Ecrit le 16 mars 2006 :
Histoire agricole
L’alliance du savoir et du pouvoir
Une conférence aura lieu au château, mercredi 15 mars 2006, sur le thème « Agriculture et antiquité ». Sans remonter jusque là , Julien Bretonnière, de la région de Derval, reprend ici une partie des recherches de Roland Drouard (décédé il y a un an), complétées avec ses propres réflexions sur l’agriculture, dans la région de Derval, entre 1830 et 1900.

Roland Drouard
Situation des campagnes
Au sortir de la Révolution, et des guerres qui ont suivi, la situation du peuple est déplorable. En 1827 « Le Breton » publie un article signé de Leroy, relatant : « l’état affligeant de l’industrie agricole. (...). D’étroits sentiers, conduisant aux villages, déploient leurs méandres jaunâtres au milieu de la stérile plaine. Le reste est recouvert de bruyère courte...De maigres cavales, errantes çà et là , y cherchent pâturage ».
A cette date, le Sous-préfet De Boispéan précise au sujet de Derval : « La population est de 2 029 habitants. Ceux-ci sont généralement probes et dévoués au Roi, mais ignorants, superstitieux et d’une saleté dégoûtante ». « Les chemins communaux sont en général mauvais ». (il aurait pu dire la même chose des communes environnantes). Il ajoute : « La mairie vient d’être confiée à M. de la Haye Jousselin, intendant général de son altesse monseigneur le Duc de Bourbon. Actif, intelligent, recommandable sous tous rapports, ce nouveau fonctionnaire fera d’autant plus de bien qu’il est aimé et respecté des paysans ».
Pour sortir de la misère : développer l’agriculture
La pauvreté vient d’abord du faible rendement des récoltes. A Derval, sur les 6300 hectares de terre, il n’y en a guère que le tiers qui sont cultivés. Le reste se compose de bois et de landes incultes qui s’étendent à perte de vue des coteaux du Perruchet à Quibut à rejoindre ceux du Don, au Sud.
Les terres cultivées sont laissées en jachère une année sur deux, ou sur trois, afin qu’elles se reposent. Seigle, avoine et blé noir assurent la nourriture et permettent aux campagnes d’échapper aux famines.
Le travail des petits paysans pauvres et des enfants de journaliers commence très tôt dans l’existence. Dès l’âge de 7-8 ans, l’enfant est placé pour la garde des animaux, les moutons le plus souvent, en échange de la nourriture et d’une paire de sabots. Les adolescents guident les bœufs au labour ou attelés à la charrette. Puis ils deviennent journaliers ou domestiques au moins le temps de se constituer un petit pécule en vue du mariage.
Pour disposer d’un peu de dignité, de liberté, beaucoup économisent sou à sou pour acheter un petit lopin de terre. Être propriétaire, même modestement, assure l’indépendance ou tout au moins en donne l’illusion. Les privations et les sacrifices nécessaires pour devenir petit propriétaire sont grandes. Des générations se sont ainsi sacrifiées pour « acquérir un bien ».

Buste de Jules Rieffel
Jules Rieffel : un défricheur et un précurseur
Au début du XIXe siècle, les moines de Melleray reviennent d’Angleterre. Ils ne reviennent pas seuls, des moines anglais les accompagnent ainsi qu’une cargaison de matériels agricoles utilisés en Angleterre. Ils décident d’ouvrir une École pour propager le progrès. Mal appuyés, ils vont échouer. Il faudra attendre 1829, l’arrivée, à Nozay, de Jules Rieffel qui s’engage à défricher les 500 ha de landes de l’armateur nantais Haentjaens.
La seule énergie dont dispose alors la région, ce sont les bras. Le matériel est réduit à sa plus simple expression. La domestication de l’énergie-vapeur va frapper à mort la culture du lin et du chanvre et sa transformation par les femmes et les artisans. Même chose pour la laine, produit principal du mouton élevé en abondance. Toute l’activité féminine est alors consacrée à tisser la toile et filer la laine à la main alors que l’Angleterre s’apprête à inonder le marché français des produits de ses manufactures.
A peine arrivé, Rieffel écrit aux Maires et au Conseil Général, afin d’ouvrir une école d’agriculture. Au départ, celle-ci est surtout prévue pour les bouviers de l’Assistance Publique qui sont nombreux dans les fermes de la région.
Étonnés, les Maires réagissent. On n’a déjà pas de quoi envoyer à l’école les enfants de familles indigentes ! Envoyer les gosses de l’Assistance : c’est un comble !
