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Ecrit en juin 2000
Torture en Algérie
« J’étais allongée nue, toujours nue, ils pouvaient venir une, deux, trois fois par jour. Dès que j’entendais le bruit de leurs bottes dans le couloir je me mettais à trembler. Ensuite le temps devenait interminable. Les minutes me paraissaient des heures, et les heures des jours. Le plus dur c’est de tenir les premiers jours, de s’habituer à la douleur. Après on se détache mentalement, un peu comme si le corps se mettait à flotter ». Lila avait 20 ans à Alger en 1957. Elle est restée marquée à vie, physiquement et psychologiquement. (*)
« Massu était brutal, infect. Bigeard n’était pas mieux, mais, le pire, c’était Graziani. Lui était innommable, c’était un pervers qui prenait plaisir à torturer. Ce n’étaient pas des êtres humains. J’ai souvent hurlé à Bigeard : » Vous n’êtes pas un homme si vous ne m’achevez pas ! « Et lui me répondait en ricanant : » Pas encore, pas encore ! « . Pendant ces trois mois, je n’ai eu qu’un but : me suicider, mais, la pire des souffrances, c’est de vouloir à tout prix se supprimer et de ne pas en trouver les moyens. »
Les supplices ont duré trois mois la jeune fille a eu la vie sauve grâce à un médecin militaire qui, un soir de la fin décembre 1957, s’est approché de son lit de camp, l’a examinée et s’est écrié d’une voix horrifiée : « Mais mon petit, on vous a torturée ! Qui a fait cela ? Qui ? »
Après l’avoir fait transporter et soigner dans un hôpital d’Alger, cet homme l’a transférée en prison, la soustrayant ainsi à ses tortionnaires. De son sauveur, Lila sait très peu de choses. Son nom : Richaud, - mais elle n’est même pas sûre de l’orthographe. Son grade : commandant. Et sa fonction probable : médecin militaire.
Ce récit a été publié par « Le Monde » le mardi 20 juin 2000. Il est, en lui-même, insoutenable, mais ce qui l’est davantage ce sont les propos du général Massu.
La torture n’était pas indispensable
Celui-ci déclare (le Monde du 22 juin) : « La torture faisait partie d’une certaine ambiance. On aurait pu faire les choses différemment »
Il reconnaît : « le capitaine Graziani, indirectement, il relevait de moi mais, directement, je ne sais plus. Peut-être de Bigeard, ou, ce qui est encore plus probable, d’un colonel, mort aujourd’hui. J’avais un service de renseignement à l’échelon de la division, chargé de collationner les informations recueillies lors des interrogatoires dans les différents régiments, certains avec tortures, d’autres non. Ce colonel était à la tête de ce service, et il est bien possible que Graziani ait été sous ses ordres directs. »
(...) Quant à savoir ce que Graziani lui a fait, il est mort, aussi il m’est difficile d’en parler. Mais cette femme n’a vraiment pas eu de chance. Dans son cas, les choses semblent être allées vraiment très loin. Peut-être que son récit est un peu excessif, mais il ne l’est pas nécessairement et, dans ce cas, je le regrette vraiment. Tout cela faisait partie d’une certaine ambiance, à cette époque, à Alger. " Ah l’ambiance !
Le général Bigeard, lui, se dit stupéfait par le témoignage de Lila. Il le dément en bloc, catégoriquement. Le général Massu commente : « Bigeard est un homme assez curieux, assez secret, qui a mené de brillantes opérations dans les djebels d’Algérie. Je sais, en tout cas, qu’il n’était pas content du tout que je reconnaisse qu’on pratiquait la torture en Algérie, mais je ne pouvais pas ne pas le reconnaître »
« La torture est-elle indispensable en temps de guerre, comme certains le soutiennent ? » interroge la journaliste Florence Beaugé
« Non, la torture n’est pas indispensable en temps de guerre, on pourrait très bien s’en passer. Quand je repense à l’Algérie, cela me désole, car cela faisait partie, je vous le répète, d’une certaine ambiance. On aurait pu faire les choses différemment. » répond le général Massu. Encore l’ambiance !
