous élevons vigoureusement contre cette agression portée à l’encontre d’élus du peuple dans l’exercice de leur mandat » disent-ils dans un communiqué. « Nous réaffirmons notre demande de libération immédiate et sans conditions de Monsieur José Bové »
Contacts : Philippe Leseur : 03 25 02 45 76 ou à défaut : 01 43 62 18 75
Ecrit le 1er octobre 2003 :
50 000 volts dans le corps
L’électricité ne manque pas pour tout le monde ! Selon The Washington Post, les détenus américains, dans 30 prisons d’Etat et dans tous les tribunaux fédéraux, sont munis d’une « ceinture de contrainte », bien que ce dispositif fasse l’objet d’une condamnation internationale. Fonctionnant avec des piles, et attachée à la taille, elle est télécommandée par un gardien qui peut envoyer une décharge jusqu’Ã 50 000 à 70 000 volts pendant 8 secondes dans l’organisme du détenu, ce qui lui enlève tout contrôle musculaire. C’est l’équivalent d’un violent passage à tabac.
Humiliation
Sous le choc électrique la plupart des gens s’effondrent en écumant, pris de convulsions. Certains défèquent ou urinent sous eux. La capacité de la ceinture à « humilier le porteur » est vantée comme un grand avantage dans la brochure de présentation d’un fabricant.
Récemment, un détenu qui, devant un tribunal, a voulu soulever un point de procédure, a ainsi été puni de son impudence : il refusait de se soumettre à un examen médical qui n’avait pas été prescrit par le tribunal et dont il n’avait pas pu discuter avec son avocat.
On voit ainsi à quelles extrémités nous en sommes arrivés. La violence de certaines personnes ne peut jamais légitimer la violence d’Etat, la violence judiciaire, la violence policière.
Rions quand même : au printemps dernier, des shérifs du Wisconsin (USA) ont voulu démontrer aux journalistes combien ces ceintures sont inoffensives, en envoyant une (petite) décharge électrique à l’un de leurs collègues. Le choc lui a valu un séjour à l’hôpital après qu’il se fut blessé en s’écroulant sur le sol !
Ecrit le 9 avril 2003 :
dénonciation
Tous les policiers et gendarmes ne sont pas à mettre dans le même sac, heureusement. Mais il est salutaire qu’existe une Commission nationale de déontologie de la sécurité. Elle a été saisie une quarantaine de fois en 2002, soit le double de l’année précédente. Sont visés les services de sécurité dans les transports en commun, l’administration pénitentiaire, la gendarmerie, mais surtout les services de police dans leur activité quotidienne et principalement en région parisienne.
Une tâche difficile ...
Dans son rapport publié en mars 20003 (consultable sur le site http://www.cnds.fr) la Commission a d’abord précisé sa mission pour lever des malentendus : « Les forces de police accomplissent une mission difficile et doivent en permanence décider de leurs interventions et en choisir les modalités à partir de données extrêmement subjectives, évolutives et d’interprétation difficile [...]. La Commission prend toujours en compte la difficulté de la tâche qui incombe aux fonctionnaires de police, comme d’ailleurs, à des degrés divers, à toutes les personnes chargées de missions de sécurité. Pour les services de police, comme pour la gendarmerie, elle ne perd pas de vue leur constante disponibilité, la multiplicité de leurs tâches face à des situations qui nécessitent souvent d’improviser, ainsi que la violence à laquelle ils peuvent être confrontés, parfois de façon inattendue ».
Cela étant dit, la Commission ne dispose d’aucun pouvoir de sanction. Elle recherche les causes des dérives qu’elle constate lorsqu’il y a une disproportion entre le fait initial et ses conséquences.
L’intervention de la police dans les litiges privés qui, selon les services, représentent 40 à 60 % des appels, concerne les conflits familiaux, commerciaux, de voisinage, de conduite automobile, de comportement, de travail (entre employeur et salarié, grève) etc. « A une logique de réponse à des demandes ponctuelles se substitue une logique de service soucieux à tout moment d’aller au-devant des attentes des citoyens, en matière de sécurité au quotidien. ». A ce sujet la commission recommande : la professionnalisation du personnel afin d’obtenir une meilleure évaluation de la situation initiale et un suivi efficace ; - la redéfinition du rôle de l’encadrement - ; le recours à la formation initiale et continue par des études de cas.
...qui ne justifie pas tout ...