Rieffel défriche, réussit ses premières récoltes. Il ouvre son école à Grandjouan-Nozay. La surprise est générale. Comment ce sorcier peut-il réussir là où tout le monde échoue ?
C’est alors que Rieffel utilise une stratégie géniale : consentir à unir son « savoir » en utilisant le « pouvoir » (les relations) concentré dans les mains du puissant châtelain de Derval, M. de la Haye Jousselin. Cet aristocrate qui domine toute la région de Châteaubriant s’intéresse aux progrès de l’agriculture. Rieffel et de la Haye Jousselin fondent le « Comice Nozay-Derval ». L’essor de l’agriculture de la région exige ce contrat qui va durer de très nombreuses années.
L’audace de Rieffel repose sur les nombreux résultats engrangés en défrichant et testant plantes, matériels, animaux, engrais, etc... Ses premiers élèves sans-le-sou sont choisis pour être ses métayers. Il apporte capital, outils, cheptels, semences... Eux apportent leurs bras et voici que le partage des fruits se fait sur des bases nouvelles entraînant les mentalités de l’époque parfois à modifier les habitudes.
Elle est intéressante l’histoire des Comices à Derval car elle révèle comment s’opérait la diffusion des idées et des divers matériels testés à travers les démonstrations et les expositions. Si le défrichage des terres a pu être mené rapidement à Derval, comparé à d’autres régions, c’est bien grâce aux Comices qui ont diffusé les techniques de mise en valeur.
Rieffel trouve à Derval les conditions nécessaires pour réussir son pari de faire progresser tous les laboureurs. Il résumait son action en trois mots : une croix, une charrue, une revue. Derval va en faire sa devise.
L’association Rieffel et la Haye Jousselin
La Haye Jousselin est subjugué par les résultats de Rieffel. Il s’emploie à défricher ses landes, drainer les terres humides, construire de nouvelles fermes, envoie son fils à l’École Forestière de Nancy.
Sa propriété, le Fond des Bois est vaste de 1.500 hectares de terres, des mines d’ardoises du Pas-Guillaume et le moulin du Claray. Comme propriétaire exploitant, de la Haye Jousselin s’emploie à semer une partie des landes qu’il possède.
Il achète à bon marché les terres incultes qui se vendent et que personne ne pense à défricher, confiant dans l’avenir de l’agriculture, il prépare un vaste domaine agricole.
défricher et réussir la culture en utilisant l’engrais miracle ressemblait à un trésor enfoui que l’on découvre. Mais ce trésor était surtout accessible aux riches tellement il y avait de travaux préalables avant de récolter.
On comprend tout le parti que les possédants allaient pouvoir tirer de l’effort du défrichement impulsé par Rieffel et de la mise en application de ses techniques.
Afin d’exercer son action au plus loin, en 1843, Rieffel fonde l’association bretonne d’agriculture qui regroupe les propriétaires éclairés de Bretagne dont il est le directeur. Dans le bulletin de l’Association il publie de nombreux écrits, organise des Congrès : Vannes en 1843, Poitiers en 1846 et Angoulême en 1864.

La Ferme de Grandjouan à Nozay (photo prise dans le n°3 de la Revue Histoire de Patrimoine du Pays de Châteaubriant)
A partir de 1848, Grand-Jouan est élevée au rang d’École Régionale d’Agriculture du Grand Ouest et même d’au-delà . Les élèves arrivent à Nozay par diligence ou par voie de canaux. L’école compte plus de non-bretons que de bretons.
La France est en pleine crise. La Bretagne n’a jamais été aussi malheureuse que sous Louis-Philippe. La Monarchie de Louis-Philippe, née d’une Révolution s’effondre sous une Révolution ; seuls les riches ont droit de vote et entendent le garder. Mais le nouveau gouvernement provisoire proclame le suffrage universel et accorde le droit de vote à tous les citoyens âgés de 21 ans. La IIe République est proclamée (1848-1852).
Julien de la Haye Jousselin perd son mandat de député, victime du suffrage universel. Il va désormais se consacrer à son mandat de maire de Derval.
Nommé par le suffrage universel, Louis-Napoléon accède au pouvoir personnel par le Coup d’État du 2 décembre 1851. C’est l’Empire. Tout commence plutôt bien, l’Empereur a pour lui la masse des paysans et des ouvriers que l’essor industriel dispose à l’optimisme. Mais l’Empereur, comme son illustre parent, se laisse entraîner dans de grands conflits qui provoquent un mécontentement général et une crise financière grave.