Le général Massu affirme qu’il n’a pas torturé personnellement mais qu’il se souvient d’avoir vu Bigeard pratiquer la torture : « Quand je suis arrivé en Algérie, en 1955, je me souviens de l’avoir vu en train d’interroger un malheureux, avec la gégène. Cela se passait dans l’Edough, un massif situé dans le nord du Constantinois. Je lui ai dit : » Mais qu’est-ce que vous faites là ? « » Il m’a répondu : « On faisait déjà cela en Indochine, on ne va pas s’arrêter ici ! »
Bonjour l’ambiance !
détruire
La torture est une pratique généralisée, dans tous les pays du monde, contre les opposants. Elle vise moins à « obtenir des renseignements » qu’Ã faire peur aux populations, et à détruire physiquement et moralement ceux qui défient le pouvoir en place .
L’utilisation de la torture, sous le commandement du général Jacques Massu, a été généralisée en Algérie pendant ce qu’on a appelé la « bataille d’Alger », puis « exportée » en métropole, dans des locaux de police, pour sévir contre des collecteurs de fonds du FLN. A Alger comme dans le bled, des « centres de tri » et des salles de torture étaient aménagés ; l’usage de l’électricité - la « gégène » - et du supplice de la baignoire était répandu ; et lorsque les suppliciés étaient sommairement exécutés, on parlait de « corvée de bois ». Aucun des responsables de ces atrocités, couvertes il est vrai par les plus hautes autorités de la République, n’a jamais été inquiété.
Systématiquement niée par le pouvoir, cette réalité a été largement connue de l’opinion française sans provoquer de révolte, au-delà des cercles d’intellectuels et de militants qui en avaient révélé l’existence. « Dès maintenant, disait pourtant Hubert Beuve-méry dans Le Monde du 13 mars 1957, les Français doivent savoir qu’ils n’ont plus tout à fait le droit de condamner dans les mêmes termes qu’il y a dix ans les destructions d’Oradour et les tortionnaires de la Gestapo. » Quelques semaines plus tôt, l’écrivain catholique Pierre-Henri Simon avait publié un livre intitulé Contre la torture. Jusqu’à la fin du conflit, en 1962, des journaux comme L’Humanité, L’Express, témoignage chrétien, France-Observateur, Le Canard enchaîné et Le Monde ont multiplié les révélations sur la torture en Algérie, au prix d’une répression judiciaire permanente.
Nous n’avons pas le droit de dire « nous ne savions pas ».
Epilogue
Le Monde a retrouvé le médecin-général « Richaud », qui a arraché « Lila » Ighillahriz à la torture. Considéré comme un « humaniste » il est mort à Pau en 1997, à l’âge de 84 ans, sans avoir rien révélé de cette affaire à sa famille.
Quant à Lila, militante du FLN, elle fut, par la suite incarcérée 4 ans à Alger puis en métropole. En 1961 c’est une femme française, Germaine Tillion, grande Résistante, rescapée de Ravensbrück, révoltée par la misère des Musulmans d’Algérie, qui réussit à lui faire goûter un semblant de liberté en obtenant son assignation à résidence à Corte, en Corse. Les enseignants de cette ville se souviennent d’elle, « elle nous a montré les traces de tortures sur son corps. Elle était raide, dure, farouche, on essayait que cette gamine, aussi forte qu’elle était, puisse survivre. Le calvaire qu’elle avait subi était assez exceptionnel, emblématique. Nous connaissions l’existence de la torture mais nous en avions un terrible exemple vivant parmi nous ».
Un jour, Lila disparut de Corte : elle en avait assez de pointer matin et soir au commissariat. Elle a réussi à regagner son Algérie via l’Ile d’Elbe. 40 ans ont passé
(lire à ce sujet Le Monde du 20 au 23 juin 2000. Afin que nul n’oublie que les Français aussi ....)
La torture pourquoi pas ?
Amnesty international vient de lancer une campagne mondiale contre la torture, la première depuis 14 ans, à l’occasion de laquelle elle rendra public un rapport portant sur 195 pays et organisera une série d’actions sur les cinq continents.
