Ecrit le 31 janvier 2007
Henri Grouès
Henri Grouès, né en 1912, est entré en religion, chez les Capucins, sous le nom de Frère Philippe. Ordonné prêtre en 1938 il rejoint ensuite dans le clergé séculier pour raison de santé.
En 1942, au lendemain de la rafle du Vel’ d’Hiv à Paris, il accueille des Juifs rescapés, organise un laboratoire de faux papiers et le passage de Juifs et d’autres nombreuses personnes vers la Suisse. Il participe à la Résistance, et notamment à des maquis en Chartreuse et dans le Vercors, sous son nom de résistant : abbé Pierre, qu’il gardera par la suite.
Emu de la détresse de sans-logis, il crée le mouvement « Emmaüs » en 1950 en référence à ce village de Palestine où deux compagnons du Christ, désolés de sa mort, retrouvent l’espérance.
Elu député, l’Abbé Pierre utilise son indemnité parlementaire pour pourvoir à la subsistance des Compagnons et financer des constructions de logements. En 1951, en désaccord avec le MRP, il démissionne et se retrouve sans ressources, mendiant dans Paris. C’est alors que les Compagnons trouvent la solution : faire les poubelles. Rapidement, ils s’orientent vers le débarras de logements, pour récupérer et vendre matières premières et objets d’occasion. Une règle naît : « Jamais nous n’accepterons que notre subsistance dépende d’autre chose que de notre travail. »
L’appel de 1954
1954 : une femme puis un bébé meurent de froid en janvier et en février. L’Abbé Pierre lance le 1er février un appel sur les ondes de RTL : c’est « l’insurrection de la bonté » à Paris et en province. Lors de cet hiver de froid terrible, l’Abbé Pierre demande au Parlement un milliard de francs, qui lui est d’abord refusé. Trois semaines plus tard, le Parlement adopte à l’unanimité non pas un, mais dix milliards de crédits pour réaliser immédiatement 12000 logements d’urgence à travers toute la France, pour les plus défavorisés dont il ne cessera, par la suite, de défendre la cause. (1)
L’Abbé Pierre est décédé le 22 janvier 2007.
Souvenirs
C’est en 1980 que le Castelbriantais Ambroise Boucherie rencontre l’Abbé Pierre pour la première fois. « Lorsqu’il venait à Marseille, se souvient-il, il déjeunait avec l’ensemble des Compagnons. Il se mettait à table, non pas avec les responsables de la Communauté Emmaüs, mais avec des Compagnons. Il était très simple et il avait le contact immédiat ».
A cette époque-là Ambroise venait lui aussi travailler à Emmaüs. Dix ans plus tôt, en 1970, il avait fait un apprentissage de soudeur-chaudronnier au Centre de Formation pour adultes à La Treille, dans la banlieue de Marseille. Il se souvient :
« Les Compagnons ne touchent pas de salaire mais reçoivent ce qu’on appelle un pécule. Cela leur permet d’avoir un peu d’argent. J’ai connu des Compagnons qui, ainsi, ont pu louer une chambre à proximité de la Communauté et continuer à venir travailler et prendre leurs repas à la Communauté. C’était le commencement d’une certaine autonomie, d’une certaine liberté retrouvée » . C’était le cas en particulier de l’un d’entre eux, Louis, Il réparait les vélos et tous les compagnons l’avaient appelé « Louis des vélos »
« Il y avait aussi Jeannette Kourtz, elle réparait les chaises, faisait du cannage et du rempaillage. Elle était originaire de Lorraine, le pays de Jeanne d’Arc. Un jour est arrivée, parmi les objets ramenés, une statue de Jeanne d’Arc avec son armure. Jeannette m’a dit avec un sourire plein de malice : je l’ai regardée et je crois qu’elle m’a souri. ». C’est avec Jeannette qu’Ambroise a appris à rempailler et à canner. Il lui est arrivé de réparer des chaises à Châteaubriant.
« Je faisais par la suite assez souvent le voyage à Paris, au siège de l’association Emmaüs France. J’y retrouvais l’Abbé Pierre ». Lors d’une rencontre avec les responsables d’Emmaüs France, Ambroise lui dit ceci : « Quand vous serez parvenu au terme de votre vie, cela aura un retentissement international. Il y aura des célébrations religieuses. Le risque sera de voir se précipiter, aux premiers rangs de l’Assemblée, des personnalités de toutes sortes : politiques, sociales ou autres. Il y aura également des centaines de Compagnons, de France mais aussi d’Amérique du Sud, d’Afrique ... Il faudra veiller à ce que les Compagnons puissent occuper au moins la moitié de la nef de la Cathédrale ».
Pari tenu : aux obsèques du 26 janvier il y avait environ 1800 Compagnons à Notre Dame de Paris.
Châteaubriant
Le mouvement Emmaüs est présent à Châteaubriant depuis juillet 1991, avec 4 bénévoles au départ et 25 bénévoles maintenant. Un lieu de dépôt, trouvé en 1998, permet de recevoir vêtements, meubles, vaisselle, linge de maison, livres, etc, de trier et de revendre à prix restreints
Le local est ouvert au 59 bis rue Annie-Gautier-Grosdoy le mercredi de 14 à 17 h et le premier samedi du mois de 14 h à 16h30 - tél 02 40 81 29 32. Tous les mercredis deux compagnons de Villers-Charlemagne passent avec leur camion pour faire du ramassage sur Châteaubriant et les communes environnantes. Ils récupèrent le matériel à vérifier ou à réparer avant la vente (électroménager, ordinateurs, vélos, etc). Dans cette association, ce n’est pas l’argent qui compte, mais la rencontre. Le grand moment est le repas de Noë l des Compagnons qui apprécient cette journée festive.