Cette crise provoque la mévente des produits agricoles, à quoi s’ajoutent les récoltes désastreuses de 1853 et 1854.
La pénurie fait monter les prix du blé qu’on doit faire venir d’Amérique. Cette hausse et celle des autres denrées déclenchent ainsi un cycle infernal. Si les industriels se rattrapent en diminuant le salaire des ouvriers, les victimes de cette crise sont principalement les malheureux : les indigents, devenus de plus en plus nombreux.
Julien de la Haye Jousselin ne survivra pas à l’Empire. En 1852, il cesse ses fonctions de Maire. Son fils Louis, de retour de l’Ecole Forestière, exerce la charge de Garde général auprès de l’Administration.
Mais après quatre années de cette activité, il est obligé de revenir au Fond-des-Bois en raison du mauvais état de santé de son père. Comme lui, il est séduit par les méthodes de Rieffel. Il poursuit les travaux de défrichage et entreprend de développer la culture des plantes sarclées testées à la ferme-école de Grandjouan : choux, betteraves, carottes blanches, rutabagas sont ainsi cultivés et entrent dans la ration des animaux.
Il entreprend également de sélectionner l’élevage. Il remplace la vache Nantaise par la Durham jugée plus productrice en viande, mais garde les bœufs nantais car supérieurs pour les travaux. « J’exige, écrit-il, qu’ils marchent vite, ce que j’obtiens facilement car ce dont je suis convaincu depuis longtemps, c’est que la paresse de l’homme fait la lenteur des bœufs ! ».

Labour à Sion-les-Mines
Dans ses fermes en métayage, il impose aux métayers la fécondation des femelles par des géniteurs qu’il a lui-même choisis en fonction de leurs qualités reproductrices. Les races, porcines « Craonnaise » et « Southdown » pour les ovins, ont ses préférences. En 1866, il obtient pour son exploitation une médaille d’or, grand modèle. Au fil du temps, le Fond des Bois devient un exemple de la réussite de la vulgarisation des techniques de Rieffel.
Une visite de l’Association bretonne, en date du 21 août 1875, à la ferme du Fond des Bois relève : « Il y a 45 ans tout était en lande dans le canton de Nozay où se trouve l’école. 10 000 à 18 000 hectares de ces landes ont été défrichés. 8 000 pour le canton de Derval dont 2 500 à Derval. Transformés en fermes qui se louent 50 francs l’hectare, contre 20 sous avant la défriche. Tout le pays est morcelé, coupé de fossés, assaini, labouré, d’après les meilleures méthodes ; planté d’arbres forestiers et de pommiers de la plus belle venue ».
Un autre propriétaire terrien dervalais, Richard Hay de Slade met à profit les méthodes de Rieffel. Ayant acheté un lot important de terres à la Garrelaye, il les fait défricher et, comme de la Haye Jousselin il crée de nouvelles fermes.
L’Ecole de Grandjouan connaît un rayonnement important. Selon les statistiques, en 1880, année du cinquantenaire, 1.037 élèves avaient fréquenté l’École.
Et si l’on consulte la liste des membres de la « Société des Anciens Elèves », on voit que la plupart d’entre eux sont allés divulguer leur enseignement aux quatre coins de la France ainsi que dans de nombreux Pays d’Europe et même du monde.
En 1881, Rieffel prend sa retraite et meurt en 1886. En 1897, l’Ecole de Grandjouan est délocalisée à Rennes où elle est devenue l’INRA.
Les comices :
une vulgarisation
du progrès, mais aussi une habile publicité
L’ordonnance ministérielle de 1820 prescrivait aux préfets de créer des Comices. Comme tant d’autres ordonnances de cette période de l’Histoire de France qu’on appelle « La Restauration », celle-ci est passée inaperçue. Pourtant en attendant la loi de 1857 qui restera le texte de base réglant la compétence des Comices jusqu’Ã nos jours, cette circulaire trouvera dans les cantons de Nozay, Guémené-Penfao et Derval, un terrain d’application presque unique en France.
Il faut dire que l’ordonnance, une fois n’est pas coutume, avait parfaitement cadré la mission des Comices. On ne touchait pas aux prérogatives des sacro-saintes sociétés d’agriculture qui se passionnaient pour les débats académiques....
... mais on assignait aux Comices de vulgariser les techniques nouvelles éprouvées dans les premières écoles pratiques d’agriculture, là où il y en avait. Ailleurs on diffusait les théories savantes des académies...
