Ecrit le 12 février 2020
Il s’appelle Michael Sfard, il est avocat israélien et il défend les Palestiniens. En voyant le plan proposé par le Président Trump, il déclare :
« C’est drôle que le président américain appelle cela un plan de paix parce que c’est un plan d’annexion, qui compromet l’avenir du Proche-Orient et celui du conflit israélo-palestinien »,
« Il va aussi avoir de grosses conséquences sur l’ordre légal. C’est un pas de plus pour perpétuer la domination des Israéliens sur les Palestiniens et pour des années. Les Israéliens auront tous les droits d’un État moderne et les Palestiniens seront dominés, sans contrôle sur leur destin », dénonce-t-il .
Défenseur des Palestiniens
Dans son livre Le mur et la porte, Michael Sfard décrit dans le détail « les conditions d’enfermement » des Palestiniens en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. « C’est difficile de l’admettre, mais je regarde la réalité en face et il y a un crime contre l’humanité qui s’appelle l’apartheid. Dans la même région, il y a deux groupes avec l’un qui contrôle l’autre et la discrimination d’un groupe sur l’autre. Une situation où deux groupes sont soumis à deux lois différentes, je l’appelle apartheid », regrette-t-il.
Michael Sfard revient sur cinquante ans d’Histoire et de rebondissements judiciaires dans la lutte pour les droits de l’homme dans les territoires occupés. À travers huit chapitres et autant de thématiques – déportations, colonies, torture, barrière de séparation, avant-postes non autorisés, détention administrative, démolitions punitives, assassinats ciblés –, il chronique un combat quotidien mené devant la Cour suprême d’Israël.
Véritable immersion dans les rouages du système judiciaire et du métier d’avocat, Le mur et la porte se lit comme un feuilleton : l’auteur revient sur les cas qui ont fait jurisprudence et alterne récits individuels, portraits de juges et d’avocats, incursions dans l’histoire de la région et réflexion juridique. On apprend notamment pourquoi les procès perdus servent parfois la cause, comment des juges a priori conservateurs ont pu statuer en faveur des Palestiniens, ou en quoi demander l’ouverture d’une porte dans la barrière de séparation entre Israël et la Cisjordanie pose un cas de conscience aux avocats des droits de l’homme.
Dans cet ouvrage incroyablement vivant, Michael Sfard revient sur les limites et les paradoxes de son combat, et rend intelligibles les principes fondamentaux de la déontologie juridique en matière de droits de l’homme. Le mur et la porte est en passe de devenir une référence en droit international.
Fils de dissidents polonais arrivés en Israël à la fin des années 1960, Michael Sfard connaît intimement le prix de l’engagement. Petit-fils du grand sociologue Zygmunt Bauman, cet avocat, âgé de 47 ans, est l’un des plus célèbres juristes israéliens. Michael Sfard a fait ses armes auprès du célèbre avocat israélien Avigdor Feldman, avant d’ouvrir son propre cabinet à Tel Aviv. Il publie régulièrement dans le New York Times, The Independent, The Observer, Foreign Policy ou Haaretz.
Vers la guerre
« Une journée historique. » Voilà comment Benyamin Netanyahou a accueilli la révélation le 28 janvier par Donald Trump de son plan de paix tant attendu sur le Proche-Orient. La joie du Premier ministre israélien, qui se trouvait lui-même à la Maison-Blanche pour la présentation du document de 180 pages, s’explique par les nombreux gages que le président américain accorde à son « ami » israélien, par exemple :
Jérusalem capitale indivisible d’Israël,
annexion des colonies en Cisjordanie
ainsi que de la vallée du Jourdain.
L’« accord du siècle » de Donald Trump, concocté par son gendre et conseiller Jared Kushner, fait la part belle aux demandes israéliennes qui sont appliquées immédiatement, et revient sur plusieurs fondamentaux décrits par les résolutions de l’ONU.
Aux Palestiniens, il est promis à moyen terme un État « démilitarisé », dont la sécurité et l’espace aérien seront assurés par Israël. D’après Donald Trump sa capitale pourraît être située « à l’est de Jérusalem », autrement dit dans les faubourgs arabes de la « ville sainte », derrière le mur de séparation construit par Israël.
Pour Michael Sfard « Nous ne pouvons pas continuer à opprimer des millions de personnes. En réalité, ce plan perpétue l’oppression permanente des Palestiniens. Avec ce plan, Israël accède à tout ce qu’il souhaite maintenant alors que les Palestiniens, après un processus de plusieurs années, peuvent peut-être arriver à obtenir un État s’ils respectent certaines conditions et qu’Israël les juge favorables » « Car les Palestiniens n’auront pas le pouvoir de signer des traités, de faire partie d’institutions internationales comme la Cour internationale de justice et que, encore plus important, ils ne pourront contrôler l’entrée et la sortie des personnes et des biens ».
Oui mais Trump promet le versement à terme de 50 milliards de dollars aux Palestiniens. Pour Michael Sfrard « tout peuple a besoin de pain et d’un logement pour être heureux. Mais cela n’est pas suffisant. Les hommes doivent bénéficier d’un minimum de contrôle sur leur vie, ce qui implique d’avoir une influence sur les processus de gouvernance. Voilà pourquoi l’humanité reconnaît que tout peuple doit pouvoir bénéficier de droits civiques. Les Palestiniens n’ont jamais eu de droits civiques équivalents à ceux d’autres sociétés ». Contrairement à ce qu’affirme Donald Trump qui parle de plan « gagnant-gagnant », il s’agit en réalité pour les Palestiniens d’un plan « perdant-perdant ». Qu’ils soient d’accord ou non, l’annexion israélienne aura bien lieu. En annexant la vallée du Jourdain, les Israéliens peuvent engendrer une guerre en laissant un peuple palestinien sans espoir.
« L’Europe est silencieuse à un degré qui s’apparente selon moi à de la complicité. Je rappelle que le conflit israélo-palestinien est une affaire internationale, et pas domestique. Je rappelle que l’Europe est un acteur central des relations internationales et doit s’impliquer pour atteindre une solution juste et durable. Aussi longtemps que l’Europe aura peur de la colère des Israéliens, elle ne fera rien. Pourtant, un bon allié et ami d’Israël ne doit pas uniquement soutenir tous azimuts cet État mais également condamner ses abus ».
(source : Le Point du 30/01/2020)