Entre 1997 et 2000, « des cas de torture imputés à des agents des pouvoirs publics ont été signalés dans plus de 150 pays. Dans plus de 70 d’entre eux les violences étaient généralisées. Dans plus de 80, des personnes sont mortes des suites des actes de torture ou de mauvais traitements », a constaté l’organisation au cours d’une enquête menée depuis 1997. Les auteurs des exactions sont le plus souvent des policiers « plus que tout autre facteur, l’impunité contribue à la persistance de ces actes criminels »
Parallèlement, Amnesty mènera des actions symboliques un peu dans tous les pays où ses militants vont entourer des « lieux de torture » à l’aide de rubans jaunes et noirs - aux couleurs du danger - ou créer des « zones de non torture » sur des places publiques.
Au long des 14 mois que doit durer cette campagne, Amnesty publiera une série d’autres rapports thématiques.
Cette campagne d’Amnesty est loin d’être inutile quand on découvre, dans un sondage récent réalisé par CSA : 25 % des Français admettent le recours à des actes de torture « dans des cas exceptionnels ». Une personne sur quatre ne considère pas la torture comme condamnable par principe. 26 % acceptent que « des fonctionnaires bâillonnent et menottent un immigré clandestin lors de son expulsion ». 25 % admettent qu’un gardien de prison isole longuement un détenu dans une cellule sans lumière et sans bruit, pour le punir.
70 % des Français excluent de militer contre la torture dans un groupe local : prendre part à une manifestation est, pour beaucoup, le maximum.
Les Français sont-ils bien informés de ce qu’est la torture : amputation, marquage au fer rouge, flagellation, fustigation, viol systématique des femmes se pratiquent couramment dans 31 pays. Mais Amnesty pointe le doigt sur la persistance de ces pratiques dans les pays démocratiques. Elle fait le lien entre discrimination et torture. « Tout acte de torture implique la déshumanisation de la victime et c’est d’autant plus facile quand la victime provient d’un groupe méprisé pour des raisons sociales, politiques ou ethniques ».
Selon Amnesty, la majorité des victimes de brutalité policières en Europe et aux Etats-Unis sont des Noirs ou des membres de minorités ethniques, ou des immigrants et demandeurs d’asile.
Amnesty dénonce aussi la fabrication et l’exportation d’instruments de torture comme des appareils à décharge électriques par 78 entreprises américaines.
Sur internet : http://www.stoptorture.org
Ecrit en novembre 2000 :
Ceux qui ont dit non :
Guerre d’Algérie. Les généraux Massu et Aussaresses reconnaissent enfin ce que les historiens ont toujours dit : la torture fut pratiquée de façon systématique en Algérie. Parce que le premier officier supérieur à en dénoncer l’usage fut le général Jacques Pâris de Bollardière, un castelbriantais né aux Fougerays le 16 décembre 1907, nous faisons ci-après de larges emprunts à une interview de sa femme parue dans le journal L’HUMANITE du 14 novembre 2000.
Le général Pâris de Bollardière
En mars 1957, le général de parachutistes Jacques Pâris de Bollardière - quarante-neuf ans, résistant de la première heure, soldat le plus décoré de la France libre - demande à être relevé de son commandement en Algérie. Il refuse la torture, au nom de « l’effroyable danger qu’il y aurait à perdre de vue [...] les valeurs morales qui, seules, ont fait jusqu’Ã présent la grandeur de notre civilisation et de notre armée ».Publiée dans l’Express de Jean-Jacques Servan-Schreiber, sa lettre fait grand bruit et lui vaut soixante jours de forteresse.
Sa femme Simone de Bollardière, est l’une des douze premiers signataires de l’appel « à condamner la torture durant la guerre d’Algérie » lancé par le journal L’Humanité. Voici de larges extraits de son interview :
Simone de Bollardière. « La France, dans le plus grand secret, et sans jamais parler de » guerre ", a envoyé en Algérie, pendant deux ans et demi, des jeunes de vingt ou vingt-deux ans, qui ont participé à des abominations. Certains ont vu leurs camarades morts, éventrés, et autres choses atroces, mais, eux aussi, ont commis des actes abominables, avec l’autorisation - non dite et non écrite - des autorités, et l’obligation, pour certains, de le faire, sous peine d’être méprisés par des officiers qui sortaient à peine de la guerre d’Indochine. Toute une génération a été sabordée par la guerre d’Algérie : la plupart se sont réfugiés ensuite dans le silence, beaucoup se sont suicidés ou sont devenus alcooliques...
Dans quelles conditions votre mari a-t-il décidé de refuser la torture ?.
