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Ecrit le 12 janvier 2005 :
La face cachée de la Constitution
Transparence et démocratie : voilà des principes qui, jusqu’au bout, auront été absents du débat sur le projet de constitution européenne. On se souvient du « hold-up démocratique » de Valéry Giscard d’Estaing, qui avait un temps caché les 340 articles de la partie III du projet de constitution.
Nous publions aujourd’hui (Ã partir d’un dossier du journal L’Humanité) des extraits de l’une des innombrables déclarations annexées au projet de traité constitutionnel.
Cette déclaration numéro 12
égrène les « explications »
du présidium de la convention
pour l’interprétation
de la charte
des droits fondamentaux.
Largement méconnue et en tout cas sciemment soustraite au débat public, elle restreint encore la portée de cette charte.
Pour certains articles,
les « explications » vont jusqu’Ã recommander le contraire
de ce qu’énonce la charte.
Un document dissimulé
Cette déclaration, présentée comme « un outil d’interprétation précieux destiné à éclairer les dispositions de la charte », est invoquée dès le préambule de la charte des droits fondamentaux : « La charte sera interprétée par les juridictions de l’Union et des États membres en prenant dûment en considération les explications établies sous l’autorité du présidium de la convention qui a élaboré la charte et mises à jour sous la responsabilité du praesidium de la convention européenne. » Comme si cela ne suffisait pas, cette recommandation est formulée à nouveau à l’article II-112.
Problème : pas la moindre trace, dans le texte du projet de constitution, de ces fameuses « explications ». Il faut mettre la main sur les documents annexés au projet de constitution et se perdre dans les centaines de pages des protocoles et autre déclarations pour les retrouver.
La lecture de ce document dissimulé au grand public est très intéressante :
chaque article de la charte des droits fondamentaux fait l’objet d’une « explication de texte » très précise.
Cependant certaines de ces explications n’ont qu’un lointain rapport avec les principes et droits proclamés dans la charte des droits fondamentaux.
C’est ainsi que la peine de mort, interdite dans la charte, est réintroduite au nom des « définitions négatives de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme », rédigées en 1950.
La peine capitale est admise par ces « explications » dans des situations « exceptionnelles », « pour des actes commis en temps de guerre ou de danger imminent de guerre ».
Restrictions aux libertés
Autre exemple : le droit à la liberté et à la sûreté.
L’explication du praesidium de la convention énonce les possibles limitations de ce droit : nul ne peut être privé de sa liberté, sauf « les aliénés, les alcooliques, les toxicomanes, les vagabonds ». Une formulation qui fait froid dans le dos, taillée à la mesure des pires fantasmes sécuritaires. La privation de liberté, sans jugement et sans condamnation, est également légitimée s’il s’agit d’empêcher des immigrants irréguliers d’entrer sur le territoire de l’Union.
La liberté de réunion
et d’association
a droit elle aussi à son chapelet de « restrictions légitimes », imposées « par les membres des forces armées, de la police ou de l’administration de l’État ».
Cette « explication », en contradiction totale avec la reconnaissance par la charte de la liberté de réunion et d’association, n’a rien à envier au Patriot Act de l’administration Bush.
Vie privée
Ce document admet également des restrictions de taille du droit au respect de la vie privée et familiale.
Des ingérences de l’autorité publique dans la vie privée sont envisagées au nom de la sécurité, mais aussi, de manière plus inattendue, au nom « du bien-être économique du pays » ou encore de « la morale ».
Une conception assez vague et assez extensive pour permettre toutes les remises en cause possibles !
Pour ce qui concerne le droit des étrangers, ceux qui avaient vu dans l’article II-79 interdisant « les expulsions collectives » la fin des charters risquent de tomber des nues. L’explication précise bien que cet article interdit l’expulsion, par une mesure unique, de tous les ressortissants étrangers originaires d’un même pays, ce qui est la moindre des choses.
Mais en aucun cas il ne s’agit d’interdire les mesures d’expulsion collective de type « charters ». Ici, la rédaction de l’article suppose un droit que les explications annihilent complètement.
décharger les États
de leurs obligations
Certaines explications illustrent également de manière beaucoup plus claire l’article II-111 de la charte, qui stipule que la charte des droits fondamentaux ne crée aucune compétence ni aucune nouvelle tâche pour l’Union.
C’est le cas des explications des articles sur le droit à l’éducation gratuite, sur la non-discrimination, sur le droit de négociation collective ou encore sur la sécurité sociale. Dans ces domaines, les explications visent à décharger les États comme l’Union des obligations découlant des droits énoncés.
Pas question, en clair, de se prévaloir de cette charte des droits fondamentaux pour faire respecter, dans les faits, le droit de grève, le droit à une éducation gratuite, l’interdiction des discriminations, ou même le droit, pourtant déjà bien limité, « d’accès à des prestations de sécurité sociale ».
Dernier tour de vis : cette déclaration annexée finit de réduire la portée déjà très limitée de la charte, par des explications sur son champ d’interprétation et d’application, balayant ainsi les illusions sur son caractère « contraignant ».
Passée à la moulinette de ces explications, il ne reste plus grand-chose de la « vitrine sociale » du projet de constitution européenne.
Rosa Moussaoui
(l’Humanité du 14.12.2004)
Ecrit le 12 janvier 2005 :
Quand Giscard d’Estaing vend la mèche
Les « explications » données par le praesidium de la Convention sur la charte des droits fondamentaux : jugez sur pièces.
