Ecrit le 03 juin 2015
Le Pays de Châteaubriant a la chance d’avoir de nombreux écrivains. La Mée a rencontré Marie-Thérèse Humbert, habitante de St-Julien de Vouvantes, dont le neuvième roman vient d’être publié chez Gallimard. Elle l’a présenté mardi dernier aux lecteurs de la communauté de communes à la bibliothèque d’Erbray.
L’histoire commence en Louisiane, au début du 20e siècle, et se poursuit dans l’île de vésania. Le livre donne une carte de cette île qui n’existe pas ! l’auteur l’a appelée ainsi en référence à la vésanie, mot ancien qui désignait la maladie mentale ; de nos jours on parlerait plutôt de psychose.
L’île de la folie
La folie d’un des personnages centraux, elle, est bien réelle. En effet, après avoir été abandonnée par son mari, Jane Harcourt lance à sa poursuite une série de détectives privés et fait de cette traque le seul but de son existence. Elle va quitter la Louisiane pour l’île de vésania où un détective lui a signalé avoir rencontré le fugitif, et, une fois sur l’île, déménagera chaque fois qu’elle pense pouvoir retrouver son mari quelque part, entraînant avec elle son fils Vincent, son amie noire Abigail, le compagnon de celle-ci, et le jeune Jeff, petit-fils d’Abigail. Les personnages tournent en rond dans l’île, en quête de ce mari insaisissable, qui disparaît chaque fois que Jane pense le tenir. Mais est-ce bien un homme réel que cherche Jane ? On comprend en cours de lecture que Jane est en réalité à la poursuite de son rêve. Ce qu’elle cherche à atteindre, c’est l’inaccessible. Abigail lui dit même à un moment : « Guillaume, c’est la fuite, Jane, tu cours après la fuite ».
« Le déséquilibre de Jane s’accentue et devient une forme de folie au point que, dans la dernière des maisons qu’occupe » le clan « , elle ira jusqu’Ã faire installer des miroirs face à chacune des ouvertures sur le dehors et ne regardera plus le monde extérieur qu’ainsi : par le truchement de miroirs », explique l’auteur.
Le roman est, entre autres entrées possibles, un roman de l’éducation. Il retrace la difficile accession à l’âge adulte du jeune Vincent, sa découverte du désir et du sentiment amoureux. « c’est d’ailleurs le récit de la quête de sens et de la quête de soi de plusieurs personnages. Les deux jeunes, notamment, ont un mal fou à se trouver parmi ces adultes emprisonnés dans leurs mensonges et leurs obsessions, victimes d’une société dont les préjugés les ont gauchis au point qu’ils sont pour toujours prisonniers des cocons défensifs qu’ils ont tissés autour d’eux ».
Solitude et mal-être.
l’auteur est née à l’île Maurice, d’un père d’origine française et d’une mère anglaise. d’où une imprégnation de ces deux cultures. aînée de six enfants, elle s’est très vite trouvée mal à l’aise dans cette île où sévissait le racisme et où chacun était enfermé dans sa petite communauté ethnique. L’île, alors colonie britannique, était, et reste toujours, peuplée aux deux tiers d’habitants d’origine indienne, que sa famille ne lui permettait pas de fréquenter.
" Je me suis vite sentie enfermée et j’ai eu le sentiment d’une grande solitude. Je ressentais vivement les inégalités sociales, ce que les autres personnes de mon milieu ne semblaient même pas voir. A l’île Maurice le climat était vraiment très raciste et inégalitaire. Dans mon école, il y avait des enfants de toutes origines, indienne surtout, mais aussi africaine, chinoise, des Blancs, des métis. Je m’entendais bien avec tous, mais je savais que je n’aurais pas la permission d’inviter chez moi une petite amie d’une autre communauté. On se mélangeait dans les lieux publics, mais on ne se fréquentait pas. Mon père, que j’adorais et qui avait l’esprit ouvert, était le seul, chez moi, avec qui je pouvais parler, mais je le voyais peu parce qu’il travaillait beaucoup (il était avocat) et qu’il était très gravement malade du cœur. Cette maladie de mon père mettait la famille en péril car il faisait des infarctus et des thromboses coronaires à répétition, s’en sortait chaque fois de justesse et devait souvent garder le lit. Il n’y avait pas de sécurité sociale à Maurice et nous n’avions pas de fortune personnelle, donc quand mon père était malade il n’y avait pas d’argent. Bien que menant une vie coloniale, nous n’étions donc pas riches. Ce qui m’a constamment suivie dans mon enfance, c’est la peur de perdre mon père.