Simone de Bollardière : dès que les ordres ont commencé à arriver dans son secteur. Mon mari était le soldat le plus décoré de la France libre. Il a alors écrit - sans permission, mais on n’était pas à l’école maternelle - que la torture était une pratique inadmissible, qui plus est, inefficace. Cela lui a valu deux mois de forteresse, et le reste de l’armée lui a tourné le dos. Ce qui m’a toujours étonnée, c’est que des généraux, des officiers supérieurs, qui se disaient « bons pères de famille » et qui, paraît-il, n’auraient pas fait de mal à une mouche, n’aient pas eu alors l’idée que si ce général-là , avec le passé qu’il avait (compagnon de la Libération, deux fois titulaire de la plus haute distinction britannique, etc.) posait une question de cette importance, c’est qu’il y avait un problème que, eux, systématiquement, refusaient de voir en disant : « Dans mon secteur, il n’y a pas de torture ».
Comment expliquez-vous alors l’attitude singulière du général de Bollardière
Simone de Bollardière : je crois que l’expérience de mon mari dans les maquis de la Résistance a beaucoup compté, tout comme sa formation et ses convictions de jeunesse. Pour lui, un homme était toujours un homme ; on n’avait pas le droit de faire n’importe quoi à un autre homme, quelles que soient les circonstances. Il m’a raconté que, blessé dans les Ardennes, il avait mis toute son énergie à éviter que deux prisonniers allemands ne soient sommairement exécutés. Ils n’ont finalement été ni fusillés ni martyrisés, et ce sont eux qui l’ont porté sur un brancard pendant plusieurs jours... Il s’est toujours référé à des valeurs morales, au respect de l’autre, à l’éthique chrétienne : « Tu ne feras pas aux autres », etc.
Vous savez que, de manière récurrente, se pose la question des responsabilités respectives de l’armée et du pouvoir politique.
Simone de Bollardière : Le pouvoir civil a été nul. Il n’y a eu personne de courageux, pas plus Guy Mollet qu’un autre, personne qui ose dire autre chose que : « Ce sont les événements d’Algérie », etc. Quant aux officiers, ils n’avaient en tête que de prendre une « revanche » sur l’Indochine. Tout à leur mépris pour les « Viets » - comme ils disaient - ils n’avaient rien compris à ce qui s’était passé à Dien Bien Phu. Ils sortaient des « écoles de guerre », ils ne pensaient jamais pouvoir être défaits par des gens qui n’avaient que des bicyclettes. La vraie question est : que faisait la France en Indochine, que faisait la France en Algérie ?.
Quels souvenirs gardez-vous de la mise en détention de votre mari ?.
Simone de Bollardière : lui avait sa conscience pour lui ; il était bien dans sa peau, il avait le temps de lire, surtout les philosophes, et en particulier Alain, dont il avait été l’élève. Moi, j’ai vécu cela comme une immense injustice, qui m’a, je crois, rendue pour toujours hypersensible à toute injustice, et par exemple, aujourd’hui, au sort des sans-papiers... Je ne supportais pas d’entendre mon mari être traité de « salaud », d’homme qui avait « sali l’honneur de l’armée », etc. En fait, c’est lui, seul, qui a sauvé alors « l’honneur de l’armée ».
Permettez-moi d’ajouter deux choses, encore plus personnelles : j’ai été très émue à la lecture du témoignage de cette jeune Algérienne qui expliquait que, quelque temps avant d’être torturée, elle avait écouté avec son père une émission, dans laquelle on parlait d’un général qui s’était opposé à la torture, et qu’ils avaient pleuré. Par ailleurs, j’ai toujours été sensible au fait que les Algériens ont toujours su dire, sans l’écorcher, le nom de mon mari ; en France, ce n’est pas le cas, on dit couramment « La Bollardière », ou je ne sais quoi... Au fond, j’en suis fière. Il n’y a rien de plus important que d’avoir sa conscience pour soi, de pouvoir se regarder dans la glace chaque matin...
J’imagine que vous avez beaucoup discuté ensemble de la guerre elle-même, du fait de savoir s’il fallait la faire ou non...
