Ecrit le 16 décembre 2015
Elections, réflexions
Au moment où nous écrivons ces lignes,les résultats du deuxième tour ne sont pas encore connus. Voici quelques éléments à connaître sur le premier tour :
Violence et FN
- une élection marquée par la violence des attentats du 13 novembre 2015. Ceux-ci, en mettant en cause des fanatiques musulmans, ont créé la peur et, en certains endroits, la tentation d’un repli sur soi, d’élimination, de rejet des autres. Il est symptomatique d’ailleurs de voir que les attentats ont ’’effacé’’ les migrants : la presse et les étranges lucarnes ne s’intéressent plus à ces malheureux qui ne sont plus assez ’’vendeurs’’.
- une élection marquée par la nette montée du Front National, non pas sous forme d’un rejet des partis traditionnels, mais sous forme d’une adhésion à ses thèses les plus racistes, les plus haineuses. Là encore, ce n’est pas particulier à la France. Et c’est une victoire de Daesh : il se développe dans le monde un discours anti-musulman d’une violence inédite et largement décomplexée, de l’Américain Donald Trump qui veut interdire l’entrée des musulmans aux Etats-Unis, de la Hongrie s’entourant de barbelés, à l’Australien Tony Abott qui parle de « supériorité » de la culture occidentale.
Mises en garde et haine
- cette montée de l’extrême-droite, qui n’est pas propre à la France, a provoqué des mises en garde inhabituelles. Par exemple, à quatre jours du scrutin, trois syndicats, la CFDT, la FSU et l’Unsa ont appelé les électeurs à faire barrage au Front national : « Dans le contexte actuel, plus que jamais, nous avons besoin de femmes et d’hommes politiques qui privilégient le dialogue, l’écoute, la cohésion et la solidarité ». (Ils ont été rejoints par CGT et CFTC avant le second tour). Mais ce message est resté inaudible ...
- un journal, cependant, s’est engagé : la Voix du Nord a publié un dossier sur le Front National, provoquant la réaction haineuse de nombreux lecteurs. « Vomi », « collabos », « socialo-bolchéviks », « esclaves de musulmans », « pourritures de consanguins », « je chie sur votre journal »… Il y a ce Perpignanais qui estime que « ce n’est pas Charlie qui aurait dû être rafalé, mais votre putain de torchon ». Et le journal commente : ’’Malheureusement, ce n’est pas nouveau : la déferlante d’ignominies s’abat, en particulier sur les réseaux sociaux, à chaque fois que nous publions un sujet sur les migrants, les Roms ou les terroristes, auxquels sont amalgamés tous les musulmans. On garde espoir à la lecture de centaines de commentaires et de courriers, pour ou contre, mais argumentés. Mais cette haine par tombereaux n’est pas un problème marginal. Elle questionne profondément sur notre société et sa culture du débat, socle historique de notre vivre ensemble’’. L’incitation à la peur de ’l’autre’ ne peut que fertiliser un surcroît de violences et agrandir son périmètre déjà préoccupant.
Jeunesse
- A Lyon les aumôniers catholiques ont appelé les étudiants à la fraternité, dans une lettre du 4 décembre : ’’Puisque la force adverse, sous couvert de religion, n’est qu’ignorance et haine, nous appelons à la mobilisation non pas seulement des armes mais de toutes les énergies et de tous les talents’’. Discours inaudible là aussi…
- et malheureusement, si l’on en croit les sondages ’’en sortie des urnes’’, le FN attire les catholiques : 32% des catholiques ont voté pour le Front national, contre 27,7% pour l’ensemble des Français, preuve que la dédiabolisation fonctionne, que l’empreinte religieuse reste immense et fermée, et que l’orientation en faveur des pauvres du pape François n’a pas réussi à faire bouger le vote catholique.
- mais où est la jeunesse ? En 2002, quand JM.LePen s’est retrouvé en 2e position, il y a eu un important mouvement national, y compris ici à Châteaubriant avec de nombreux jeunes. Mais on n’a rien entendu de semblable dans les Régions risquant d’être emportées par le FN . Pire, les sondages indiquent que le FN est à égalité avec la gauche (bloc des gauches) chez les 18-24 ans (35 % d’intentions de vote chacun) … du moins pour ceux qui votent ! Malheureusement 65 % des 18-25 ans se sont abstenus. Notre jeunesse, jouant son proche futur à la ’’roulette russe’’ dans les deux cas, perdue par manque de repères fiables, prend-elle la peine et le temps pour une information correcte ? Vexée par le manque de considération, elle peut, par ’’infantilisation’’, se tirer une balle dans le pied.
