Ecrit le 18 avril 2007
Tout devient possible
Tout est possible, avec l’électronique. C’est souvent merveilleux d’ailleurs. Les utilisateurs de GPS (guidage de la voiture) savent, par exemple, qu’ils peuvent recevoir des informations leur indiquant les meilleurs itinéraires de rechange lorsqu’il y a un embouteillage sur la route. Ainsi il est possible de modifier les réponses du GPS en fonction des circonstances, sans intervention de l’automobiliste.
Il existe aussi, dans les ordinateurs, des logiciels tout simples qui permettent, d’un seul clic , d’écrire une longue phrase.
Ainsi il est possible, d’un seul clic sur le bouton
« M. Machin », de rajouter 1 au total des suffrages qui se sont portés sur ce candidat.
Mais il est possible aussi de programmer l’ordinateur, pour que le logiciel marche correctement de 8 h à 9 heures, et pour que, de 9 h à 17 h,
il envoie les suffrages de M. Machin sur Mme Chouette. Qui s’en apercevra ?
Une conception malveillante peut tout aussi bien programmer le phénomène pour qu’il se produise toutes les heures, ou 3 fois sur 10, ou de façon aléatoire. C’est quasiment indétectable. définir un comportement conditionné par une indication précise est l’enfance de l’art pour un programmeur informatique.
Ainsi en informatique, tout est possible. C’est là tout l’enjeu des machines à voter.
Machines à tricher ?
Qui va contrôler le vote électronique ?
Le vote électronique est un terme général qui englobe deux familles de systèmes :
– les ordinateurs de vote
– le vote par internet
– les ordinateurs de vote sont placés dans les bureaux de vote. Ils enregistrent les votes et les dépouillent, sans s’occuper de l’identification de l’électeur ni de son émargement.
Trois fabricants sont autorisés depuis 2004 : Nedap (néerlandais), ES&S (américain) et Indra (espagnol). Quelques dizaines de villes en France utilisent leurs ordinateurs, dont sept de taille moyenne : Amiens, Boulogne-Billancourt, Brest, le Havre, Reims, Le Mans, et Mulhouse. D’autres villes les ont jugés insatisfaisants : Cannes, Grenoble, Sceaux et St Denis.
En tout plus d’un million d’électeurs sont concernés.
– le vote par internet s’effectue depuis n’importe quel ordinateur, par exemple à son domicile. Contrairement aux ordinateurs de vote, le vote par internet reste expérimental. En France, il n’est autorisé que pour les expatriés, et seulement pour élire l’AFE (Assemblée des Français de l’Étranger), comme au mois de juin 2006.
– un intermédiaire entre les deux précédents est à l’étude : les kiosques électroniques. Il s’agit de terminaux placés dans les bureaux de vote, et connectés à des serveurs faisant tourner un logiciel de vote par internet.
Une association s’est créée pour contrôler le vote électronique. Sa première réaction a été d’interroger les mairies. « Elles nous ont parlé meilleure organisation et économies, sans prendre au sérieux les interrogations des citoyens ».
Mais des interrogations il y en a quand on sait qu’il y a un moratoire en Belgique, que l’Irlande a refusé d’utiliser des ordinateurs Nedap qu’elle a pourtant achetés massivement (les mêmes que ceux achetés en France). Quand on se souvient du ridicule feuilleton pour l’élection du président Bush aux USA. Et puis il y a eu la catastrophique élection municipale du Québec, le 6 décembre 2005 : des résultats sont arrivés avec plusieurs heures de retard, des équipements sont tombés en panne, des connexions Internet ont été coupées, des votes ont été comptabilisés deux fois....
L’association a donc décidé d’aller plus loin, et elle dit maintenant : « nous sommes porteurs de mauvaises nouvelles ».
" Nous tenons à rappeler :
– que le vote électronique, tel que proposé, entraîne inévitablement la disparition du contrôle citoyen des élections au profit de techniciens. Qu’il s’agit de changer de système politique : de la démocratie (le pouvoir au peuple) vers la technocratie (le pouvoir aux techniciens),
– qu’en pratique, ce contrôle que le citoyen est contraint de transmettre aux techniciens s’est largement perdu en route. La suite de ce texte vise à le démontrer.
– que les systèmes de vote électronique actuels ont une particularité les différenciant des autres systèmes informatiques : l’impossibilité de contrôler leur bon fonctionnement. La cause est le secret du vote. "
Des comparaisons infondées sont souvent faites avec les procédures bancaires. Vous pouvez contrôler l’exactitude d’une transaction bancaire a posteriori, par exemple en vérifiant vos relevés de compte, imprimés sur du papier bien tangible. Toutes les informations nécessaires à l’intégrité des données peuvent être mémorisées : il n’y a pas de secret entre vous et votre banque.
De même, si votre réservation aérienne se perd dans l’éther informatique, on ne vous laissera pas monter dans l’avion, et vous pourrez protester, preuve de débit bancaire à l’appui.
Tous les systèmes informatiques ont des conséquences vérifiables dans le monde réel. Presque tous... Mais si l’ordinateur modifie votre vote, qui s’en apercevra ?