En 1835 Rieffel fonde à Nozay-même le premier Comice. Le juge de paix, Constant Hupel en est le président. Tous les maires de la région participent et font confiance à Rieffel. L’habileté de celui-ci, c’est de profiter à fond de cette institution pour diffuser le progrès à tous, parallèlement aux cours qu’il professe dans son école.
C’est toute l’originalité des premiers Comices qui ne se contentent pas, comme tant d’autres d’ailleurs, d’être un salon de présentation des plus beaux animaux pour flatter l’amour-propre des propriétaires. C’est l’ensemble de la gestion de l’exploitation qu’on veut présenter : la façon de défricher, de labourer, de produire les bons fourrages, le discours de Rieffel porte toujours sur le meilleur et non le plus beau. Dans sa ferme, il améliore à partir des souches indigènes, refusant les géniteurs prestigieux, trop chargés de médailles à son goût et n’ayant pas fait la preuve de leurs caractères génétiques.
Ce ne sont pourtant pas les sollicitations qui vont manquer car, à regarder la composition des Comices tout au long du XIXe siècle, on pourrait penser que les grands propriétaires qui sont tous sociétaires et presque tous à la tête, sont là pour valoriser d’abord leurs propres élevages et ceux de leurs métayers. N’ont-ils pas dans le bail entière prérogative et autorité pour imposer les géniteurs de leur choix ? On verra au fil des années que la pression du prestige, du plus gros, du plus « beau » fera succomber Rieffel lui-même, prisonnier qu’il est des grands propriétaires qui tenteront continuellement de récupérer à leur profit l’institution des Comices.
Nozay... Derval, Guéméné-Penfao
Mais pour assurer le succès, au départ Rieffel a pratiquement pleins pouvoirs sur la façon d’utiliser les 1 000 à 1 500 francs de primes qui constituent le budget des années 1835 à 1850. C’est cette impulsion à la fois économique et démocratique qui assurera, à travers le succès des comices, celui de l’essor agricole du canton de Derval et de la région. Agriculture et élevage vont dynamiser tous les moyens disponibles de la région.
Rieffel : le mariage de l’agriculture avec la fête
Il faudra à Rieffel une sacrée dose d’habilité et de mesure, tant pour résister aux propriétaires cherchant à se hisser au sommet dans le but d’épater le milieu, qu’Ã la pression des amateurs de fêtes mondaines qui auraient dénaturé complètement la visée démocratique recherchée dans les comices.
Dans cette voie étroite et difficile, il réussira à se ménager une place de choix : nulle part comme ici, le mariage de l’agriculture et de la fête n’atteindra un tel degré. Certains comices dureront trois jours et une journée sera toujours consacrée à récompenser les efforts des bouviers, des défricheurs, des fermiers bons gestionnaires.
Le discours de Rieffel sera écouté dans un silence religieux, puis les bouviers et fermiers s’en retourneront à leurs travaux tandis que les réjouissances continueront pour les nobles venus parfois de très loin.
Influence des comices sur l’économie régionale
Les influences des comices sur l’économie agricole ne sont pas contestables :
– la surface des terres disponibles va doubler
– la production agricole relance toute l’économie locale
– la faim de Savoir ébranle la domination de l’Avoir
Mais la lenteur sinistre des bœufs et l’amour des foires retarderont considérablement la production rationnelle du lait, malgré laiterie moderne et fromagerie créées par Rieffel pour inciter à valoriser le lait.

Femmes récoltant le lin
L’ignorance des grandes lois des sciences naturelles (surtout la chimie) condamnait les agriculteurs à n’être que des « cueilleurs » de la nature, laquelle, sans engrais extérieur, allait s’épuisant. Ce n’est que peu à peu que sont introduites de nouvelles manières de cultiver le sol :
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- l’utilisation très massive de chaux provenant de Saffré ou d’Erbray allait corriger progressivement l’acidité des terres et leur rendre leur fertilité
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- la découverte faite à Nozay que le « noir animal » utilisé dans la clarification des sucres était un engrais phosphaté très riche, allait permettre de modifier les cultures locales et de les remplacer par des blés là où il n’y avait que du seigle ; puis de réussir des légumineuses riches en azote et phosphate, aptes à corriger la carence du squelette des animaux.
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- Les grains et fourrages produits en abondance vont permettre de modifier radicalement la conception de l’élevage. Qualifié de « mal nécessaire » au début du XIXe siècle, la valeur de ses produits, viande et lait, ne cesse d’augmenter grâce à la création massive de foires et marchés et du transport sur rail.
