Ecrit le 16 février 2011
18 jours et ... ouste !
Jeudi 10 février 2011. déception. Le peuple égyptien appelle, espère le départ du dictateur Hosni Moubarak. Dans la rue une foule énorme attend le message du président. Et c’est une énorme déception. Le dictateur tient bon face à la revendication populaire. Alors, avant même qu’il ne termine son discours, les manifestants de la place Tahrir crient leur colère et brandissent des chaussures, symbole d’insulte (silencieuse) dans la culture musulmane. Le piège se referme sur la foule. On craint les débordements, les dégradations, les pillages qui justifieraient l’intervention brutale de la police voire de l’armée. Non loin du palais présidentiel, des « nervis » à la solde du pouvoir sont prêts à intervenir.
Mais le peuple égyptien, sagement, évite la provocation. Le 11 février, la foule est toujours aussi dense dans les rues. On parle de deux millions de personnes sur la place Tahrir : jeunes, vieux, salariés, avocats, femmes, médecins... « Moubarak, dégage ! ». Dans plusieurs villes, d’immenses cortègent insistent, avec bonhomie, mais avec détermination. « Moubarak, dégage ! ». Alors, un peu avant 15 h, l’inattendu se produit : le dictateur est parti.
La foule est en liesse. Explosions de joie. Emotion. Quelques évanouissements. Certains membres de l’armée rejoignent les manifestants : « Le mouvement de solidarité des forces armées avec le peuple a débuté [...] Ce qui nous pousse à rejoindre la révolution du peuple est le serment d’allégeance que nous avons tous prêté en rejoignant l’armée : protéger la nation ». Cependant l’armée met en garde contre « toute atteinte à la sécurité » et appelle à « un retour à la normale » en demandant aux manifestants de quitter les rues et de mettre un terme aux rassemblements qui durent depuis le 25 janvier.
L’euphorie n’a pas seulement envahi la place Tahrir. Elle semble avoir gagné tout le pays. Une nation entière semble être descendue dans les rues. Des gens brandissent leurs enfants au-dessus de leurs têtes : espoir d’un avenir meilleur.
Un dictateur riche
On se demande maintenant ce qui va se passer. Mais l’armée, en charge de la période de transition, ne va pas pouvoir ignorer l’imposante force populaire qui a fait fuir le dictateur. Le Conseil suprême des forces armées a promis de « réaliser les espoirs de notre grand peuple ». Et il y a du travail à faire ! Dans ce pays de 84 millions d’habitants, il y a un ou deux millions de personnes qui vivent bien et tous les autres n’ont rien. [On peut se demander alors comment le président Moubarak est aussi riche : fortune estimée dans la fourchette 30-70 milliards de dollars, ce qui en ferait une des personnes les plus riches de la planète !]. Il est certain que le peuple va demander des choses .
La victoire pacifique des Egyptiens, faisant suite à celle des Tunisiens, va sûrement donner des idées ailleurs ...
Une révolution de palais
Ce qui s’est passé en Tunisie et en Egypte est tout fait étonnant : un mouvement de masse populaire et quasiment sans leader. On croyait les peuples anesthésiés, écrasés sous les difficultés économiques, muselés par un pouvoir toujours plus répressif. Et voilà qu’un pauvre Tunisien, en s’immolant par le feu dans une zone rurale, déclenche la vague de protestations populaires. Le peuple gardait au cœur de fortes revendications d’équité sociale et économique, une aspiration à la démocratie.
Mais ne rêvons pas : la révolte populaire est toujours sans lendemain. Elle a permis, en Egypte comme en Tunisie, la mise en œuvre d’une « révolution de palais » : le dictateur est parti, piteusement, car l’armée égyptienne, qui contrôle le pays depuis 1952, a cessé de le soutenir.
Que fera l’armée ? Le Conseil suprême des forces armées égyptiennes est présidé par le ministre de la défense Hussein Tantaoui (en poste depuis 1992). Il comprend les principaux chefs de corps, tous nommés par Hosni Moubarak, et pour la plupart associés à la répression contre l’opposition et à la corruption qui rongeait le régime, mais sans doute soucieux, actuellement, de ne pas être emportés par la vague de contestation populaire [1]
Quel leader se lèvera ? Quel pouvoir aura t-il pour tenir tête aux puissances économiques, au « monde des affaires » qui gouverne le monde dans le sens de ses affaires ? Allier démocratie, droits de la personne, justice sociale et développement économique sera une tâche ardue, qui nécessitera sûrement de nombreuses luttes...
A qui le tour ?
A qui le tour ? On pense bien sûrà d’autres pays : Algérie, Yemen, Jordanie avec des répercussions sur Israë l qui ne pourra sans doute pas continuer à écraser le peuple palestinien.
Plusieurs centaines de personnes ont tenté de marcher le 12 février à Alger à l’appel de la Coordination nationale pour le changement et la démocratie (CNDC) mais ont été bloquées par un très important dispositif de sécurité. A Oran, grande ville de l’ouest algérien, un rassemblement de 400 personnes, place du 1er novembre, s’est achevé par une trentaine d’interpellations, selon des témoins. En tout, plus de 300 arrestations. Des journalistes qui tentaient de couvrir la manifestation ont été violemment pris à partie par des policiers particulièrement prompts à recourir à la matraque.
Au yémen, Saleh, au pouvoir depuis plus de trente ans et qui redoute les répliques de la vague de contestation sans précédent qui touche plusieurs pays du monde arabe, s’est engagé à quitter le pouvoir à la fin de son mandat en 2013 et a promis que son fils ne prendra pas la tête du gouvernement. Il a invité l’opposition à des discussions. Celle-ci a accepté.
Demain, en France ?
Le président Sarkozy, lui aussi, se montre méprisant vis-Ã -vis du peuple français, refusant de voir les difficultés économiques provoquées par sa politique. Quel vendredi de fête marquera sa défaite ? Oh certes, la France est une démocratie ! Et même « Nous sommes proches de la perfection démocratique : le peuple a le droit de choisir son bulletin de vote. Et aussi de choisir dans les rayons du supermarché. Que pourrait-il vouloir de plus ? Gagner plus ? Il a Sarkozy pour cela. Participer plus ? On lui offre des débats participatifs. Participer aux décisions dans l’entreprise ? Un doux rêve, on n’est plus dans les années 70, l’autogestion, c’est fini ! Vivre, et produire, et consommer autrement ? Arrêtez avec vos utopies. Seul le réformisme est de mise » [2]
On peut rêver à la fin de la « kleptocratie » mondiale. Mais il faudra pour cela d’autres révolutions .
Révolutions
Révolutions le mot fait tellement peur qu’on l’a depuis longtemps vidé de son sens. « Grâce à une simple ruse : en l’utilisant à tour de bras pour la dernière innovation cosmétique ( »révolutionnaire !« ), le Grenelle de l’environnement( »révolutionnaire !« ), et même la dernière Freebox ( »révolutionnaire !« ). Alors, quand il reprend son sens original, celui d’un soulèvement populaire qui embrase une société et renverse un régime, le voilà comme neuf. Il dérange à nouveau. On le rejette aussitôt. défendre une révolution, ça fait ringard, non ? » [2]
La liste des dictatures à faire tomber est encore longue - dans le monde arabe et ailleurs - et la série n’est sans doute pas close. Mais chacun sent déjà que rien ne sera plus comme avant.
Quand les peuples se lèvent : respect !