- La politique n’intéresse pas les jeunes. La seule chose qui les intéresse, c’est ce qu’ils peuvent obtenir. Ils sont la plupart du temps en situation de consommateurs, de quémandeurs, mais pas d’acteurs. Mais peut-être que cela arrange bien ceux qui ont le pouvoir ? Qu’avons-nous fait de nos jeunes ? Cela fait des années qu’on dit qu’il faut laisser les jeunes prendre des initiatives, des responsabilités. Mais non, les adultes savent mieux qu’eux. Et les règles de sécurité sont si contraignantes qu’il vaut mieux laisser l’action aux ’’spécialistes’’. Les jeunes autrefois avaient envie de refaire le monde. De nos jours ils ont envie de posséder un smartphone, des vêtements à la mode, une bagnole … C’est tout le choix qu’on leur laisse !
- Et en même temps, on constate la montée de la radicalisation chez les jeunes. Dans le Nord-Pas-de-Calais qui a porté le FN en tête, le Centre national d’accompagnement familial face à l’emprise sectaire (CAFFES) a constaté ce phénomène qui s’est accéléré depuis janvier (attentat contre Charlie Hebdo) et dans tous les milieux. Des jeunes sont à la recherche d’un but dans la vie, d’une exigence morale, même si celle-ci est mortifère pour eux-mêmes et pour d’autres. Et ce n’est pas l’état d’urgence qui va arranger les choses. Comme dit un rescapé de la tuerie du Bataclan : « Fermer les frontières, armer tous les flics, multiplier leur présence et replier le pays sur lui-même ne va en rien empêcher le terrorisme ».
Où est la solution ? Il s’agit de la chercher ensemble. Il est certain cependant que nous manquons de centres d’écoute et d’accompagnement où les jeunes pourraient parler, se poser, entourés de professionnels, pas de vieux barbons répétitifs, mais des jeunes qui parlent leur langage et spécialement formés à la pédagogie du vivre-ensemble.
Discussions
Nous manquons nous aussi d’éléments de réflexion. Notre jeunesse lit-elle, sur quels sites, par quels supports ? Est-elle en mode ’’curiosité’’ ou en mode ’’résignation’’ face à un avenir qu’elle pense pourri d’avance ? La presse peut jouer ce rôle. Le veut-elle ? (La Mée, oui, mais c’est une si petite voix …) ou pense-t-elle que cela n’intéresse pas les citoyens ? Elle a pourtant un énorme intérêt, pour sa survie, à savoir capter l’attention de notre jeunesse, qui sera le lectorat de demain. Il y a des initiatives, mais sans effet de ’’masse’’.
Des associations peuvent aussi jouer ce rôle : c’est ce que font le groupement d’associations de Châteaubriant, et La Voie Citoyenne, et le député Yves Daniel, et le RAP et l’ARCEL et d’autres. C’est ce que favorisent aussi les cafés comme La Charrue et Le Papier Buvard. Pour autant, cela ne déplace pas les foules pour diverses raisons :
- - difficultés à faire garder les enfants (surtout dans les familles mono-parentales)
- - difficultés d’organisation (c’est le cas des trop nombreuses familles travaillant en horaires décalés),
- - manque de confiance en soi : hé oui, pour aller à une réunion, il faut oser se montrer, sans se demander : ’’comment vais-je être reçu’’.
C’est pour cela qu’un centre social neutre, facile d’accès, accueillant, non-stigmatisant, est indispensable, tout comme un éducateur de rue ou une structure ’’volante’’ comme la caravane estivale des Potes à Derval. Il y a une réflexion à mener… Il y a surtout une jeunesse déboussolée, fataliste par facilité, à remotiver, à ré-enchanter. « Ouvrons grand les fenêtres ».
Signé : BP et PB
Ecrit le 16 décembre 2015
Pour une éducation populaire
Rina Rajanoary, nouvelle présidente de la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC), appelle à multiplier les rencontres pour renforcer le sentiment d’appartenance à la société :
« Il faut soutenir d’urgence les mouvements d’éducation populaire. Nous avons un rôle crucial à jouer dans cette période. On ne peut pas se contenter de dire que le gouvernement va protéger, seul, toute une population, par diverses mesures sécuritaires. La meilleure façon de protéger les citoyens, c’est d’abord d’en faire des acteurs, de leur permettre de comprendre vraiment ce qui se passe. La meilleure manière de casser les peurs, c’est de favoriser concrètement la solidarité, de créer des espaces de rencontres dans nos quartiers, dans nos villes » dit-elle.