Les ordinateurs de vote ne sont pas de « simples objets électroniques », comme cherche à le faire croire le marketing d’un fabricant, peut-être pour éviter des comparaisons désagréables avec nos micro-ordinateurs capricieux. Comme tous les ordinateurs, ces appareils contiennent un logiciel qui va déterminer l’essentiel de leur comportement. Connaître ce logiciel intégré est donc crucial mais ....
-
- mais la sécurité informatique ne se résume pas à éviter de connecter ces ordinateurs à Internet.
- mais la sécurité informatique, c’est compliqué, coûteux et incompréhensible par l’électeur lambda.
- mais il faut éviter de confondre fiabilité et sécurité : un ordinateur qui ne tombe pas en panne, ne garantit pas pour autant un résultat authentique.
– l’accessibilité par tous les électeurs n’a pas été étudiée scientifiquement . A force de s’entendre seriner que voter sur un ordinateur, c’est très facile, quel électeur osera avouer qu’il n’est pas à l’aise ? ... et que du coup il ne va plus voter ?
La simplification de l’organisation matérielle des élections qu’apportent ces ordinateurs-Ã -voter est bien réelle, mais elle ne pèse pas lourd face à toutes ces questions.
Qui contrôle ?
Donc, qui contrôle le vote électronique ? Il est beaucoup plus aisé de répondre à la question « Qui contrôle le vote papier ? » .
L’électeur peut vérifier l’essentiel par lui-même, et exercer son esprit critique, car il comprend le fonctionnement des objets en jeu (bulletin, urne...). Il doit seulement faire confiance à ses concitoyens assesseurs pour ne pas ouvrir l’urne avant le dépouillement, lequel est une opération publique et compréhensible par tous. S’il est méfiant, il peut demander à être assesseur.
Le grand nombre de personnes impliquées dans une élection (en France : entre 200 000 et 300 000 assesseurs, plus les scrutateurs), chacune faisant une petite part du contrôle, ne permet que des fraudes sporadiques et de portée limitée.
Mais qui contrôle le vote électronique ?
– L’électeur ? Il n’a pas de preuve tangible de l’enregistrement de son vote : un ordinateur peut afficher une chose sur son écran, et en mémoriser une autre. Il n’est pas non plus assuré que son vote soit compté, faute de dépouillement dont le mécanisme soit compréhensible. Même si
cet électeur était informaticien, il ne pourrait en savoir plus : le code source du logiciel intégré à l’ordinateur de vote est gardé secret par son fabricant.
– Les assesseurs ? Ils n’ont pas plus de compétences en informatique. Ils certifieront l’honnêteté des élections en signant le P.V. des résultats, mais peuvent-ils garantir autre chose que d’avoir respecté des procédures techniques énumérées dans un mode d’emploi ?
Par exemple, si l’ordinateur imprime un ticket affirmant que sa mémoire est vide, que peuvent-ils réellement en savoir ?
Si le logiciel de l’ordinateur est programmé pour truquer les votes, ils n’ont aucun moyen de le savoir
– Les scrutateurs ? Ils ne peuvent qu’assister à la magie de l’impression instantanée des résultats.
– Les délégués des partis ? A nouveau, leur manque de connaissances informatiques les laisse démunis.
– La mairie ? Elle se fie à l’agrément donné par l’Etat aux ordinateurs de vote. Quand les ordinateurs sont achetés, comment sont-ils stockés entre deux élections ? Certainement sous clef. Mais si une intrusion se produit dans l’entrepôt de stockage, étant donné que le but est la modification - et non pas le vol - d’un ordinateur, vérifiera-ton l’intégrité des ordinateurs ? Sait-on même comment le faire ? C’est pourtant facile : deux minutes suffisent à remplacer le logiciel intégré,
La fraude électronique est la plus efficace. Car l’informatique permet de faire ce qui était auparavant manuel, à plus grande échelle, parfois longtemps à l’avance, sans se déplacer, sans laisser de traces et avec moins de personnel (parfois tout seul)
Notre système politique est basé sur la démocratie représentative, même si la plupart d’entre nous ne participent pas aux décisions politiques. néanmoins détenteurs de la « souveraineté populaire » , nous déléguons temporairement notre pouvoir à nos maires, à nos députés, à notre président... pour cinq ou six années.
Nous ne détenons réellement le pouvoir que le jour des élections.
Durant ce jour précis, pourquoi nous demande-t-on une confiance aveugle en un système informatique dont l’intégrité est vaguement contrôlée par une poignée de techniciens mal identifiés ?
La confiance envers les hommes politiques ou leur possibilité d’action est déjà entamée. Il serait dangereux d’y ajouter une méfiance vis à vis de l’honnêteté des élections.
Exercices pratiques et inquiétants sur les machines à voter
Et pas le droit de distribuer des tracts à ce sujet !
Et en plus, ça coûte très cher (lu dans Le Monde) : Nicolas Barcet, un des informaticiens à l’origine de la fronde contre les machines à voter, a cherché à vérifier si, comme l’avait annoncé la mairie d’Issy-les-Moulineaux, les machines pourraient être amorties en trois ans.
Celles-ci ayant coûté 300 000 euros, il a calculé qu’il faudrait organiser 150 scrutins pour rentabiliser l’investissement. Benoît Sibaud note, pour sa part, que le courrier de la municipalité portant sur les machines à voter, qui n’avait pu être envoyé en même temps que les professions de foi, allonge la note de 20 000 euros