Ecrit le 16 décembre 2020
Patronnesse
Pour faire une bonne dame patronnesse
C´est qu´il faut faire très attention
A ne pas se laisser voler ses pauvresses
C´est qu´on serait sans situation
Pour faire une bonne dame patronnesse
Il faut être bonne mais sans faiblesse
Ainsi j´ai dû rayer de ma liste
Une pauvresse qui fréquentait
un socialiste
Pour faire une bonne dame patronnesse, Mesdames
Tricotez tout en couleur caca d´oie
Ce qui permet le dimanche
à la grand-messe
De reconnaître ses pauvres à soi
c’est ce que chantait Jacques Brel au sujet de ces dames de la ’haute société’ qui avaient leurs pauvres à elles, avant que la sécurité sociale instaure un régime de solidarité et non de charité.
On ne peut s’empêcher de penser à cette chanson à la lecture d’un article d’un quotidien local où le maire de Châteaubriant oppose « ces gens-là », envoyés par la préfecture à Châteaubriant, avec les nôtres, « nos pauvres ».
Viviane Lopez, conseillère régionale,
réagit :
Je réagis en tant que citoyenne et en tant qu’élue régionale. Je suis vraiment indignée par ces propos. Pour moi ils sont très proches de ceux tenus par le Front National sur les bancs de la Région. La question est-elle celle des finances ? Ces familles vont-elles impacter l’équilibre financier des collectivités, voire de l’État ?
Et que dire de la considération accordée aux associations qui viennent en aide à ces personnes ? Qui attise les mouvements populistes ? Comment peut-on tenir de tels propos en étant un élu de la République ?
où va l’argent des pauvres ?
Qui n’a jamais vu, rappelle l’auteur du livre « où va l’argent des pauvres », des enfants arborant des baskets neuves et de marque tout en ne pouvant payer quelques euros de sortie scolaire ? des familles pauvres mais dont les placards regorgent de nourriture ? des migrants à la rue mais collés à leur smartphone ? Des démunis régulièrement perçus comme de piètres gestionnaires et des « assistés » délibérément oisifs
Denis Colombi explique que même versées sous forme monétaire, les prestations publiques sont souvent perçues socialement non comme des droits mais comme des dons, engendrant un sentiment de dépendance et, selon le terme péjoratif qu’on leur accole, « d’assistanat ». d’où l’humiliation ressentie par les bénéficiaires
La thèse centrale de D.Colombi est que leur seule spécificité est de ne pas avoir d’argent. Il n’y a de différences ni ontologique, ni culturelle, ni de capacité gestionnaire, scolaire ou autre. Seule leur pauvreté (donc leur état de contraintes et de manque permanent ; leur confinement géographique et temporel ; leur disqualification sociale) explique les différences de comportements et la volonté de sortir de la honte et de la dévalorisation de soi.
Comprendre pourquoi, dans ces conditions, on refuse à toute une part de la population de vivre décemment, conduit à chercher à qui profite l’affaire. d’abord, les pauvres paient plus cher (contraints d’acheter à crédit et parfois dramatiquement, en témoignent les subprimes ou autres crédits revolving ; de toutes les couches sociales, c’est sur leurs logements que la marge des loyers est la plus juteuse, d’autant qu’ils osent moins demander des réparations et mises en conformité par crainte de l’expulsion).
Surtout, sous la contrainte de « parodies de choix » (payer une chambre miteuse ou être expulsé, être livreur ou au chômage, etc.), ils font le « sale boulot » (éboueurs, BTP, manipulation de charges lourdes et de produits dangereux, services à la personne, ...). Et pour des salaires de misère.
La fonction politico-économique de l’assistance ne viserait pas tant à aider les plus fragiles qu’Ã préserver cet ordre social, assurer la « régulation des pauvres », « maintenir certaines populations à leur place », à assurer le maintien de la pauvreté, donc le statu quo social.
Pour l’auteur, résorber la pauvreté serait pourtant possible. Ne manque qu’une volonté politique de mieux répartir les richesses. Les expérimentations montrent que pour irriguer le bas de l’échelle sociale il faut commencer non par le haut mais par le bas. d’où l’idée de la création d’un Revenu universel d’activité.
Un livre salutaire pour aider à faire des choix de société Ed. Payot, 2020,