Ecrit le 26 juin 2004
Selon l’organisation internationale du travail :
Vive le travail non rémunéré
L’organisation internationale du Travail (OIT) vient de publier un rapport sur " les changements
dans le monde du travail ".
L’OIT est la seule organisation internationale tripartite qui permet des échanges entre les représentants des gouvernements, des employeurs, des travailleurs et autres acteurs sociaux.
Le président Juan Somavia résume ainsi son rapport (extraits)
Le travail occupe une place primordiale dans la vie de chacun - source d’identité mais aussi de revenus, il nous permet de satisfaire nos besoins matériels.
Le travail est l’un des principaux moyens par lesquels nous entrons en relation avec les autres. C’est à la fois une responsabilité individuelle et une activité sociale, reposant souvent sur la collaboration au sein d’une équipe. Il peut être synonyme de dignité et d’épanouissement, mais aussi d’exploitation et de frustration.
Pour les familles et les collectivités, le travail décent est le fondement de la stabilité et de la promotion sociale.
La simple réalité de devoir travailler pour gagner sa vie est une dimension de l’expérience humaine commune aux femmes et aux hommes du monde entier. Le travail est un point de référence pour apprendre à se connaître.
LSelon le rapport de l’OIT : Un sentiment gagne, celui de la dévalorisation du travail et de la dignité qu’il confère.
De fait, aujourd’hui, la pensée économique considère le travail comme un simple facteur de production - une marchandise -, oubliant la dimension individuelle, familiale, collective et nationale de cette activité humaine.
Travail non rémunéré
En premier lieu, notre définition du « travail » inclut le travail familial ou collectif non rémunéré, qui est rarement pris en compte aujourd’hui par la pensée économique et sociétale. Une grande partie est réalisée par les femmes et de lui dépend le bien-être non seulement des jeunes et des personnes âgées ou malades, mais aussi des travailleurs qui ont un emploi rémunéré. Il est souvent mené parallèlement à un travail rémunéré.
L’un des messages à retenir est qu’ il y a urgence à mieux évaluer et analyser la contribution au bien-être de tous de ce travail non rémunéré. Cet effort s’impose si nous voulons aider les femmes et les hommes à surmonter la contradiction
– entre la nécessité de gagner sa vie et
– celle d’assumer ses responsabilités au sein de la famille et de la collectivité.
Il importe de bien comprendre que ce que nous appelons productivité économique est en fait indirectement subventionné par la productivité sociale du travail non rémunéré.
Marché mondial ?
Ma deuxième question est la suivante : peut-on véritablement parler d’un marché du travail mondial ? Ce marché n’est-il pas encore, simplement, la somme des marchés du travail nationaux ?
Après tout, en dépit de l’expansion régulière des migrations de main-d’œuvre, les hommes et les femmes, en général, ne sont pas libres de se déplacer en quête d’emploi n’importe où dans le monde.
Qui plus est, la moitié de la main-d’œuvre mondiale, occupée en milieu rural, dans l’agriculture de subsistance ou dans l’économie informelle des villes du monde en développement, ne gagne pas assez pour se hisser au-dessus du seuil de pauvreté.
Ces travailleurs, qui font potentiellement partie de la main-d’œuvre « mondiale », ne tirent aucun avantage de la mondialisation : ils sont privés de la possibilité d’être présents sur le marché mondial en tant que consommateurs.
Cependant, la libéralisation des échanges et des flux de capitaux allant de pair avec l’amélioration spectaculaire des communications et des transports signifie qu’un nombre croissant de travailleurs et d’employeurs s’affrontent sur le marché mondial pour vendre le produit de leur travail.
La question qui se pose alors pour l’OIT est d’élaborer des normes adaptées à un tel marché.
Travail décent
Le troisième point à souligner est que quatre travailleurs sur dix dans le monde tirent leurs subsistances de la terre et que, dans certains des pays aux revenus les plus bas, l’agriculture occupe plus des trois quarts de la main d’œuvre, en particulier des femmes. La plupart sont très pauvres, ce qui explique l’importance de l’exode des villageois vers les villes des pays en développement à la recherche d’un travail mieux rémunéré. Le travail informel y est souvent très mal payé, dangereux et précaire, et la vie y est difficile.