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Si le comice est la fusée qui permet de diffuser le savoir-faire agricole, pour le mettre en œuvre, il faut d’énormes moyens financiers dont ne disposent pas, loin s’en faut, les 500 petits agriculteurs dervalais. L’immense majorité d’entre eux devra donc se contenter de regarder par dessus la haie ce que le voisin entreprend d’intéressant.
Le métayage qui avait été un moyen de favoriser l’économie à travers la défriche des landes au milieu du XIXe siècle freine l’évolution agricole : en effet, devant assurer seul les charges, le métayer limite la production en se basant sur le produit qui lui restera après le partage avec son propriétaire... Il faudra attendre 1946 : la réforme du Statut du Fermage.
Globalement les comices ont pesé un grand poids pour orienter l’activité agricole vers un système de production extensif totalement incohérent avec la charge des travailleurs présents à la fin du XIXe siècle.
Les grands gagnants sont les propriétaires. Ils dominent tous les comices de la région et occupent largement les sièges des organisations agricoles qui se mettent en place... La terre passe de 20 sous à 50 francs l’hectare.

Le brayage du lin, avec une « bra »
Création de fermes
La défriche des terres, 2 500 ha à Derval, favorise l’agrandissement de petites borderies et de métairies.
Ces petites fermes sont le plus souvent rattachées au château, ou situées dans un village. Elles appartiennent, alors, à un petit propriétaire qui, la plupart du temps, les exploite. Mais le plus remarquable, ce sont bien les créations nouvelles. Si certaines de ces fermes ont grossi les villages existants, un certain nombre ont été fondées au milieu même des landes fraîchement défrichées. Elles sont reconnaissables à leurs noms : Le Pigeon Blanc - La Souris Blanche - Bel Air - Ste Anne - St Sauveur - St Joseph - Le Champ Jubin - etc ...
Ces noms se différencient des autres lieux-dits aux origines bretonnes : Rohel - Bruguel - Nillac - Le Boudic etc... ou de ceux plus récents tirés du nom de la personne : La Boutonnais - La Hamonais...
Ces nouvelles fermes, en raison de leur grande surface, justifient un type d’habitat qui soit en rapport : une maison qui permette d’assurer le logement à une famille constituée car le propriétaire a, en effet, tout intérêt à choisir un métayer dont les enfants sont en mesure, ou en force de travailler. De nouveaux bâtiments de ferme se construisent, plus vastes, plus rationnels. Mais, pour cela il faut de l’audace et du savoir-faire. Certains petits artisans deviennent entrepreneurs : il leur faut embaucher, former, s’associer peut-être avec d’autres corps de métiers. La plupart des matériaux sont pris sur place ou dans le pays comme le grès, le schiste et le sable. La chaux, pour constituer le mortier, vient d’Erbray. Par contre, le chêne est parfois délaissé au profit du sapin du nord, d’un séchage plus rapide et « travaillant » moins.
Grâce au développement qui s’opère, la densité de population ne fait que croître. A Derval, la population qui était de 2 029 habitants en 1826 passe à 3 257 en 1895. Le bourg se développe : artisans et boutiquiers s’y installent. Dans les villages les plus reculés, des charpentiers, forgerons, épiciers créent « boutique » aussi. Des écoles sont construites, et même un hospice à Derval.
Certains bourgs se « délocalisent » et se recentrent. C’est par exemple le cas de Lusanger où, abandonnant « le vieux bourg », un bourg tout nouveau est construit à l’emplacement actuel. Plusieurs petites communes naissent ainsi de la défriche des terres. La Dominelais par exemple, qui se détache du Grand Fougeray. Citons aussi celle qui, comme beaucoup d’autres, a été tirée de paroisses voisines et qui est en voie de devenir célèbre pour cause de projet d’aéroport : Notre Dame des Landes.
L’action des comices pousse à l’organisation
L’exemple des fermes de Nozay créées au beau milieu de la surface à mettre en valeur fait rêver beaucoup de Dervalais. Les gains de temps pour tous les transports et la surveillance des troupeaux sont importants... Mais passer du rêve à la réalité demandera du temps, car qui allait construire les routes pour accéder à ces milliers d’hectares inaccessibles ?
A Derval la lecture des procès-verbaux des réunions de Conseil Municipal révèle combien était difficile le seul entretien de quelques routes existantes... L’effort allait s’avérer gigantesque. Tous les villages voulaient des routes, tant pour relier que pour conduire aux terres à défricher.