La pensée de la mort m’a toujours accompagnée. Mon père est mort à 56 ans, mais moi, qui avais eu le bac à 16 ans et avais alors quitté l’île pour faire mes études universitaires grâce à une bourse, d’abord en Angleterre, à Cambridge, puis en Sorbonne, j’étais alors déjà loin du pays depuis des années, mariée à un Français et mère de famille. Le mal-être et le sentiment d’isolement que j’ai ressentis dans mon enfance m’habitent toujours : ce qui doit forcément se traduire dans ce que j’écris. "
Marie Thérèse Humbert devant son jardin
Marie-Thérèse n’écrit pourtant pas de romans autobiographiques, ce n’est pas sa vie personnelle qui l’intéresse, mais le lot commun de l’humanité. Son premier roman, « A l’autre bout de moi », a raté le prix fémina d’une voix, a été Grand Prix Littéraire des Lectrices de Elle et a été traduit en une dizaine de langues, dont le russe. Son deuxième roman, Le Volkameria, qui a eu une voix au dernier tour du Goncourt, se déroule dans un univers clos hanté de secrets que le jeune Christophe tente de percer, et, déjà , dans une île fictive dont l’auteur a dessiné la carte. « Il faut souligner l’extraordinaire puissance d’une écriture qui sait restituer toute la gamme des émotions, la complexité des sentiments, la beauté, calme ou inquiétante, des lieux, des paysages, la cocasserie de certains dialogues, en se coulant au plus intime des êtres et des choses. Ici, la littérature recrée tout un monde, elle se fait magie. » source
Le roman Le Chant du Seringat la Nuit a été nominé au Renaudot, Un Fils d’Orage a obtenu le prix Terre de France-La Vie (l’action se passe en Camargue). Avant Les désancrés, tous les romans de Marie-Thérèse ont paru aux éditions Stock et ils ont tous été également édités en Livre de Poche.
L’irruption
Comment naît un roman ? « Je ne sais pas trop. Une phrase me vient, une image commence à me hanter (pour Les désancrés, cela est parti de la vue d’un oiseau tournant dans le ciel), je vois un personnage et je commence à écrire. Ce n’est qu’au bout d’une soixantaine de pages, nées des premières phrases et d’une sorte de chant intérieur, que je trace un plan approximatif et que je pressens une fin possible. Peu à peu les mots engendrent les lieux et les personnages, tout cela prend forme, s’impose à moi. Les personnages vivent leur vie, je les guide parfois pour tenter de les ramener au plan que j’ai tracé, mais certains s’y refusent et m’échappent. Tel personnage que j’imaginais secondaire prend tout à coup un rôle principal. En écrivant j’ignore moi-même comment mes personnages se sortiront d’affaire, ou même s’ils s’en sortiront. Mes personnages tragiques me mettent les larmes aux yeux, et mes personnages drôles m’amusent tellement que je me mets parfois carrément à rire ».
Ma patrie, c’est la langue française
« J’écris tous les jours, plutôt le matin mais, parfois aussi, tard dans la nuit. Au moins trois heures par jour. J’adore jardiner, pendant que je jardine mes personnages restent avec moi, je les entends, je les vois. Un rêve, la nuit, peut m’apporter une scène, un personnage. Je pense que tous ces personnages surgis de moi sont, en quelque sorte, des facettes de moi-même, nous portons tous en nous l’humanité entière. » J’écris au stylo et je ne tape le roman à la machine que lorsqu’il est terminé, pour l’envoi à l’éditeur. Je rature, je jette beaucoup, je n’écris pas toujours le livre dans l’ordre où le lecteur le découvrira, je réordonne souvent les scènes et les chapitres après coup. « Bien qu’ayant la double nationalité, française et britannique et ayant fait ses études primaires et secondaires ainsi qu’une partie de son cursus universitaire dans le système d’enseignement anglais, Marie-Thérèse est de langue française. » On parlait français à la maison et j’ai toujours considéré que ma patrie profonde était la langue française. Je suis prête à prendre les armes quand je la sens attaquée, méconnue. Je tiens beaucoup à sa pureté, au maintien de toutes ses potentialités, sémantiques et grammaticales, c’est mon matériau, mon âme ".
Les désancrés
Un texte dense, empli de passions d’autant plus fortes qu’elles sont re-foulées : amour, désir de vengeance ou de domination, volonté de puissance, jalousie, sentiment de culpabilité. Certains personnages sont douloureux et tourmentés, d’autres sont drôles, apportant l’humour et la comédie au cœur du drame. Comme dans la vie.
