Ecrit le 20 avril 2021
Le mot œuf est issu de l’ancien français oef, forme qui vient du latin ovum dont le o s’est au fil du temps transformé pour aboutir à Å“, prononcé eu, et le v, à f (1).
Chacun sait qu’un œuf est un corps dur mais cependant fragile que produisent en particulier les oiseaux ; ceux des poules font partie de notre alimentation et sont préparés de différentes façons : à la coque, mollets, durs, sur le plat, en omelette, à la crème, brouillés, pochés, mimosa, à la neige, au lait, au bacon (2), en gelée, en meurette, à la russe.
Autrefois, au moment de Pâques, on cachait des œufs, souvent peints à la main dans les jardins, ou dans les maisons, à l’intention des enfants. Par analogie, ce sont des œufs en chocolat, fourrés ou creux - remplis dans ce cas de friandises - souvent entourés d’un ruban, que l’on offre à ce moment-là à son entourage.
Dans le domaine de la couture, on se servait autrefois d’une boule de buis ovoïde qu’on appelait un œuf pour raccommoder bas et chaussettes. Et de nombreuses personnes font collection de bibelots en forme d’œuf faits de toutes sortes de matières.
Le nom œuf est présent dans des expressions telles :
– marcher (comme) sur des œufs,
– ne pas mettre tous les œufs dans le même panier,
– étouffer dans l’œuf,
– tuer la poule aux œufs d’or (3),
et dans des proverbes tels :
– on ne fait pas d’omelettes sans casser des œufs,
– qui vole un œuf vole un bœuf,
ainsi que dans des expressions familières :
– va te faire cuire un œuf,
– faire l’œuf,
– être plein comme un œuf,
– avoir une tête (ou un crâne) d’œuf.
En argot, un œuf est une ecchymose enflée au visage. Dans le domaine du sport, il désigne un ballon de rugby et dans celui du ski, c’est une position destinée à accroître la vitesse du skieur (genoux fléchis, buste en avant, tête relevée).
Plusieurs comptines sont consacrées au thème de l’œuf, en voici une d’Anne Sylvestre, disparue en décembre 2020 :
Mon œuf est tout neuf, (bis)
Je le pose pointe en haut,
Crac un coup de mon couteau,
Je lui découpe un chapeau,oh,oh,oh,oh
Un peu de blanc, un peu de jaune
Un peu de blanc, beaucoup de jaune,
Beaucoup de blanc, très peu de jaune
Rien que du blanc et plus de jaune,
Mon œuf est tout neuf (bis)
Je le pose pointe en bas
Et j’appuie un peu comme ça
La coquille est tout en tas,ha, ha ,ha, ha !
`
1) De même bove(m) a donné bœuf et novu(m), neuf.
(2) Rappelons que ce mot vient du vieux français bacon, issu de l’ancien francique bako (lard, coupe du flanc du porc) et apparenté au mot anglais back (dos). Introduit en Angleterre par Guillaume le Conquérant, il nous est ensuite revenu avec l’accent anglais.
3) L’expression vient du titre d’une fable écrite par le poète latin Esope (VI e siècle avant J.-C.) et reprise par La Fontaine en 1668 (Livre V, fable 13), dont la morale, affichée au premier vers :
l’avarice perd tout en voulant tout gagner,
est développée à la fin de la fable en ces termes :
Pendant ces derniers temps, combien en a-t-on vus
Qui du soir au matin sont pauvres devenus
Pour vouloir trop tôt être riches ?
DEVINETTE : d’où vient l’expression L’œuf de Colomb ?
REPONSe à la DEVINETTE du dernier numéro : Pousser une botte à quelqu’un est une expression empruntée à l’escrime, qui signifie lui faire une attaque imprévue.
Elisabeth Catala
Ecrit le 27 avril 2021
Å’uf (2)
La naissance du monde à partir d’un œuf est une idée commune aux Celtes, Grecs, Egyptiens, Phéniciens,Tibétains, Hindous, Chinois et tant d’autres. L’œuf est en effet un symbole universel.
Avec le symbolisme de l’œuf, on touche aux mystères de la création et de la vie. c’est le symbole le plus en rapport avec les mystères du vivant. Il nous fait aller dans la dimension très paradoxale du passage entre le chaos et le monde différencié, quand les choses commencent à venir à l’existence, au moment où tout est encore possible.
Deux images se dégagent par rapport à la création :
– soit l’œuf est la matrice qui contient tout à l’état virtuel,
– soit l’œuf est la première forme d’organisation avec sa structure ternaire : la coquille avec sa membrane, le blanc et le jaune.
Dans les deux cas, on parle d’œuf cosmique. L’œuf contient en germe la multiplicité des êtres qui vont en sortir. Il apparaît souvent sur les eaux ou sur un tertre. Chez les Celtes, il est pondu par un serpent, chez les Chinois, il est craché par un dragon. Chez les Egyptiens, il est aussi craché par un serpent ou pondu par un oiseau. Dans la tombe de Toutankhamon, qui date de 1332-33 avant notre ère, on a découvert le couvercle d’une jarre en albâtre montrant un oiseau récemment éclos entouré de quatre œufs.
En Inde, l’œuf cosmique, couvé à la surface des eaux primordiales par l’oiseau Hamsa, se sépare en deux moitiés pour donner naissance au Ciel et à la Terre. Quant à Brahmâ, l’ancêtre de tous les mondes, il naquit d’un œuf d’or, revêtu de l’éclat du soleil aux mille rayons.
