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Les causes du harcèlement :
Le harceleur
Selon le professeur Leymann, à la base du harcèlement, il y a toujours un conflit lié à la personnalité du harceleur, rarement à celle du harcelé
Concernant l’agresseur, celui qui est identifié comme le harceleur est rarement le patron, c’est plus souvent un chef de service. Mais ce n’est pas toujours le cas puisqu’il existe des personnes harcelées par leurs subordonnés, par un collègue ou même par tout le collectif de pairs.
Dans le cas où le harceleur est un chef, il fonctionne de façon tyrannique souhaitant que chacun soit soumis à sa volonté et à son pouvoir arbitraire. Pour lui les critères d’attribution des gratifications ou des sanctions sont le « fait du prince », fondés sur l’allégeance des uns et des autres
Cela ne peut que poser des questions sur la personne même de l’agresseur : une personnalité pour laquelle le pouvoir et la personne ne font qu’un ; un dirigeant identifié à sa fonction et qui, pour sa sécurité morale personnelle, a besoin d’attribuer aux autres la responsabilité des échecs que subit l’entreprise. C’est bien la technique des boucs émissaires.
Ce peut être aussi le comportement d’un « chef » qui, manquant d’envergure personnelle, tente de s’imposer par la force ... ou par un moyen détourné : « Quand j’ai un problème avec un salarié, je me sers du groupe pour le régler » : façon d’utiliser la pression du groupe pour pousser la brebis, réputée galeuse, vers la porte (démission).
« Le harcèlement implique des personnalités rigides (cas fréquent) ou à fonctionnement pervers (beaucoup plus rare) » dit le Dr Strachwitz du Centre Hospitalier de Rouffach.
Les circonstances
Il existe ainsi des cas où le harcèlement est une stratégie délibérée de gestion du personnel, visant à faire partir les gens sans avoir à assumer le coût et la publicité d’un licenciement collectif.
Le harcèlement est sans aussi l’aboutissement d’une histoire, qui fait que, à la longue, on ne peut plus se supporter. Dans ce cas, un licenciement officiel rendrait public un conflit pour lequel il faudrait donner un motif et accepter une séparation qui reconnaisse des droits (donc un préjudice) à la victime. C’est le cas de représentants syndicaux qui subissent des harcèlements parce qu’ils représentent une remise en cause de la hiérarchie. C’est le cas aussi de salariés qui tiennent tête et refusent de se laisser écraser.
En général, le patron, le vrai, celui qui a bien la maîtrise de son affaire, n’est pas un harceleur. Mais il doit céder aux arguments du chef de service qui « démolit » le salarié auprès du patron. C’est souvent ce qui arrive aux délégués syndicaux. Le chef de service n’admet pas facilement que les relations avec le patron ne passent pas par lui : les relations institutionnelles des délégués syndicaux avec le patron lui semblent une attaque intolérable de son pouvoir.
Les victimes
Du côté des victimes, la situation est complexe. « On ne note pas a priori de traits de caractère ou de personnalité particuliers » au départ.
En revanche la situation de harcèlement modifie le comportement des victimes, comme le montrent les exemples ci-dessus. Monsieur C (cas n° 2) dit lui même qu’Ã force de s’entendre traiter d’incompétent, il finissait par faire des erreurs et à apporter de l’eau au moulin du harceleur. On a pu en effet constater que dans bien des cas, la victime, en se défendant, finit par participer au système qui l’opprime, ses propres défenses se retournent contre elle. C’est le problème du moucheron, pris dans une toile d’araignée et qui, en se débattant, se ligote toujours plus. Bien des gens disent « et pourtant, je travaille jusqu’Ã l’épuisement et ce n’est jamais assez bien ».
« Il apparaît en fait dans la plupart des cas que nous avons vus, que le but recherché n’est pas que les gens travaillent, mais qu’ils soient soumis. Il y a en quelque sort erreur sur les termes du contrat. » dit l’association « Mots pour maux au travail »
La terreur
« Nous nous sommes interrogés sur un aspect de cette souffrance qui nous semblait le plus marquant : son intensité et l’horreur, voire la terreur ressentie par certains à l’idée même de retourner travailler à l’issue d’un congé de maladie. Que vivaient-ils donc de si épouvantable qui pouvait les mener à la maladie, voire au suicide. ? » interroge l’association « Mots pour maux au travail » . Le problème se pose en effet puisqu’on a pu connaître à Châteaubriant même, des gens posés, et de grande valeur, se mettre à trembler en entrant sur leur lieu de travail.
