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Septembre 2000
Alerte aux Pokémon
" Qui ne connaît les Pokémon ? (prononcez Pokémone, comme Simone ou Maryvonne). A la fois jeu vidéo sur Game Boy de Nintendo, dessin animé et jeu de cartes à collectionner, Pokémon et sa myriade de sous-produits marchandisés ont envahi le monde à la vitesse de l’éclair.
Formé de la contraction des mots pocket monster (monstre de poche), le terme Pokémon désigne des sortes d’elfes transgéniques, des lutins de l’ère biotech, des « créatures qui vivent dans les herbes, les fourrés, les bois, les cavernes, les lacs ». Il y en a 150 différents et s’appellent Pikachu, mélofée, Mewtwo, Bulbizarre et autres Dracaufeu. 150 noms différents ! Ils sont tous uniques, avec leur propre caractère génétique. Certains sont très rares, d’autres difficiles à attraper. Le jeu consiste à s’emparer des Pokémons. Après les avoir capturés, il faut les domestiquer, les entraîner, pour qu’ils opèrent une mutation d’espèce. Ils peuvent alors changer d’aspect, se métamorphoser, bref, « évoluer » et avoir de nouvelles aptitudes, plus de pouvoirs... C’est ainsi que Carapuce peut devenir Carabaffe, et que Bulbizarre peut muter en Herbizarre ou Florizarre. On vous en passe : les gosses sont capables de mémoriser tout ça, mieux que la table de multiplication par neuf .
« A l’heure de la révolution des biotechnologies, du clonage et de l’invasion des organismes génétiquement modifiés (OGM), est-il étonnant que cette épopée de » mutants gentils « fascine les enfants ? » dit Ignacio Ramonet dans Le Monde Diplomatique d’août 2000 .
Ont-ils envahi les cours de récréation de nos écoles ? Que oui ! et les gamins n’hésitent pas à franchir les portes des magasins pour demander « avez-vous des Pokémons ? » . Encore heureux s’ils ajoutent « s’il vous plaït ».
De gentils « mutants »
Les Pokémons, ce sont des monstres assez poétiques, plutôt jolis, joufflus et colorés qui ont des possibilités étonnantes. L’un a une queue incendiaire, l’autre envoie des décharges électriques, un troisième tue l’adversaire par le seul fait de l’imiter. Mais ne coupez pas les moustaches de Rattatac, sinon il perdrait son sens de l’équilibre !
Personne ne meurt chez les Pokémon, ni ne tire un coup de fusil, la violence est bannie. Celui qui malmène ses personnages devra les faire soigner dans une infirmerie virtuelle où il se fera réprimander. Comme disent les initiateurs japonais, ce jeu est porteur de valeurs positives (cela reste à prouver) : « la responsabilité, car il faut éduquer et entraîner les Pokémons, mais aussi la persévérance ».
Ce n’est pas un jeu à la portée de toutes les bourses : 490 F la mini-console Gameboy, et 229 F la cartouche de jeu rouge ou bleue, plus un câble de 70 F pour relier deux Gameboy . Il existe aussi un jeu de cartes à collectionner en attendant une avalanche de jouets (peluches, porte-clés ou figurines). Les experts de Nintendo ont calculé que chaque cartouche de Game Boy génère au moins trois achats de produits dérivés : vidéo-cassette, tee-shirt, jouet, horloge Pokémon, paquets de céréales, ou tout autre objet : 1500 produits dérivés ! Un marché juteux. D’autant plus qu’après les cartouches bleues et rouges, est sortie la cartouche jaune et sont promises les cartouches or et argent .
Faut-il en avoir peur ?
Faut-il avoir peur des Pokémons ? Un certain nombre de parents constatent que le fabricant Nintendo, organise à dessein la pénurie de certaines cartes, ce qui oblige les enfants à acheter pochette sur pochette. Certains gamins sombrent dans une quête quasi obsessionnelle. Il y a même eu un cas dramatique : un enfant de 9 ans, en Amérique, a poignardé un autre pour une querelle de cartes.
Pour avoir plus de cartes, des enfants se font voleurs, d’autres pratiquent l’absentéisme scolaire (qu’on appelle en Amérique la Poké-flu : la grippe du Pokémon) . Il faut dire qu’en ce pays, une série télévisée consacrée aux Pokémon est diffusée 11 fois par semaine ! Quant aux sites internet, ils organisent des enchères qui peuvent aller jusqu’Ã 400 dollars (2800 F). En France, TF1 propose une émission « Pokémon » tous les samedis matins dès 10h40 sur son programme jeunesse T-Fou et propose 3 épisodes à chaque fois, ramassant 75 % des parts de marché des 4-10 ans et 83 % des 11-14 ans .
Fabriquer de bons spéculateurs
Le Wall Street Journal s’en réjouit : « Regardons les choses en face. La plupart des enfants d’aujourd’hui ne seront pas pompiers, enseignants ou chirurgiens. Ils seront courtiers en Bourse. Et pour réussir, ils ont besoin d’apprendre à adopter une attitude obsessionnelle, comme passer des heures devant un ordinateur, se concentrer sur un seul objectif à l’exclusion des autres et prendre des décisions en un quart de seconde ». D’après lui, les adeptes du jeu Pokémon auront, demain, la bonne formation pour être spéculateur.
Selon la sociologue Pascale Ezan, qui a enquêté dans une école maternelle et dans une école primaire du Havre, les Pokémons provoquent des échanges entre les enfants : échanges de cartes à jouer, échanges de Pokémons par Gameboy interposé, échanges de techniques de capture. « Le leader, est celui qui a réussi à capturer le plus de Pokémons, ou un Pokémon rare ». Ce n’est plus, au niveau de l’école, la compétition par le savoir, mais la compétition pas l’astuce, par la technique. Un certain nombre de parents s’en inquiètent qui constatent que les Pokémons entraînent le racket et détournent les enfants de leur travail scolaire. « Ils ne se souviennent pas des tables de multiplication mais ils mémorisent les règles compliquées du jeu et sont soudain capables de résoudre un problème comportant 150 variables avec, pour chacune d’elles, deux ou trois mutations » disent-ils avec effarement. A vrai dire, les parents ne parviennent pas à suivre ce jeu virtuel.
Ils entraînent aussi ... les contrefaçons : les douanes traquent les faux, ceux-ci se vendent dans tous les circuits de la grande distribution, les détaillants et même les revendeurs à la sauvette. Plus de 100 millions de faux ont été détruits à ce jour !
De plus, les Pokémons génèrent de nombreux sites internet créés par de jeunes Pokémaniaques, pleins d’astuce, qui manient le langage HTML (hypertext Marked Langage) avec maestria et manifestent un évident sens des affaires mais ...massacrent l’orthographe française à la tronçonneuse ! Ben oui ! hélas