Ecrit en novembre ou décembre 2000
Elections présidentielles aux USA
35 jours de suspense : finalement c’est George Bush Junior qui a été « élu » président du pays le plus puissant du monde. Un président mal élu,
– puisqu’il a 337 576 voix de moins (sur 100 millions de suffrages exprimés). que son adversaire Al Gore,
– parce qu’il doit son élection à la décision des Magistrats de la Cour Suprême (qui se sont prononcés en sa faveur par 5 voix contre 4),
– parce que la longue attente a montré la vétusté de « machines à voter » et à exclure les minorités : notamment l’électorat noir qui l’a rejeté encore plus massivement qu’aucun candidat républicain et qui a l’impression de s’être fait voler son vote par les manœuvres du camp républicain.
Votomatic et votes en toc
L’amateurisme des Américains surprend dans cette affaire.
Selon Patrice de Beer, correspondant du Monde à Washington, il y a de quoi rester pantois : dans les trois comtés les plus peuplés, Broward, Miami-Dade et West Palm Beach, à majorité démocrate, le matériel de vote a mal fonctionné, les bulletins de vote étaient parfois incompréhensibles et le dépouillement mal organisé.
Il y a d’abord eu l’affaire des électeurs qui ont « sous-voté », c’est-Ã -dire qui ont déposé dans l’urne un bulletin sur lequel aucun nom de candidat n’avait été perforé : 10 750 à Miami Dade, 10 000 à West Palm Beach et 6 686 à Broward. La raison ? Le stylet chargé de perforer n’était pas assez performant et le trou requis a été percé à moitié ou pas du tout, ce qui ne se serait jamais produit avec une simple pince.
Il y a aussi eu 19 000 bulletins « survotés » de West Palm Beach sur lesquels des électeurs, abusés par un bulletin « papillon » (sur deux pages), ont coché le nom d’un candidat antisémite alors qu’ils croyaient voter pour un ticket comprenant le sénateur juif Lieberman.
Autre aberration, dans le comté républicain de Duval, les démocrates ont accompagné aux urnes de nombreux électeurs noirs, mais ils leur ont donné des instructions erronées en leur conseillant, pour être certains de voter Gore, de cocher chaque page de leur bulletin. Bilan, 26 909 bulletins nuls, soit 9,2 % du total. On imagine la frustration de l’équipe Gore en voyant s’évaporer ces dizaines de milliers de voix qui auraient évité d’avoir à chercher dans les prétoires une victoire acquise dans les urnes !
Toujours en Floride, des urnes ont été découvertes dans une chambre d’hôtel et dans une église. En Oregon, où l’on expérimentait pour la première fois un vote exclusivement par correspondance, la loi a oublié de préciser qui était habilité à récupérer les bulletins. Conséquence : des petits malins, ou des fraudeurs, ont installé une urne dans la rue et demandé en toute impunité à des électeurs de leur confier leur bulletin. Dans certains bureaux de vote de Virginie et d’ailleurs, on n’exigeait pas de pièce d’identité et une déclaration sur l’honneur suffisait. Et des SDF se sont vu offrir des cigarettes pour voter démocrate ; ce qui n’est pas passible de poursuites vu que la valeur du cadeau dépasse pas un dollar.