Mais avant de défricher, une somme de travail était le plus souvent nécessaire : abattre et transporter les bois. Puis arrivait la charrue à défricher tirée par quelques paires de bœufs. Restait à enlever, après chaque passage d’outils, les pierres et les racines avant de procéder au semis de blé noir, le seul à être amoureux de cette terre neuve, si l’on apportait assez de phosphates.
Grâce aux comices, les Dervalais ont bénéficié précocement de matériels que diffusait Rieffel.
L’ariau à clou, en fer de lance, a été vite largué lorsqu’on a constaté le travail que réalisait la charrue Dombasle à soc. Et la culture en billons de quatre raies est devenue la norme courante dans les terres de landes.
Création de nouveaux matériels
Toutes les mécaniques nouvelles, testées ou fabriquées à Grandjouan provoquaient l’admiration et très vite des machines furent utilisées et parfois achetées en commun. Citons l’achat négocié en Angleterre de batteuses manuelles que Rieffel voulait tester avant leur diffusion en 1840.
A Nantes, Renaud et Lotz construisent des manèges, d’abord pour être entraînés par des animaux avant d’y intégrer une machine à vapeur.
Quantité de forgerons les imitent et réalisent des matériels en s’aidant des pièces de la Fonderie Franco : tels Huard-Dupré etc...
Deux types de manèges à battre les céréales sont construits : le plus ancien à charpente, l’autre avec engrenage adapté au sol et aussi entraîné par des bœufs ou des chevaux. Il servait également à actionner le moulard à pommes à cidre. Vers 1950, à Derval, une batteuse entraînée par un manège à charpente, servait encore pour de petites récoltes.
La première machine à vapeur entraînant une batteuse a dû entrer en service à Derval dans les années 1870. Une lettre adressée par sa mère, au caporal Dandé qui effectue son militaire de cinq ans, relate ce fait sans le dater :
« Tu me demandes des nouvelles du pays et de la récolte. Elle n’est pas mauvaise : une moyenne récolte en froment. Quand au blé noir, il ne rend pas beaucoup » (.../...)
« Nous avons battu cette année avec une » machine à feu « dont je t’avais déjà parlé et que nous avons achetée à moitié avec Noë l Chrétien du Moulin à Vent, Alexandre et Jean Chrétien la conduisent et la chauffent à tour de rôle. Ils sont tous les deux noirs comme une cheminée ! ».
La terre du pauvre
On ne peut fermer la page sur les landes dervalaises sans rappeler les deux fonctions qu’elles assumaient depuis longtemps : fournir des pâtures aux pauvres et réduire le paradis du gibier.
Avant la Révolution, les Frairies avaient organisé l’espace afin que la solidarité ne soit pas un vain mot. Autour des villages se trouvaient des terres incultes où les pauvres mettaient leurs animaux.
Le Code de Napoléon oublie les pauvres et la réussite des défriches fait monter le prix des terres restées incultes. Quantité de procès qui n’en finissent pas, opposent usages locaux anciens et acheteurs pour défricher. On relate souvent celui concernant les landes de Landry. Très vite les nouveaux acquéreurs exigent, à l’achat, une garantie exclusive de propriété sans aucun recours des joignants sur le droit de pacage ou de « glandée ».
L’enseignement agricole au pensionnat
Dès 1887, l’Institut de Ploë rmel combat pour intégrer l’Agriculture dans le programme de l’enseignement primaire, appuyant les demandes de l’Association Bretonne d’Agriculture qui veut lier l’enseignement à la vie quotidienne des élèves. A la demande du comte Falloux, le Père de la Mennais, fondateur de Ploë rmel, rédige un mémoire en vue de la loi qui sera votée en mars 1850. En fait, les Frères de Ploë rmel ont déjà intégré dans la plupart de leurs écoles un programme agricole, aussi bien en France qu’à l’étranger.
La loi de 1879, intégrant en France l’enseignement de l’agriculture et de l’horticulture à l’école primaire ne fait que consacrer, à Derval, une réalité. Le Frère Barthélémy, dans sa modeste école, porte déjà en germe et en expérimentation, l’intense effort de « modernisation », voie ouverte à de considérables progrès des ressources de la terre.
Le Frère Barthélémy tient à faire apprendre aux élèves, de façon vivante et précise, les principes essentiels de la culture intelligente, au grand étonnement du Directeur de l’école de Grandjouan dont les élèves jouissaient de meilleures conditions d’études.
