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Ecrit début décembre 2000
Les 7, 8, 9 décembre à Nice, en marge de la réforme des institutions européennes, a été validée, à la sauvette et sans fanfare, la Charte des Droits Fondamentaux de l’Union Européenne.
Cette Charte a été concoctée par un aréopage de parlementaires nationaux et européens, non élus directement pour cette tâche, même s’il y a eu une consultation très ouverte qui a provoqué 260 rapports. Le tout a été réalisé en 10 mois, ce qui est un record très surprenant pour un texte aussi conséquent. Le processus démocratique d’élaboration de cette charte est illusoire : les projets figuraient bien sur internet, mais peu de gens ont internet et, de plus, les médias nationaux ont donné un faible écho à sa préparation.
Dans cette charte il est question :
· - des droits naturels, fondamentaux
· - des droits sociaux
· - des droits liés à l’environnement.
On y distingue les droits naturels (de l’Homme) de ceux du citoyen. Dans la tradition française, on ne les sépare pas. C’est en tant que citoyen que l’Homme peut devenir libre et égal aux autres.
A l’américaine
Ces droits reposent sur des valeurs chrétiennes (dignité des individus, patrimoine spirituel, ...). Ils correspondent en fait à un modèle de société américain, dans lequel Dieu est le protecteur de la Nation et des individus. Ces droits ne correspondent pas du tout au modèle des droits du citoyen issus de la Révolution Française. Dans ce dernier modèle, les droits sont une construction historique, ils ne tombent pas du ciel, ils sont élaborés par les citoyens ou leurs représentants et sont le fruit de débats, de revendications et de conflits sociaux. Leur adoption au terme de ce processus républicain est la meilleure garantie de leur acceptation par l’ensemble des citoyens.
Les droits mentionnés dans la charte sont liés à des catégories : les enfants, les femmes, les handicapés, les personnes âgées... Or, enfants, femmes, handicapés, personnes âgées sont d’abord des êtres humains et doivent être traités comme tels. Cette Charte entre dans une logique de défense des individus par l’action lobbyiste et non plus la défense de chacun par la loi commune à tous.
Des droits sans devoirs
Dans la Charte, les droits ne s’accompagnent d’aucun devoir. Dans l’idée républicaine de la construction des droits, l’acceptation de ceux-ci s’accompagne de la soumission des citoyens et de l’Etat à des devoirs. Par exemple, les droits de l’enfant, dans la Charte, ne s’accompagnent d’aucun devoir, ce qui peut paraître choquant. De même l’Etat a le devoir de faire respecter et appliquer les normes définies collectivement. On est loin d’un tel processus dans la Charte qui valorise les libertés individuelles de façon si importante qu’elles semblent occulter l’intérêt général.
Les droits des citoyens définis dans la Charte sont des droits minimums dont une nation comme la France n’a pas besoin, disposant déjà d’un arsenal de droits sociaux assez conséquents.
L’article 15 de la Charte détruit la fonction publique en y introduisant la concurrence.
C’est la justice qui fera le droit
C’est la Cour de Justice qui « fera » le droit en Europe, en établissant une jurisprudence à partir des droits fondamentaux. Il y a là une logique dangereuse. On donne un pouvoir considérable à la justice, pouvoir dont on dé-saisit les représentants du peuple dans les assemblées. Le pouvoir législatif, en d’autres termes, n’a plus de raison d’être, en Europe comme dans les Etats-nations. C’est une dérive vers une Europe contentieuse (la formule est de JP Chevènement) dans laquelle la défense des individus ne se joue plus que devant les tribunaux, (la Cour Européenne de Justice, précisément). dont la légitimité démocratique est très faible. Ainsi, on remplace le rôle des parlementaires, meilleur garant du débat républicain, par celui des juges, non élus.
L’Europe a t-elle une ambition sociale ? Dans le contexte économique actuel, plutôt favorable globalement, les salaires ont peu augmenté depuis Maastricht, les profits boursiers ont explosé, les groupes se sont concentrés. La revendication sociale n’a aucun écho, patronat et B.C.E. freinant les négociations.
Une mouture castrée
Les articles 27 à 29, sur les droits d’expression des salariés sont vraiment minimalistes. On parle seulement de liberté professionnelle et du droit de travailler et non du droit au travail. Ce sont les principes libéraux que défendent ces articles, et non des droits sociaux.
On ne parle ni des droits des peuples, ni d’aucun devoir des Etats ; on peut en déduire la disparition de la sphère politique.
En première lecture rapide, personne ne peut être contre ces belles idées : droit à la vie, à la dignité, à la liberté, à la sécurité..., mais tout cela NOUS L’AVONS DEJA en France. Et en lecture plus approfondie, on s’aperçoit qu’on nous refait une mouture castrée des différents droits nationaux existants, sans doute pour calmer les « anti-Europe libérale », mais en réalité pour asseoir, derrière un vocabulaire de grands principes, un droit européen qui prévaudra sur le droit national, donc sur notre démocratie.
Il s’agit en somme de mettre en place des normes de justice sociale prises dans les valeurs chrétiennes pour compenser les effets pervers d’une économie libérale. Ces droits ne sont alors plus que des pansements visant à rendre tolérable une économie de marché créatrice d’injustices humainement intolérables. Il semble qu’en adoptant un autre modèle de société, non soumis à la logique des marchés, on peut construire un autre type de droits, reposant sur la volonté collective de vivre ensemble et issus d’un véritable débat républicain.
Avis issu du débat du Mouvement des Citoyens
tenu à Rezé le 2 novembre 2000.
Des manifestants en tous genres
Trois sortes de manifestations se sont produites à Nice : la Confédération Européenne des Syndicats (CGT, CFDT et d’autres), les « anti-mondialisation libérale », et les « pro-Europe fédérale »
Première manifestation
La Confédération européenne des syndicats (CES) a fait une démonstration de force, avec la CGT en plus grande force numérique que la CFDT. Elle réclamait « une Europe de l’emploi et des droits sociaux » avec deux revendications :
– que la charte européenne des droits fondamentaux soit intégrée dans les traités de l’Union européenne
– et que soit adopté « un programme des politiques sociales pour les 5 années à venir, pour atteindre l’objectif du plein emploi ».
Outre les gros bataillons français, italiens et espagnols, on remarquait dans le cortège des syndicalistes autrichiens, polonais, slovènes, luxembourgeois, portugais et allemands.
Deuxième manifestation
Dans un genre tout-Ã -fait opposé défilaient les anti-mondialisation-libérale et notamment la Confédération paysanne, ATTAC et d’autres. « Notre cortège n’est pas concurrent de celui de la CES. Nous nous battons pour que la charte des droits fondamentaux ne prenne pas force de loi car c’est une charte au rabais », a déclaré l’un des responsables, insistant en outre sur le refus d’une Europe Libérale. ATTAC a manifesté, en outre, à Monaco, contre les paradis fiscaux.
Des Italiens et des Espagnols ont été retenus aux frontières, et de nombreux Français ont été interpellés en gare de Bordeaux, dans le sud-ouest, où ils entendaient monter gratuitement dans les trains pour Nice. Cette décision, exorbitante dans l’Europe de la libre circulation des personnes, a largement contribué à créer un état de tension, avivé par des provocations et menaces multiples du Front National. Les incidents regrettables qui se sont produits ne sauraient cependant faire perdre de vue l’extraordinaire succès de mobilisation de ces deux journées
Troisième manifestation
Enfin, une troisième manifestation s’est tenue pour réclamer une Europe fédérale.