Simone de Bollardière. Il ne fallait pas la faire. L’Algérie, c’était le non-droit absolu pour les Algériens, et, dès qu’il y avait ne serait-ce qu’une petite « réforme » d’envisagée, les pieds-noirs riches s’y opposaient. Il y avait un mépris total pour l’existence de plus de 80 % de la population... Après l’Indochine, ne croyez-vous pas que des leçons auraient pu être tirées ? Quand nous étions en Indochine avec mon mari, j’allais dans les hôpitaux : il y avait des Algériens, des Marocains, des Africains, que l’on envoyait se battre « pour la France » en Indochine, quand eux-mêmes étaient venus nous aider à nous libérer de l’occupant nazi. Il ne faut pas mépriser les gens à ce point : les Algériens, par exemple, ont bien vu le rôle qu’on leur faisait jouer en Indochine, la « sale guerre » à laquelle ils étaient contraints. Quand ils sont revenus en Algérie, ils se sont dits : « Pourquoi, nous aussi, n’aurions-nous pas notre indépendance ? Nous avons aidé les Français à reconquérir leur indépendance contre Hitler, pourquoi n’obtiendrions-nous pas la même chose ? ». C’est un raisonnement logique.
La torture était partout présente ?.
Simone de Bollardière : partout. C’était systématique. Et - je le répète - cela a détruit toute une génération.
La torture a été pratiquée aussi du côté algérien.
Simone de Bollardière : un pays qui obtient sa liberté et son indépendance dans une violence pareille - avec l’OAS, les barbouzes, les anti-barbouzes, les hommes, les femmes, les enfants tués, massacrés, n’importe où, n’importe quand, n’importe comment - c’est un peuple qui se constitue dans la violence et qui se continue dans la violence. La violence en Algérie, c’est la suite de la guerre d’Algérie - c’est le dominant qui contamine le dominé.
La France, vous savez, ce n’est pas très joli... Regardez encore aujourd’hui comment on traite les sans-papiers, comment
des formes de torture peuvent encore être pratiquées dans les commissariats. La guerre d’Algérie a généré beaucoup de gangrène : du fait qu’il n’y a pas eu de sanctions, que tout a été toujours caché, qu’il y a eu l’amnistie, que l’on ne peut même pas en parler... Si je dis que Le Pen est un tortionnaire, je n’en ai pas le droit !.
Votre mari a eu un parcours tout-Ã -fait original
Simone de Bollardière : Mon mari a pris sa retraite après le putsch de 1961, et il s’est occupé, ici en Bretagne, de formation pour les personnes en grande difficulté. Pour remettre le monde un petit peu plus à l’endroit. Il a écrit : « J’ai cru que, pour la libération de l’homme, il fallait faire la guerre. Donc, je l’ai faite. Maintenant, je continue pour la libération de l’homme avec d’autres moyens : c’est-Ã -dire l’éducation et la formation à la non-violence ».
Comment avez-vous apprécié la déclaration de Lionel Jospin s’engageant à poursuivre le « travail de vérité » sur la guerre d’Algérie ?.
Simone de Bollardière : J’ai signé ce texte - je crois l’avoir déjà dit - à la fois par amitié pour l’Humanité - et lorsque j’ai su qui étaient les autres signataires qui, tous, sont des personnes d’une très haute valeur morale. Dès lors, je me suis sentie moralement obligée à cause de mon mari. Mais, pour dire la vérité, je n’attendais rien de cet appel. Depuis tout ce temps... Tout paraissait tellement bloqué...
Aussi, ma stupéfaction a été totale lorsque j’ai pris connaissance de la déclaration de Lionel Jospin. Je me suis dit : « C’est incroyable. Je ne pensais pas voir cela de mon vivant ». J’ai eu un bon coup au cœur. Le tout est de savoir maintenant ce qui va suivre. J’aimerais que l’on fasse quelque chose pour tous ceux qui étaient jeunes alors et qui ont été massacrés dans leur être vivant. Et puis que l’on parle de toutes les horreurs. Je n’aime pas beaucoup les Etats-Unis : mais eux, au moins, ont su parler de la guerre du Vietnam ; McNamara (1) dit aujourd’hui que c’était « une bêtise ». Puisque nous sommes, semble-t-il, dans l’année de la repentance, que l’Etat français fasse sa repentance vis-Ã -vis de l’Algérie ! Et l’Algérie vis-Ã -vis de la France, car il y a eu, en effet, des horreurs des deux côtés. (...)