Le « Los Angelès Times » a signalé l’existence de prostitués du Texas qui ont échangé leurs faveurs contre des bulletins de vote par correspondance et de « représentants » qui ont acheté les bulletins ou les ont volés dans les boîtes aux lettres. Le journal cite également le cas de l’Alaska, qui compte davantage d’électeurs inscrits que d’habitants en âge de voter. Ou encore les listes électorales de l’Indiana, où les gens ont pu s’inscrire sur simple signature ou au moment de la délivrance de leur permis de conduire. Dans le Wisconsin, certains étudiants ont même affirmé au journal avoir voté jusqu’Ã quatre fois pour le même scrutin
Le vote noir
Le plus grave concerne sans doute le « vote noir » : sous équipement des bureaux de vote, purges erronées des listes électorales, irrégularités en tout genre spécialement dans l’Etat de Floride dont Jeb Bush, frère de George Bush, est gouverneur. Les noirs américains, peuvent estimer à juste titre qu’ils n’ont pas eu les mêmes droits que les autres dans cette élection présidentielle. Est-ce parce que la majorité d’entre eux (90 %) a plutôt choisi Al Gore ? Affirmant parler en leur nom, le révérend Jessie Jackson a lancé de graves accusations contre les motivations politiques de la Cour Suprême désormais privée, à ses yeux, « de toute autorité morale ».
A part ça, les Américains ont toujours des leçons à donner ... aux autres ... en matière de démocratie.
La démocratie des confettis
« 462 657 bulletins à examiner un à un ! Une cinquantaine de bénévoles ont travaillé deux par deux, sous la surveillance d’observateurs, un par parti, et d’une nuée de juristes qui faisaient les cent pas, dans l’Etat de Floride, avant que celui-ci n’accorde ses » grands électeurs « à Bush et non à Gore. La salle était vitrée, la presse pouvait regarder travailler les bénévoles. Les gestes étaient lents, le silence quasi religieux. Les bénévoles étaient assis côté à côte, l’un saisissait la fiche perforée, la levait devant ses yeux, la présentait à son collègue et, sauf objection, la posait sur une des douze piles correspondant aux douze cas de figure recensés. En cas de perforation mal faite, ils devaient s’efforcer » d’interpréter l’intention de l’électeur. ".
Voilà ce que raconte Corine Lesnes dans Le Monde du 19 novembre 2000. En Floride, on a compté, recompté, et re-recompté, sans jamais trouver pareil, ce qui donne du système électoral américain une image peu reluisante.
Il faut dire que les « votomatic » (machines à voter) aux USA, sous leur air moderne, sont plus archaïques que nos bulletins de vote. Autrefois, dans la région de Châteaubriant, on élisait les « échevins » (ancêtres de nos conseillers municipaux), « à la pique » c’est-à -dire que les électeurs faisaient des petits trous à côté du nom de la personnalité de leur choix. Aux USA, c’est pareil : à l’aide d’un stylet, guidé par un gabarit, l’électeur perce un trou dans le bulletin, à côté du nom d’un candidat. Le processus entraîne l’expulsion d’un « confetti » rectangulaire. C’est ensuite une machine qui lit le bulletin, à l’aide d’un pinceau lumineux. Mais si le stylet est émoussé, ou si l’électeur n’a pas appuyé assez, le confetti peut rester accroché par un coin, par deux coins, par trois coins, (coin-coin), se refermer par le haut, ou par le bas, ou même être à peine enfoncé. Le faisceau lumineux ne passe plus, le bulletin est considéré comme « non exprimé ». Voilà pourquoi les électeurs d’Al Gore ont demandé une lecture « humaine » des bulletins. On a pu alors assister à une scène cocasse : les républicains (Bush) accusant les démocrates (partisans d’Al Gore) de donner un coup de pouce aux confettis pour les faire se détacher, et même de manger ces confettis pour que nul ne s’aperçoive de leur existence !
On a vu aussi des républicains se précipiter sur le moindre petit bout de papier blanc traînant sur le sol, le mettre dans un sac en plastique destiné aux shériffs.
Héritage de l’esclavage
Mais tout ceci n’est plus qu’anecdotes. Ce qui est plus important, et le Monde Diplomatique de décembre 2000 l’explique fort bien, c’est de découvrir que le système électoral américain est totalement anti-démocratique. Il ne repose pas sur « un homme, une voix », mais sur un collège de « grands électeurs » choisis par les différents Etats qui composent les Etats-Unis. Il n’a pas pour objet d’assurer un équilibre géographique dans le cadre du fédéralisme, mais il a été instauré pour protéger l’hégémonie politique des Etats du Sud et pérenniser ainsi l’esclavage des Noirs qui constituaient le socle de leur économie de plantation et de leur société de caste. D’ailleurs, huit des neuf premiers présidents des Etats-Unis furent propriétaires d’esclaves.