Au Japon, l’œuf primordial du Shintô se sépare lui aussi en une moitié légère, le Ciel, et une moitié dense, la Terre. En Chine des héros naissent d’œufs fécondés par le soleil.
Dans la mythologie grecque, léda, l’épouse de Tyndare, roi de Sparte, donna naissance à Clytemnestre et à Castor qui naquirent dans un œuf et, séduite par Zeus qui avait pris la forme d’un cygne, conçut deux autres enfants, Hélène et Pollux, qui naquirent aussi dans un œuf. Certains auteurs présentent cependant Castor et Pollux comme fils de Zeus tous les deux.
Le mythe du Phénix qui renaît de ses cendres illustre aussi le processus de l’immortalisation de la vie : au moment de mourir, le phénix, un grand oiseau d’Ethiopie qui vit 500 ans, pond un œuf d’où naît son successeur.
Symbole de l’unité triple, coquille, blanc et jaune, l’œuf a une structure semblable à celle d’une cellule : noyau, cytoplasme et membrane.
Offrir des œufs est une tradition universelle, liée au Nouvel An ou à d’autres moments de passage du calendrier. En Perse et en Chine, on s’offre des œufs colorés au Nouvel An.
Dans la tradition chrétienne, l’œuf symbolise la résurrection du Christ , notons que les œufs offerts à cette occasion étaient souvent colorés en rouge, en mémoire du sang du Christ.
Dans les traditions non chrétiennes, il est le symbole du renouveau du printemps et dans la tradition juive, il symbolise le Passage (Pascha, paska, origine étymologique du mot Pâques), c’est-Ã dire le retour de l’exil en Egypte. Notons également que la date de Pâques est liée à la lune de printemps.
Ainsi, l’œuf symbolise le triptyque vie- mort-résurrection (ou renaissance).
DEVINETTE : d’où vient l’expression Treize à la douzaine ?
REPONSe à la DEVINETTE du dernier numéro : lors d’un dîner où un convive avait minimisé la découverte de Christophe Colomb d’un « C’était simple mais il fallait y penser », Christophe Colomb lui avait répliqué de la même façon au moment où il avait gagné le pari de faire tenir droit un œuf dur (en écrasant l’une de ses extrémités).
Elisabeth Catala
Ecrit le 5 mai 2021
Le concert dans l’œuf (108,5 cm x126,5 cm).
Longtemps pris pour un original de Jérôme Bosch, cet étrange tableau, daté de 1561, est une copie d’une toile du peintre qui a été perdue (1).
Jérôme Bosch (1453 (?)-1516 ) fait partie de l’Ecole des Primitifs flamands. La religion tient une place prépondérante dans son œuvre. Le triptyque intitulé Le jardin des délices, Saint Jérôme en prière et La tentation de Saint Antoine figurent parmi ses œuvres les plus célèbres.
Le concert dans l’œuf reprend un thème connu en Europe depuis la fin du XVe siècle, celui de la nef des fous. Il illustre un texte du poète sébastien Brant (1491) qui raconte le voyage de personnages en proie à la folie, assis dans une embarcation en forme d’œuf. Il peut aussi être lu comme une satire de l’alchimie, dans laquelle l’œuf symbolise le creuset du Grand Å’uvre (transformation du monde en un paradis éternel).
Entassés dans un œuf géant craquelé de toutes parts, dIx personnages grimaçants chantent à tue-tête. Au premier plan, une vieille femme joue de la harpe, accompagnée à la flûte par un homme en rouge, sur le turban de qui est perchée une cigogne. Une nonne est coiffée d’un hibou, symbole de l’hérésie, un personnage porte sur la tête un pigeonnier (autrement dit une maison close). Le moine qui entraîne ses compagnons à chanter en suivant la partition ouverte devant eux est si concentré qu’il ne remarque pas qu’un voleur au visage sombre est en train de couper la cordelette qui retient sa bourse ! A côté de lui, un personnage est coiffé d’un entonnoir inversé, symbole de la folie, qui, à l’époque, était associée à Satan.
La toile foisonne d’animaux et de créatures étranges : un singe qui joue de la flûte, une tortue, deux pies, une chauve-souris, un poisson qu’un chat fait cuire sur une grille et que convoite une main tendue qui sort de l’œuf, un âne affublé d’un luth et d’un chapeau à plumes et de curieux personnages miniatures en train de festoyer... dans une chaussure !
Notons que le singe, le serpent et le hibou sont trois animaux associés au diable et que la tortue, la cruche et la pie le sont à l’alchimie. Et rappelons que le poisson symbolise le Christ.
Les flammes, en bas à gauche du tableau, la pomme de la tentation suspendue à un panier de victuailles, une cruche à vin sont autant de signes que le tableau est bien une mise en garde du peintre, humoristique, mais sévère, contre les dérives comportementales qui mènent à l’Enfer.
(1) Cette toile ne peut pas être de sa main car le livre de chansons grivoises qui y figure date de 1549, soit 33 ans après sa mort ! Serait-elle l’œuvre de Pieter Brueghel le Jeune comme l’a suggéré un conservateur du musée du Louvre ?
DEVINETTE : Quel grand peintre italien était le contemporain de Jérôme Bosch ?
Elisabeth Catala
qui nous offrira périodiquement la description d’un tableau