Ecrit le 15 juillet 2015
Emile Letertre
Emile Letertre nous a quittés, à la veille de ses 91 ans. Fils et frère de Résistants du réseau Buckmaster Oscar, ayant participé lui-même à des actions de Résistance, il était prêtre, toujours soucieux de la défense des Droits de l’Homme, en commençant par les plus méprisés. C’est ainsi qu’il participa à la fondation, en 1972, d’un mouvement chrétien nommé David et Jonathan, en référence au récit biblique présentant deux jeunes hommes qui s’aimaient et partageaient une cause commune. Il n’eut de cesse par la suite, de rappeler que les homosexuels furent particuièrement victimes de persécutions nazies.
A partir de 2004, il participa à l’association 4ACG (Anciens appelés en Algérie et leurs amis contre la guerre) et au livre « Guerre d’Algérie, Guerre d’Indépendance » qui rassemble des récits de combattants algériens et français, harkis, pieds-noirs, réfractaires, médecins, infir-mières, membres de leur famille, tous mêlés d’une façon ou d’une autre à la guerre. Il était très sensible à tous « les mondes du silence », à tous ceux que la guerre a détruits parce qu’ils ont vécu l’indicible, la torture, la déportation.
« La torture dont ils ont été les témoins, peut-être les acteurs, vibrionne dans leur mémoire tel un cancer ramené de l’Aurès ou de la Kabylie » a-t-il dit.
« La Déportation : Trois des miens dans les camps de la mort (Réseau Buckmaster). Et moi-même, résistant aussi, harcelé par la Gestapo qui m’avait laissé dans la nature en espérant que j’ajouterais, imprudemment, à leurs dossiers déjà copieux. Les couloirs de la mort, dit-on aux USA. Savoir, chaque matin, que c’était peut-être pour le soir ».
Prêtre non conformiste, il était passionné d’histoire, on lui doit un « Piriac sous l’Occupation » mais aussi une participation régulière au journal La Mée aussi bien pour le livre ’’Telles furent nos jeunes années’’ que pour rappeler des pans d’histoire, par exemple sur le général de Bollardière (apôtre de la non-violence) ou sur le Docteur Bernou, ou sur Georges Laurent En 2003, il organisa le Congrès des Tatoués à Châteaubriant : 14 Résistants de la Région castelbriantaise furent ainsi tatoués en arrivant à Auschwitz en avril 1944. En 2005 il participa à la parution du livre « Notes de Déportation » réalisé par Patrick Simon à partir des écrits de Marcel Letertre (père d’Emile). Un autre livre, et peut-être un film, devraient sortir sur « Les recettes de cuisine du Déporté ».
Dans sa maison de retraite, il s’engagea au Conseil de la Vie Sociale, demandant que ’’les vieux’’ même en fin de vie, soient toujours considérés comme des humains. A part ça, il était poète aussi, on lui doit par exemple un très beau texte sur Le Grand Donjon du Château de Châteaubriant. Emile Letertre a été inhumé dans cette ville de Châteaubriant qu’il aimait tant.
Ecrit le 26 octobre 2016
Marcel Letertre
- Marcel Letertre
Que faisait donc ce jeune homme d’une vingtaine d’années, à traîner dans les rues de Châteaubriant. Allait-il courir les filles ? Pourquoi le voyait-on nuitamment se rendre
en campagne alors que tout le monde dormait, pour quel rendez-vous inavouable ? Marcel Letertre, qui vient de nous quitter, était ce jeune homme. Avec son père, son frère, son cousin et ses amis, il repérait les mouvement de l’ennemi à Châteaubriant, marquant furtivement un camion, un pan de mur, d’une croix de Lorraine ou se rendant sur un terrain de parachutage au sein du réseau Buckmaster Oscar qui dirigeait son père.
Mais la Gestapo le 30 novembre 1943 … mais la prison de Rennes … mais la torture. Marcel n’a pas parlé, n’a pas dit qui était ce « Bernard » si recherché. Puis ce fut la déportation : Neuengamme, Misburg, Meppen, Sachsenhausen, Mauthausen, Amstetten. Le long parcours des déportés. Une jeunesse dans les camps. La déshumanisation. Et le retour difficile : « Très vite, les miens comprennent qu’il leur faudra de la patience pour que je me réhabitue à vivre comme tout le monde, sans chercher à me protéger des coups, sans guetter autour de moi ceux qui voudraient prendre ma nourriture ». Le temps passe, le souvenir des humiliations ne disparaît pas. Mais Marcel Letertre se tait : comment dire l’inimaginable ? Comment raconter les épreuves.
Et puis un jour, Marcel Letertre a accepté de parler. Après Paul Huard racontant la vie à Châteaubriant sous l’occupation, il a parlé de la Résistance à Châteaubriant, ouvrant ainsi la voie à d’autres témoignages et débouchant sur le livre « Telles furent nos jeunes années ». Il avait le souci des grandes lignes de l’Histoire, mais tenait aussi à la précision des détails. C’est par la suite qu’il a accepté de témoigner dans les écoles, pas pour entretenir la haine, mais pour faire comprendre aux jeunes où peut conduire le rejet de l’autre. Sans jamais se mettre en avant, sans cacher ses faiblesses, il savait transmettre l’émotion, faire toucher du doigt la grande détresse des déportés. Il est resté très marqué dans son corps et dans son cœur, « survivant de ces usines à désarticuler les corps, à déshumaniser les esprits ». Et en même temps il se déclarait partisan de la construction européenne, des échanges de jeunes avec l’Allemagne. Jusqu’à la fin de sa vie il fut un Résistant.
Un professeur qui l’a bien connu disait : « sa venue chaque année dans mes classes reste un moment très fort. Les anciens déportés et résistants se font de moins en moins nombreux et c’est nous maintenant qui devons faire vivre leur combat et leurs valeurs auprès des jeunes générations ».