Tout d’abord, la terreur : les harceleurs sont dans l’absence de limite. La victime se situe dans l’horreur d’un monde imaginaire où tout peut arriver, où n’existent que des relations fusionnelles d’amour ou de haine, où aucune instance tierce ne fait office de loi.
Pas le travail, mais la soumission
Un autre aspect de la souffrance est la privation de travail : « être privé de travail dans un lieu où ma présence n’a de sens que par le fait de travailler, renvoie à une peur qui s’ancre dans le risque de déstructuration, de la perte des points de repères, de la perte du sens » témoigne une personne. En effet, le travail c’est ce qui donne son sens au fait d’être précisément à cet endroit, en relation avec d’autres, dans un but précis. Le risque est bien celui de l’aliénation mentale.
La privation de parole, de relation est aussi pénible que la privation de travail. L’isolement, la mise en quarantaine, le sentiment d’être incompris de ses collègues de travail et même de sa famille à qui on ne peut raconter cette situation. C’est une situation d’aliénation sociale où la seule alternative est d’adhérer ou d’être éliminé.
Le déni du travail :
La surcharge de travail de Monsieur C qui le mettait dans une situation totalement paradoxale puisqu’il était dans la situation intenable de ne pas pouvoir faire le travail qui lui était demandé et de légitimer lui-même les sanctions qui étaient prises à son égard, le fait que jour après jour, il se soit vu privé des moyens de faire son travail notamment par la confiscation de son pouvoir de décision, laisse apparaître en filigrane la même évidence que tout à l’heure : le travail n’était pas le plus important dans l’affaire.
On est même dans le déni du travail et c’est là que se joue tout le ealentendu puisque ce déni est unilatéral. En effet, plus d’un côté, le travail est nié, plus de l’autre, on s’y raccroche comme seul élément de réalité et seul rempart contre l’agression.
Le rôle du collectif
Le travail de groupe mené par l’association « Mots pour Maux au travail » a pu faire apparaître aussi l’importance du collectif dans les questions de harcèlement. Des collègues sont là , des représentants du personnel aussi et de leur attitude dépendra l’évolution du harcèlement.
Il arrive que des collègues de travail se rallient au harceleur et deviennent actifs dans le harcèlement :
Soit parce que la victime mettrait en danger les défenses collectives. Il y a alors une coalition contre celui qui déstabilise.
Soit parce que ces collègues s’identifient collectivement au patron à qui ils veulent ressembler.
Pour que le harcèlement ne devienne pas une affaire duale où la destruction est possible, il faut que d’autres, des tiers viennent s’interposer. Cette fonction d’interposition peut être tenue par d’autres que les collègues : dans le cas d’un harcèlement entre collègues, l’intervention de la hiérarchie peut remplir cette fonction ; les syndicats peuvent aussi avoir à remplir ce rôle. L’essentiel est que cette fonction tierce soit assurée.
Mais il arrive que le collectif ne joue pas son rôle : « Une des hypothèse à retenir est que du moins au début, le harcèlement est peu apparent ou n’est pas reconnu comme tel par les collègues »
Il peut se produire aussi que le collectif n’existe pas . C’est le cas d’entreprises où l’on pratique le « diviser pour régner ». Monsieur C raconte que « le patron disait du mal des uns et des autres, faisait courir des bruits, créait des rivalités en accordant des avantages aux uns et pas aux autres, etc.... Pratiques de plus en plus courantes qui consistent à pousser à l’individualisme. ».
Dans d’autres cas, fréquents, le collectif est passif car il a peur. Peur pour son emploi ; peur de subir à son tour le même harcèlement, le même sort. Chacun fait le dos rond : tant que ça tombe sur lui, c’est pas sur moi.
Heureusement il existe des cas où un harcèlement a cessé à la suite d’une prise de position de collègues qui ont fait pression sur le harceleur pour qu’il mette fin à ces pratiques .