Nombreux aussi sont les femmes et les hommes des pays à bas revenu qui cherchent à l’étranger des possibilités d’emploi qui n’existent pas chez eux.
L’esprit d’entreprise nécessaire au développement économique et social est trop souvent sapé par le combat quotidien pour la survie.
Aussi est-il indispensable de faire de la création d’emploi décent une partie intégrante des stratégies de développement.
Donner à chacun de réelles perspectives grâce à l’éducation, la santé, le logement et un travail décent : tels sont bien les objectifs du développement et de la démocratie.
Il nous faut aussi être clairs sur ce que n’est pas le travail décent : le travail des enfants, le travail forcé, en servitude, le travail sans la liberté de s’exprimer ou de s’organiser, diverses formes d’exploitation et de discrimination, le travail de subsistance, et les nombreux exemples où l’impératif de survie annihile la dignité humaine.
Chance
La quatrième question qui sous-tend le rapport porte sur la création d’un cadre institutionnel permettant aux travailleuses et aux travailleurs d’envisager le changement davantage comme une chance que comme un risque.
Pour beaucoup de travailleurs, tant dans les pays développés que dans les pays en développement, le changement est une menace. La sécurité qu’ils ont pu se créer est bien fragile et le risque, s’ils viennent à perdre leur emploi, de ne rien trouver de comparable est élevé.
Il ne s’agit donc pas de savoir jusqu’où l’on peut encore aller dans les réformes structurelles et l’incertitude, mais bien de déterminer les moyens de créer des économies adaptables et équitables qui mettent la création du travail décent au cœur même des politiques économiques, sociales et environnementales.
C’est aujourd’hui, nous le savons tous, la revendication démocratique la plus forte et la plus universelle. C’est aussi celle qui se heurte aux plus grands obstacles. réaliser l’objectif du travail décent pour tous suppose de remettre en question un statu quo qui est moralement, socialement, économiquement et politiquement insoutenable.
Droits
La cinquième question est celle des droits des femmes et des hommes au travail.
D’une façon ou d’une autre, le travail est quasiment toujours une activité collective qui requiert coordination et esprit d’équipe et donc la bonne compréhension des rôles, responsabilités et récompenses. Le travail décent repose donc sur un socle de droits qui encourage le respect mutuel et le dialogue, et empêche la coercition et la discrimination.
Trouver l’équilibre entre la flexibilité et la sécurité à l’ère des opportunités et de l’incertitude suppose une approche de la gouvernance des marchés du travail solidement ancrée dans les droits et qui favorise le dialogue social.
Crise de l’emploi
La sixième et dernière question que je souhaite aborder ici est qu’ il ne saurait y avoir de droits au travail s’il n’y a pas de travail.
La création d’emplois est donc au cœur même du programme de l’OIT. La voie vers le travail décent passe par la croissance, l’investissement et le développement de l’entreprise. développer les qualifications des travailleurs et des dirigeants est crucial pour pouvoir tirer parti des avantages des nouvelles technologies et les partager. Il est urgent de promouvoir un environnement compétitif propice à l’esprit d’entreprise.
La toile de fond de ce rapport est la crise de l’emploi qui ne cesse de s’amplifier à l’échelle mondiale.
La création de possibilités de travail décent pour les travailleurs qui gagnent deux dollars par jour, voire moins, pour vivre et faire vivre leurs familles - soit la moitié de la main-d’œuvre mondiale - progresse à un rythme désespérément lent.
Le secteur informel dans lequel ils travaillent sans prestations, sécurité sociale ni services de santé s’étend dans beaucoup de pays.
Il n’y a jamais eu autant de chômeurs, c’est-Ã -dire de personnes dépourvues de tout travail : leur nombre frôle aujourd’hui les 192 millions, soit environ 6 pour cent de la main-d’œuvre mondiale. Selon les estimations du BIT, 86 millions d’entre eux, soit un peu moins de la moitié, sont des jeunes âgés de 15 à 24 ans.
Qui ne trouve pas de travail sur place, dans sa communauté, dans sa société, cherche ailleurs. Dans le contexte actuel, les migrations de main-d’œuvre deviennent vite une source de tension, sans parler de la traite d’êtres humains et autres activités similaires auxquelles elles donnent lieu.