Le préambule de la charte des droits fondamentaux de l’Union précise que « la charte sera interprétée par les juridictions de l’Union et des États membres en prenant dûment en considération les explications établies sous l’autorité du praesidium de la Convention qui a élaboré la charte »
En voici des exemples :
Article II-62 - Droit à la vie
1. Toute personne a droit à la vie.
2. Nul ne peut être condamné à la peine de mort, ni exécuté. " dit le projet de Constitution.
Explications établies sous l’autorité du praesidium de la Convention européenne :
« La mort n’est pas considérée comme infligée en violation de cet article dans les cas où elle résulterait d’un recours à la force rendu absolument nécessaire » (article 2 du protocole nº6 annexé à la CEDH).
" Un État peut prévoir dans sa législation la peine de mort pour des actes commis en temps de guerre ou de dan-
ger imminent de guerre ; une telle peine ne sera appliquée que dans les cas prévus par cette législation (...) ... "
Article II-66 - Droit à la liberté
et à la sûreté
« Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté » dit le projet de Constitution
Explications établies sous l’autorité du praesidium de la Convention européenne :
« Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales : [...] s’il s’agit de la détention régulière d’une personne susceptible de propager une maladie contagieuse, d’un aliéné, d’un alcoolique, d’un toxicomane ou d’un vagabond ; s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. »
Article II-72 - Liberté de réunion et
d’association
« Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association à tous les niveaux, notamment dans les domaines politique, syndical et civique. » dit le projet de Constitution.
Explications établies sous l’autorité du praesidium de la Convention européenne :
« [...] L’exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. Le présent article n’interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l’exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de l’administration de l’État. »
Article II-74 - Droit à l’éducation
« Toute personne a droit à l’éducation, ainsi qu’Ã l’accès à la formation professionnelle et continue. Ce droit comporte la faculté de suivre gratuitement l’enseignement obligatoire. » dit le projet de Constitution
Explications établies sous l’autorité du praesidium de la Convention européenne :
« [...] Tel qu’il est formulé, le principe de gratuité de l’enseignement implique seulement que, pour l’enseignement obligatoire, chaque enfant ait la possibilité d’accéder à un établissement qui pratique la gratuité. » il n’impose pas que tous les établissements, notamment privés, qui dispensent cet enseignement ou une formation professionnelle et continue soient gratuits
Il n’interdit pas non plus que certaines formes spécifiques d’enseignement puissent être payantes, dès lors que l’État prend des mesures destinées à octroyer une compensation financière. Dans la mesure où la charte s’applique à l’Union, cela signifie que, dans le cadre de ses politiques de formation, l’Union doit respecter la gratuité de l’enseignement obligatoire, mais cela ne crée bien entendu pas de nouvelles compétences.
Article II-79 - Protection en cas
d’éloignement,
expulsion et extradition
« Les expulsions collectives sont interdites. » dit le projet de Constitution.
Explications établies sous l’autorité du praesidium de la Convention européenne :
« Le paragraphe vise à garantir que chaque décision fait l’objet d’un examen spécifique et que l’on ne pourra décider par une mesure unique d’expulser toutes les personnes ayant la nationalité d’un État déterminé. »
Article II-81 - Non-discrimination
« Est interdite toute discrimination fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur les origines ethniques ou sociales, les caractéristiques génétiques, la langue, la religion ou les convictions, les opinions politiques ou toute autre opinion, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle. » dit le projet de Constitution
Explications établies sous l’autorité du praesidium de la Convention européenne :
" Ce paragraphe ne confère aucune compétence pour adopter des lois antidiscrimination dans ces domaines de l’action des États membres ou des particuliers, pas plus qu’il n’énonce une large interdiction de la discrimination dans lesdits domaines.
En fait, il ne concerne que les discriminations qui sont le fait des institutions et organes de l’Union. "
Article II-88 - Droit de négociation
et d’actions collectives
« Les travailleurs et les employeurs, ou leurs organisations respectives, ont, conformément au droit de l’Union et aux législations et pratiques nationales, le droit de négocier et de conclure des conventions collectives aux niveaux appropriés et de recourir, en cas de conflits d’intérêts, à des actions collectives pour la défense de leurs intérêts, y compris la grève. » dit le projet de Constitution.
Explications établies sous l’autorité du praesidium de la Convention européenne :
« [...] Les modalités et limites de l’exercice des actions collectives, parmi lesquelles la grève, relèvent des législations et des pratiques nationales, y compris la question de savoir si elles peuvent être menées de façon parallèle dans plusieurs États membres. »
Article II-94 - sécurité sociale
et aide sociale
« L’Union reconnaît et respecte le droit d’accès aux prestations de sécurité sociale et aux services sociaux assurant une protection dans des cas tels que la maternité, la maladie, les accidents du travail, la dépendance ou la vieillesse, ainsi qu’en cas de perte d’emploi, selon les règles établies par le droit de l’Union et les législations et pratiques nationales » dit le projet de Constitution..
Explications établies sous l’autorité du praesidium de la Convention européenne :
« [...] La référence à des services sociaux vise les cas dans lesquels de tels services ont été instaurés pour assurer certaines prestations, mais n’implique aucunement que de tels services doivent être créés quand il n’en existe pas. »
Article II-96 - Accès aux services
d’intérêt économique
« L’Union reconnaît et respecte l’accès aux services d’intérêt économique général tel qu’il est prévu par les législations et pratiques nationales, conformément à la constitution, afin de promouvoir la cohésion sociale et territoriale de l’Union. » dit le projet de Constitution..
Explications établies sous l’autorité du praesidium de la Convention européenne :
" Cet article est pleinement conforme à l’article III-122 de la constitution et ne crée pas de droit nouveau.
Il pose seulement le principe du respect par l’Union de l’accès aux services d’intérêt économique général tel qu’il est prévu par les dispositions nationales, dès lors que ces dispositions sont compatibles avec le droit de l’Union. "