« Je ne me retrouve vraiment que dans l’écriture, surtout la fiction, où je me sens libre de m’exprimer totalement, d’évoluer à ma guise », dit encore Marie-Thérèse, qui, pour autant, n’est pas coupée de la vie concrète. Sa première motivation : la justice sociale. « La misère est la plus grande des tragédies », explique-t-elle dans le journal Le Mauricien.
Dès l’adolescence elle s’est rebellée : « je trouvais anormal qu’il y ait des gens privilégiés dès leur naissance et que d’autres soient privés de droits, humiliés, maltraités, condamnés à la pauvreté. Je suis chrétienne, ma conscience sociale s’est forgée par le christianisme. Or, le Christ appelle à l’amour et au respect des autres, mais je ne voyais pas pratiquer ce précepte chrétien autour de moi, même chez des gens qui se réclamaient du christianisme. c’est ainsi que je me suis très vite déterminée à gauche politiquement. A l’époque où je n’étais que britannique, avant mon mariage avec un Français, j’ai adhéré au Parti Travailliste. »
Toujours profondément de gauche, Marie-Thérèse, qui est socialiste depuis de longues années, s’est ralliée à la section socialiste de Châteaubriant peu après son installation à St-Julien de Vouvantes il y a un peu plus de deux ans.
Marie-Thérèse Humbert
Elements biographiques :
Marie-Thérèse Humbert.
19, rue Au-Delà l’Eau
44 670 St-Julien de Vouvantes
tél. 06 86 84 49 20
E-mail : marie-therese-humbert@orange.fr
née à l’île Maurice, alors colonie britannique, d’un père de culture française et d’une mère née à Maurice de parents anglais. Etudes primaires et secondaires dans le système britannique à l’île Maurice, île quittée à l’âge de 16 ans après l’obtention sur concours d’une bourse pour des études universitaires en Europe - à Cambridge, puis en Sorbonne. A aussi vécu brièvement en Afrique du Sud, au sénégal, à La Réunion. séjour marquant en Louisiane. A enseigné à l’étranger et aussi dans l’Education Nationale en France (professeur de lettres) jusqu’en 1989 (retraite anticipée pour raisons de santé). Mère de cinq filles. Vit en France depuis 1969. Officier des Arts et des Lettres (arrêté du 12 juin 1989).
Ouvrages déjà publiés :
- A l’autre bout de moi (roman, édits. Stock, 1979, Livre de Poche n°5545)
Grand Prix Littéraire des Lectrices de Elle. Prix Hermès. Finaliste aux Prix fémina et Goncourt. - Le Volkameria (roman, édits. Stock, 1984, Livre de Poche n° 9638)
Une voix au dernier tour du Prix Goncourt. - Une Robe d’Ecume et de Vent (roman, édits. Stock, 1989, Livre de Poche n°6955)
- Un Fils d’Orage (roman, édits. Stock, 1992, Livre de Poche n° 13528)
Prix Terre de France. - La Montagne des Signaux (roman, édits. Stock, 1994, Livre de Poche n°13902)
- Le Chant du Seringat la Nuit (roman, édits. Stock, Livre de Poche n°14740)
Nominé au Prix Renaudot, 2e sélection. - Amy (roman, édits. Stock, Livre de Poche n° 14875)
Prix du Conseil Général du Var. - Comme un Vol d’Ombres (roman, édits. Stock, 2000 ; Livre de Poche n°30231)
- Balzac, Saché ou le Nid du Coucou, (essai-roman, édits. Christian Pirot, Collection Maison d’Ecrivain).
- Les désancrés (roman, édits. Gallimard NRF, 2015)
Diverses nouvelles, préfaces de livres, poèmes parus ici et là , dont :
-* une nouvelle parue dans un livre édité au Seuil : Une enfance outremer (collection Points Virgules) ;
-* une nouvelle publiée dans Histoires de Femmes (édits. Filipacchi, Paris, à l’occasion du 30e anniversaire de la revue Elle) ;
Participation à plusieurs ouvrages publiés à l’île Maurice, dont :
-* une longue préface pour Maurice, le tour de l’île en quatre-vingts lieux (édits. Immedia),
-* une nouvelle dans Que la musique soit (édits.Immedia,2014)
-* une contribution intitulée « Parole de Femme » au livre Au tour des Femmes (édits. Immedia).
-* préface d’un livre de photos prises par Yves Pitchen, Mauriciens, éditions Husson, Bruxelles, Belgique.
-* contribution à plusieurs colloques, dont celui tenu à Strasbourg en 2000 (contribution publiée dans l’ouvrage L’Europe et les Francophonies, P.I.E. Peter Lang, Archives et Musée Littérature.)