En dépit de la vigueur de la croissance - 4,3 pour cent en 2005 - l’économie mondiale n’arrive pas à créer suffisamment de nouveaux emplois pour ceux qui accèdent au marché du travail.
Ces tendances ont des conséquences politiques importantes, notamment :
– le nombre d’emplois créés étant insuffisant, la concurrence pour les emplois disponibles se fait de plus en plus vive entre les pays ;
– la demande d’équité - qu’il s’agisse du fonctionnement des marchés mondiaux ou des règles de la mondialisation - ne cesse de s’amplifier ;
– une tendance rampante au protectionnisme fait son apparition. Le rythme de la libéralisation des échanges et des capitaux s’est ralenti ;
– des opérations normales - externalisation, délocalisation, investissements étrangers - sont vigoureusement critiquées, les entreprises étant accusées de créer des emplois « Ã l’étranger » ;
– des voix réclament avec force un contrôle plus ferme de l’immigration, non sans arrière-pensées, parfois xénophobes ;
– les questions d’emploi font perdre ou gagner les élections, tandis que diminue la foi en la capacité des gouvernements de tenir leurs promesses, quelle que soit leur position sur l’échiquier politique ;
– on assiste à une multiplication de formes diverses de violence passive et active qui réduit l’espace du dialogue, du règlement des conflits et du consensus.
répondre à la nécessité de faire du travail décent un objectif mondial est plus que jamais à l’ordre du jour, aussi bien à l’échelle mondiale que régionale et nationale.
Source : http://www.ilo.org/public/french/standards/relm/ilc/ilc95/pdf/rep-i-c.pdf
Ndlr : ce rapport est intéressant . Pour certains, il enfonce des portes ouvertes. Pour d’autres il recadre bien la problématique du travail.
Restent des questions
qui n’ont pas été posées :
– qui considère le travail comme une marchandise et les salariés comme des machines ?
– qui organise la crise de l’emploi pour dégager davantage de profits pour les actionnaires ?
L’OIT a sans doute de bonnes idées. Mais l’impuissance des pouvoirs politiques, face aux pouvoirs économiques, les rendra longtemps inopérantes.
Les Français et le travail
Thomas Philippon, professeur à New-York, s’interroge sur la valeur « travail » à partir d’un constat dressé par « World Value Survey » qui a mené une enquête internationale.
Pour lui, les Français travaillent trop peu. Mais pourquoi ? « la plupart des commentateurs s’en tiennent à une analyse superficielle : on travaillerait peu parce que l’on abuse des préretraites, parce que les entreprises refusent de garder leurs seniors, ou parce que l’Etat a imposé les trente cinq heures. Mais tous ces éléments sont des symptômes, non des causes profondes. »
Il explique que la cause profonde est : la mauvaise qualité des relations sociales dans l’entreprise. « La France est le pays développé où les relations du travail sont les plus mauvaises » .
La faute à qui ?
L’attitude des syndicats ?
« L’histoire syndicale de la France est souvent montrée du doigt, et il y a de bonnes raisons pour cela. Interdits, ostracisés, les syndicats français ont eu au XIXe siècle une enfance malheureuse dont ils ne se sont jamais vraiment remis. Cette histoire est bien connue ».
Le comportement des chefs d’entreprise ? Pourquoi les employés sont-ils malheureux ? Parce qu’ils ne sont pas assez libres de prendre des initiatives et parce que leur travail n’est pas assez reconnu au sein de leurs entreprises. La France reste un pays où les hiérarchies sont rigides et le management autoritaire
La première conséquence des mauvaises relations du travail est bien sûrde rendre les travailleurs malheureux. Mais l’histoire ne s’arrête pas là , car il y existe un cortège de conséquences indirectes, dont la première est le chômage.
Depuis les années 1970, les pays dont les relations du travail sont hostiles ont vu leur taux de chômage augmenter nettement plus que les pays dont les relations sont coopératives.
– Dans les pays où les relations du travail sont bonnes, le chômage résulte des flux normaux du marché du travail : entrée, sortie, changement de travail.
– Dans les pays où les relations sont hostiles, le chômage fait partie d’un équilibre de la terreur, la coopération nécessaire au sein des entreprises ne découlant pas de la légitimité des dirigeants, mais de la crainte du chômage.
Source : http://pages.stern.nyu.edu/~tphilipp/france/travail.pdf