Inventé pour permettre aux hommes blancs de verrouiller le système politique à leur profit, le dispositif électoral américain donne un poids disproportionné aux choix des habitants des petits Etats ruraux à prédominance blanche et conservatrice.
De plus, le système des « grands électeurs » fausse totalement le jeu. Les 4 371 000 suffrages obtenus par Georges Bush en Californie ne lui apportent aucun grand électeur, tandis que les 537 voix d’avance qu’il a obtenues en Floride lui en apportent 25.
Les Etats-Unis, qui se font les champions de la démocratie et de la liberté, ont ainsi prouvé que « la volonté du peuple » n’est qu’un slogan destiné à tromper le monde entier et que la pratique quotidienne est tout autre.
Dans ce scrutin, il ne faudrait pas oublier la présence du candidat écologiste Ralph Nader qui, en mordant sur l’électorat démocrate, a pénalisé Al Gore et donné la victoire à GW. Bush, proche, très proche des milieux pétroliers auxquels il a déjà promis de revenir sur un certain nombre de mesures de protection de l’environnement que les Etats-Unis doivent justement à Al Gore !
Tout ceci est déjà du passé. Il va falloir maintenant voir ce que va donner Georges Bush à la Présidence des Etats-Unis. Son programme est ultra-conservateur notamment : réduction fiscale gargantuesque au risque de recréer un déficit budgétaire, gonflement du budget de la défense et mise en place d’anti-missiles dont les Européens, les Russes et les Chinois ne veulent pas. Le parti de GW.Bush contrôle tous les pouvoirs (pour la première fois depuis Eisenhower, 1956-1960) : la Maison Blanche, la Cour Suprême, le Congrès. Mais dans cette dernière institution c’est d’une si courte majorité, qu’il ne disposera que d’une faible marge de manœuvre.
Que nous réserve l’avenir dans ce pays qui a la faculté de commander le monde entier ?
Tout le monde peut recompter.
En Floride, journaux, associations, particuliers se bousculent pour recompter les fameux bulletins de vote, et cela, malgré le tarif élevé de la consultation des trois chemises cartonnées renfermant les « sous-votes », c’est-Ã -dire les bulletins rejetés par la « votomatic » (la machine à voter) : 8000 F de l’heure environ, destinés à couvrir les frais de personnels chargés de la sécurité des bulletins.
Bush - G.I.
Ainsi donc, Bush junior a enfin remporté les élections américaines, d’une façon si entortillée qu’on souhaite à nos grands Amis et Protecteurs du Monde Entier d’arrêter de contrôler les élections des autres (rêvons, n’est-ce pas). Il serait trop long de passer en revue les craintes que suscite ce personnage, dont on ignore s’il est crétin, inculte, cynique, ou tout à la fois.
Contentons-nous de rappeler que, grâce au piston de Bush Senior, il échappa au Vietnam. Les GI de base qui n’eurent pas cette chance en rigolent encore ; d’autant plus que ça n’empêcha pas ce fier-Ã -bras de parader en blouson d’aviateur : il est vrai que si tous les c... volaient, il ne serait pas dans la tour de contrôle. Mais bof, pourquoi pas si ce blouson cachait (profondément, c’est sûr) un antimilitariste. Or, où ça coince, c’est qu’il est prêt à envoyer la génération suivante de GI au casse-pipe* aussi vite qu’il expédie chez Satan les condamnés à mort de son Texas chéri.
Pierre Marie Bourdaud
*Au seul cas, il est vrai, où les intérêts (financiers) des lobbies de son pays seraient menacés...