Des défaillances dans l’encadrement ont été constatées par la Commission. De même un rapport de l’IGPN (Inspection générale de la police) note que souvent les policiers « mus par un souci de bien faire, n’ont toutefois ni la maturité personnelle ni l’expérience professionnelle suffisantes pour appréhender dans les meilleures conditions ces interventions délicates et faire évoluer favorablement des situations de blocage. Il en va de même au niveau de l’encadrement : ainsi, la préfecture de police indique que la moyenne d’ancienneté de l’encadrement dans les brigades du service général est d’environ 18 mois. »
La Commission appelle une attention particulière, d’une part, sur les modalités des contrôles d’identité, d’autre part sur la conduite à tenir à l’égard des mineurs, car elle a constaté qu’il s’agit là d’un domaine très sensible de protection de la vie privée
Menottes
Si l’on ne veut pas vider la loi de son contenu, la protection qu’elle garantit aux mineurs doit s’appliquer dès que cet état est allégué en matière de vérification d’identité et non pas seulement lorsque la minorité est prouvée. " Il n’est pas contestable que des mineurs font parfois preuve de violence et d’agressivité envers les forces de l’ordre. Cela n’exclut pas que soient respectées les obligations légales en ce qui concerne
– la vérification d’identité,
– le menottage qui, lorsqu’il est considéré comme abusif par la personne qui en est l’objet, peut entraîner des réactions violentes en chaîne,
– les palpations corporelles par un agent du même sexe,
– la mise en garde à vue avec information aux parents ".
Et la commission cite le cas d’une mère avisée à 21 h 30, juste avant une opération chirurgicale en urgence de son fils, placé en garde à vue à 18 h 25 et conduit à l’hôpital à 19 h 30 à la suite des coups reçus (perte d’un testicule).
Des fois c’est drôle
La commission cite aussi, et c’est plus drôle, le cas d’un fonctionnaire de police, qui croit devoir, dans un procès-verbal qui relate les interrogations faites, poser des questions à un enfant de 8 ans sur son numéro de téléphone personnel, son état familial (« je suis célibataire et je n’ai pas d’enfants à charge »), sur son activité professionnelle et ses revenus, ses décorations et distinctions, sa possession d’un permis de conduire, de chasse, de pêche ou d’une autorisation de port d’arme !
Cris et vociférations
Voici un exemple cité dans le rapport de la Commission : Mme P. était dans la file d’attente du cinéma MK 2 quai de Seine, le samedi 24 novembre 2001, en début de soirée, lorsqu’elle a vu trois jeunes gens sortir du bar du cinéma « avec, derrière eux, un policier ». Quittant la file d’attente, Mme P. vit que ce fonctionnaire était rejoint « par une dizaine de ses collègues » qui plaçaient contre le mur du cinéma trois ou quatre autres jeunes gens à côté des premiers. « S’ensuivit une fouille jambes écartées et bras contre le mur, avec palpation et quelques insultes. Un des garçons était maintenu allongé par terre sur le caillebotis avec trois policiers sur lui. »
Mme P. précise que son attention « se portait surtout sur les conditions de traitement du premier groupe car ils étaient très jeunes et l’un d’eux ne devait pas avoir plus de 11 ou 12 ans [...] ». « J’étais donc là , silencieuse et concentrée, [...] d’autant qu’un des policiers, le plus âgé d’entre eux, proférait des insultes au plus jeune des interpellés : ferme ta gueule et puis je ne veux plus voir ta sale gueule traîner par ici. ».
Un des fonctionnaires de police demanda à Mme P. de partir. « Je lui répondis poliment que [...] je voulais voir l’interpellation se dérouler. Il m’intima plus fermement dans le ton de sa voix de circuler et, devant mon refus, me prit par l’épaule [...] et commença à me repousser vers la file d’attente du cinéma. Je résistai et lui demandai de me lâcher. Devant son insistance à me pousser, je pris le parti de crier »lâchez-moi, lâchez-moi« pour attirer l’attention des passants, car je me sentais menacée physiquement par ce policier. »
Mme P. continua à regarder. « Nous fûmes rejoints par le policier le plus âgé qui avait insulté le jeune garçon. » Comme Mme P. refusait de circuler, « avec une rage difficilement contenue, il me dit de dégager et de ne pas faire chier ». « Quelques secondes plus tard, ils relâchèrent l’ensemble du groupe et les policiers repartirent. ».
Mme P. ajoute que, de retour à son domicile, vers 22 heures, elle reçut un appel téléphonique. Son correspondant, qui entendait vérifier son identité et son adresse, se présenta comme « le commissariat du 19e arrondissement, l’un des policiers qui ont pris votre identité tout à l’heure ».
Mme P. reçut six semaines après l’incident un avis de contravention pour « cris et vociférations sur la voie publique ». L’avis avait été établi par le gardien de la paix S. le 24 novembre 2001 à 19 h 20, mais posté par la direction de l’Ordre public et de la sécurité le 7 janvier 2002.
L’affaire sera classée sans suite. La Commission nationale de déontologie de la sécurité relève qu’il n’y avait pas de trouble à l’ordre public, ce soir-là , dans le cinéma, qu’il y a eu des incohérences dans les dires des policiers, des erreurs manifestes de date dans le rapport d’exploitation du cinéma, et qu’une contravention ne doit pas être envoyée six semaines après mais remise immédiatement à la personne concernée.
Pour la Commission : « Ces violences illégitimes » appellent « des sanctions et leur publicité » pour éviter que de tels agissements se produisent. Si vous pensez avoir été victime ou témoin de « bavures », de la part de « forces de sécurité » (publiques ou privées), la Commission peut, peut-être, vous aider. Commission Nationale de déontologie de la sécurité 62, Boulevard de la Tour Maubourg,75007 Paris.
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