Alibi ?
L’Abbé Pierre était un politique au sens noble du terme et un authentique disciple de l’évangile. Il fut un homme, compagnon des hommes, capable de mettre en œuvre ce qu’il disait. Chez lui parole et action se confondaient. C’est assez rare ! Les Compagnons d’Emmaüs, la Fondation Abbé Pierre ont eu et auront encore un rôle important.
Mais on peut dire aussi qu’il a été un alibi : un homme que l’on sanctifie pour n’avoir pas à l’écouter quand il parle de la misère des hommes, de leur droit à la dignité et à un travail qui leur permette de vivre.
« Le Courrier International » évoque la presse européenne qui s’étonne du rôle joué dans une France laïque par l’homme à la soutane coiffé d’un béret ... tout en soulignant l’hypocrisie de certains hommages officiels, l’indécente récupération de son combat. La Repubblica delle Donne fait parler les habitants des « tristes igloos du Canal St Martin ». The Observer titre sur « Paris, son luxe, ses miséreux ».
Analysant la popularité jamais démentie de l’Abbé Pierre, Roland Barthes se demande si " la belle et touchante iconographie de l’abbé Pierre n’est pas l’alibi qui permet, une fois encore, de substituer impunément
les signes de la charité
à la réalité de la justice ".
Nous avons été très émus, l’Abbé, à votre enterrement. Nous étions heureux d’être ensemble, Gens d’en Haut et Compagnons. La cérémonie fut un grand moment de chaleur humaine, puis chacun est rentré chez soi, et il y a toujours des SDF, dehors, qui grelottent de froid sous leurs igloos rouges et qui n’ont ni la force de se révolter ni l’espoir de voir changer le monde.
La charité est là , finalement, pour empêcher les révolutions, car les riches, en redonnant aux pauvres une infime partie de ce qu’ils leur ont pris, se donnent bonne conscience, mais exigent de la reconnaissance. Aussi, après ça, comment les pauvres feraient-ils la révolution contre des riches aussi gentils ?
(1) http://fr.wikipedia.org/wiki/Abbé_Pierre
Des dessins sur le décès de l’Abbé Pierre
Avant qu’il ne ferme son blog, voici ce qu’écrit, le 22 janvier 2007, Laurent Bazin (journaliste) :
L’abbé Pierre au Panthéon ? Si l’on en juge aux hommages vibrants prononcés depuis ce matin, cela ne saurait tarder.
Les uns réclament des funérailles nationales, une béatification républicaine. Images5_5 Les autres louent, sans compter les superlatifs, le courage, l’abnégation, la vision de l’Abbé Pierre. Cinquante-trois ans apres l’appel qui l’a rendu célèbre (et qui a bien embarrassé à l’époque les politiciens français), Henry Grouès s’en va sous un tombereau de lauriers.
Le tout premier, Jacques Chirac, (ou plus probablement un conseiller de permanence à l’Elysée) trouva ce matin le bouton du fax. A 6h27, à peine dix-sept minutes après l’annonce officielle du décés, Images6_4Jacques Chirac, sans doute encore en pantoufle, déclare la « France entière touchée au cœur ». Un communiqué préparé de longue date, comme les nécrologies que les télés mettent aussitôt à l’antenne.
Le président arrive loin devant le peloton des hommages posthumes, qui lui ne déboule qu’une heure après (l’Elysée est-elle la seule abonnée à l’AFP ?) : Dominique de Villepin (7h52), bon second comme toujours, puis Bertrand Delanoé et sa « quête d’actualité » (7h53) et l’oeucuménique Dalil Boubaker (7h57), le recteur de la Grande Mosquée (qui lui était sans doute levé depuis belle lurette puisque la prière du matin en Islam commence à cinq heures tapantes).
Depuis les candidats se sont réveillés, Images9_3les bonnes âmes ont rivalisé d’audace pour saluer le grand homme, sa cause et sa verve. Jusque Jean-Marie Le Pen qui du bout des lèvres, vraiment, prédit sur notre plateau que l’Abbé « ira droit au paradis », avant de confier au café : « A l’aûne de l’Abbé Pierre, il me reste quatorze belles années devant moi ». Et on le sent alors tout ragaillardi par la perspective de pouvoir quelques années encore jouer les empêcheurs de tourner en rond.
Et de l’Abbé que reste-t-il ?
Un film d’actualité que l’on se repassera en Images7_5boucle, des photos vieillies, une loi sur le droit opposable au logement, que l’on feint de croire applicable. « La loi du tapage », dit Bernard Kouchner qui en connait un rayon.
Un exemple, une icone et... Ah, oui... Des hériters, à la pelle : les frères Legrand, ces Don Quichotte qui ont retenu du prêtre un vrai talent pour la provocation et l’utilisation des médias (voir « l’Abbé Pierre est un malin »), Jean-Baptiste Eyrault, du Droit au Logement qui jusqu’au bout, la semaine dernière aura tenté d’obtenir un dernier coup de gueule de l’Abbé... Les bénévoles d’Emmaus, bien sûr, leur président Martin Hirsch, qui tente, avec patience et modération mais pour l’instant sans grand succés, de se faire entendre des responsables politiques pour tenter de sortir « Deux millions d’enfants pauvres » de l’ornière. Images8_4
Dans les heures, peut-être les jours qui viennent, chacun tentera de s’attacher l’aura du Saint homme. Tout le monde l’aura croisé, vu, connu, aimé. On vous racontera les engueulades et les bons mots. Bref, l’Abbé deviendra un label que chacun portera à sa boutonnière, avant de le ranger, bien sagement avec les autres, dans les tiroirs de l’Histoire.