Le Pensionnat St Joseph dispose d’un jardin, d’un verger avec pressoir, d’un élevage de vaches pour des observations de « proximité ». Mais ce sont les travaux personnels des élèves qui occupent une place de choix en des domaines variés et complémentaires : les initiations au toisé et à l’arpentage (équerre et chaîne d’arpentage étant obligatoires pour suivre les cours). Les arbres fruitiers, surtout les pommiers, requièrent des cours et des soins attentifs. Toutes sortes de greffes sont aussi enseignées et expérimentées. L’étude des diverses essences d’arbres et les compositions d’herbiers de plante, utiles ou nuisibles pour l’agriculture, fournissent des documentations précieuses. Des notions de gestion saine sont présentées en théorie et en pratique.
Il est d’usage, en ces temps de transformation rurale, de participer avec intérêt aux Comices agricoles, aux concours cantonaux et régionaux, aux expositions « pomologiques ». Le frère Barthélémy y fait participer ses élèves. Les jurys examinent les dizaines d’échantillons de fruits, de cidres et d’eau-de-vie de cidre - les cahiers - archives - les plans d’exploitations et dessins agricoles - les collections et herbiers etc... Les médailles et les plaques commémoratives enrichissent les vitrines de l’école de Derval, toujours aux premières places : plus de 52 médailles sont ainsi glanées.
La réputation de l’Ecole de Derval occupe fréquemment une surface imposante dans les journaux, notamment celui de l’arrondissement de Châteaubriant qui, malgré l’application des lois républicaines, célèbre quand même les efforts et les succès mérités. Mais laissons le journal local résumer le travail réalisé par le frère Barthélémy au cours de quatorze années. (extrait du Courrier de Châteaubriant)
Monsieur le Rédacteur
" Le 19 juillet dernier (1888) avait lieu, à Derval, le concours annuel d’agriculture pour les écoles primaires des cantons de Derval et Nozay, 40 élèves étaient présentés par MM. les instituteurs, et 10 prix devaient couronner les vainqueurs. Le cher frère Barthélémy, directeur des écoles communales de Derval devait, comme toujours, se faire remarquer par les plus brillants succès. Nul doute que, sans l’élimination faite à l’heure même du concours, de tous les enfants nés hors du canton de Derval et de Nozay, le frère Barthélémy, dont les classes sont remplies par un grand nombre d’élèves étrangers, attirés de loin par la réputation de son Ecole, n’eut obtenu tous les prix. Malgré cette exclusion, nécessaire pour laisser quelques chances aux autres concurrents, six de ses élèves ont remporté les premiers prix. Qui pourrait s’en étonner ?
Ce Frère aussi savant que modeste, n’a-t-il pas obtenu 13 médailles (or et argent) et autant de diplômes d’honneur, aux différents concours et expositions qui ont eu lieu depuis dix ans ; succès extraordinaires qui ont fait de son école la première du département. Cette année ne devait pas être inférieure aux précédentes. « » Il y a quelques mois, à la dernière exposition de Nantes, la seule et unique médaille et le diplôme d’honneur lui ont été décernés. Et, comme couronnement de tous ses travaux scientifiques, il vient d’être proclamé à Paris, premier lauréat des agriculteurs Français, médaille d’or, grand modèle, premier prix. "
A la tête de son Etablissement, le frère Barthélémy engrange les résultats. Il séduit son environnement, élargit son audience jusqu’aux limites du grand-Ouest en Normandie.
En initiant ses élèves à l’étude des cultures nouvelles, comme celle des pommiers, le Directeur de St Joseph a largement réussi son pari. Chaque propriétaire terrien a voulu planter, ou développer, la culture de ces arbres à fruits.
Grâce aux réseaux du chemin de fer naissant, c’est désormais d’importants tonnages de pommes qui partent de la gare de Derval en direction des cidreries de la région mais encore des confitureries allemandes.
La fin du XIXe siècle marque un coup d’arrêt à l’enseignement et au développement de l’Agriculture. Les événements qui vont surgir dans la première partie du XXe en sont la cause pour une bonne part. Cependant, sous l’impulsion des pionniers : Rieffel, les De la Haye Jousselin et le frère Barthélémy, des efforts considérables ont été accomplis. Ils ont permis d’améliorer la condition du paysan et, par voie de conséquence de favoriser la création et le développement des métiers de l’artisanat et du commerce.