Entretien réalisé par Jean-Paul Monferran,paru dans L’Humanité du 14 novembre 2000
(1) secrétaire à la défense dans le gouvernement de John Kennedy.
(*) L’Algérienne, par L.Ighilahriz (Fayard)
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Ecrit le 29 septembre 2004
A propos du Général de Bollardière
Le vieux Donjon, il connaît son Châteaubriant par cœur. Depuis près de 10 siècles. Il le raconte jusque sur le Web (Moteur de recherche Google : Le vieux Donjon)
Le vieux Donjon se souvient de l’enfant qui jouait dans la cour du château vers 1910 « avant de devenir un grand soldat, Compagnon de la Libération et le général le plus décoré de l’Armée Française, avant d’abandonner étoiles, titres, médailles, volontairement, pour crier »Non à la torture en Algérie« ».
Et voilà que le Général de Bollardière, le plus jeune général de sa promo de Saint Cyr, est « dé-gradé » dans le livre de l’Amiral Philippe de Gaulle : « De Gaulle, mon père ».
A la question du journaliste-écrivain Tauriac : « Quelle était son opinion sur la torture ? » on lit une réponse stupéfiante : « Il [le général de Gaulle] la condamnait formellement. N’oublions pas l’attitude favorable qu’il a réservée au Colonel »para« Jacques Pâris de Bollardière et au Colonel Barberot qui condamnèrent, chacun dans un ouvrage, la torture en Algérie, en provoquant une crise morale dans l’armée ». En fait Bollardière, lui, raconte autrement son entrevue avec de Gaulle . « Reçu, écrit-il, avec courtoisie. Mais il ne m’a pas laissé deviner comment il se situait, sur le plan personnel, face à l’acceptation inavouée, par l’armée, de la torture » (livre Combattants de la non-violence, par J.Toulat, 1983, Ed. Cerf, p.293)
Voilà donc, dans le livre de l’Amiral, le Général redevenu Colonel (ce qui est faux évidemment). Et voici les paras (de Bollardière ne l’était pas en Algérie), habillés de guillemets ironiques. Le vieux Donjon est médusé : le général le plus décoré de l’armée, celui qui renvoie sa plaque de Grand Officier de la légion d’Honneur, et démissionne de l’armée pour protester contre la torture, et qui écope de 60 jours de forteresse, est « dé-gradé » d’un trait de plume par l’Amiral de Gaulle. Et la torture est expédiée en à peine deux pages sur les 500 du livre.
D’ailleurs, Charles de Gaulle l’affirmait : nous étions « beaucoup plus modérés que les fells (...) des cas très rares ... ponctuels ... ». « Les gars de Châteaubriant, anciens d’Algérie, doivent trépigner », se dit le vieux Donjon.
Le vieux Donjon sait ce qu’il doit à l’Homme du 18 juin. Mais il sait aussi qu’on peut être un des plus grands hommes de l’Histoire et passer à côté de réalités épouvantables : le système de la torture par exemple. Un système doctement enseigné dans une Ecole spéciale d’Officiers français, du côté de Philippeville, vers 1958. La colère, quand on a vu ses camarades torturés par l’ennemi, on l’explique. Mais le « système » promu au rang de tactique ?.
Le vieux Donjon se sent meurtri. Comme le furent les dizaines de résistants castelbriantais torturés par les nazis dans les prisons de Rennes, Nantes ou Angers. Il en a pourtant vu de toutes les couleurs, le Donjon. Mais il a peur : peur que notre civilisation soit contaminée elle aussi, prête à dégrader l’Homme de la pire façon qui soit. Peur qu’elle ne devienne aveugle, quand les pires cancers la rongent déjà . Insidieusement. Mais irrémédiablement. Comme il en fut outre-Rhin.
Le vieux Donjon, celui de l’histoire, est inquiet : ne va-t-on pas, à Châteaubriant, corriger la plaque de la « Rue du Général de Bollardière » ? A l’initiative de l’Amiral .
Note du 14 janvier 2009
Dans la tête d’un tortionnaire
Lire ici : http://www.telquel-online.com/230/couverture_230_1.shtml
L’honneur des Résistants : voir aussi page 413