Vieille femme de Derval, se rendant au marché
1908
L’Abbé Bouron, lors de son entrée à Derval, comme curé de la paroisse , dresse un état de la commune. Nous sommes en 1908 :
" La population de Derval est estimée à 3300 habitants contre 1600 en 1800. Sa superficie est évaluée à 6.351 hectares dont 3.565 de terres cultivables - 850 de prés naturels - 390 en pâturage et pacage - 1 de vigne - 398 de terres de lande inculte - 240 de cultures diverses (non dénommées : oseraies, roseraies) - 695 de bois et forêts - 212 de terres non occupées dans les catégories ci-dessus.
Depuis quelques années l’agriculture a fait, dans le canton, de sérieux progrès. On y cultive avec succès le froment, le seigle, le sarrazin. A Derval, en 1907, on a ensemencé : 1.346 hectares en blé - 24 ha en seigle - 117 ha en orge - 803 ha en sarrazin - 315 ha en avoine - 58 ha en rutabagas et navets fourragers - 239 ha en choux fourragers - 213 ha en pommes de terre - 171 ha en betteraves et 3 ha en lin. La culture des pommiers est particulièrement en honneur et l’objet de soins particuliers, grâce au zèle déployé par le frère Barthélémy. Pendant trente années, il a puissamment contribué au développement de cette production dans le pays.
On compte à Derval un bon nombre de métairies importantes et dont les fermiers semblent jouir d’une certaine aisance. Le commerce des chevaux a aussi son importance à Derval et les poulains atteignent parfois un prix élevé. Les métayers sont généralement à l’honneur d’avoir de bonnes montures.
Moeurs : on dit que la boisson en usage dans un pays influe singulièrement sur la culture, les facultés intellectuelles et le caractère des habitants. Le vin blanc par exemple, réjouit le cœur de l’homme, l’excite, l’émoustille, le met en bonne humeur. Or à Derval on boit peu de vin, mais beaucoup de cidre, et le cidre, dit-on, rend sérieux, grave, modéré. Que faut-il en conclure ? Le Dervalais, calme de sa nature et tranquille par tempérament, est moins vif et peut être moins actif, a moins de fougue et d’entrain qu’un méridional ; par contre il est plus solide dans ses principes, inébranlable dans sa foi, et plus réfléchi dans sa conduite. Moins inconstant que beaucoup d’autres et moins porté vers les idées nouvelles, il est plus lent à se décider, mais aussi plus ferme dans ses résolutions, plus raisonnable et plus sage dans la pratique ordinaire de la vie et tout ce qu’il fait ".
Conclusion :
La révolution agricole a été génératrice d’emploi et beaucoup de personnes se sont « grandies ». En 1908 on est loin du rapport de 1826 ! Les paysans sales et retardés du début du XIXe siècle ont prouvé qu’ils avaient à la fois les bras et l’intelligence pour faire surgir le développement de leur région, pour peu qu’un initiateur de génie veuille bien leur faire confiance et sache consacrer le temps nécessaire pour tester et enseigner de nouvelles techniques.
Malheureusement, au début du XXe siècle, la première guerre mondiale, puis la crise de 1929, ont stoppé une révolution agricole porteuse d’espoir. Et puis, après la seconde guerre mondiale, les petits paysans ont disparu au profit des grandes exploitations agricoles, l’artisanat et le commerce ont commencé à péricliter dans les bourgs, sans que l’industrialisation puisse fournir suffisamment d’emplois. La disparition des agriculteurs se poursuit inexorablement cependant que viennent vivre, dans les campagnes, nombre de pauvres chassés de la ville par la cherté des loyers. Les communes rurales connaissent à nouveau un accroissement de population, venu de l’extérieur, et moins porteur d’espoir qu’il y a 100 ans.
Julien Bretonnière
En complément : l’étude de René Bourrigaud, sur Jules Rieffel, dans le N°3 de la revue Histoire et Patrimoine du Pays de Châteaubriant (p. 36 à 45). Disponible chez C.Bouvet - BP 84 - 44143 Châteaubriant - Cedex
André Sinenberg
André Sinenberg : merci pour le foirail
André Sinenberg : 30 km à pied au cul des vaches
Ecrit le 9 septembre 2009
Nous avons pris un coup de vieux !
Des haches retrouvées dans la vallée du Rio-Quipar (région de Grenade, sud de l’Espagne) ont été datées de 760 000 à 900 000 ans, alors que l’apparition de cet outil en Europe était jusqu’ici datée à 500 000 ans environ, selon une étude publiée le 2 sept. dans la revue « Nature ». L’utilisation de ces haches offrait de meilleures chances de survie à leurs détenteurs