Michel, 7 ans : « Oui, Monsieur »

Ecrit le 1 septembre 2021

Une meule de foin qui s’enflamme. Spontanément ? Si le foin n’est pas bottelé parfaitement sec, les bactéries présentes continuent leur vie, dégageant vapeur d’eau et chaleur. Les températures peu-vent atteindre 80°C : c’est la fermentation. Le risque d’auto-inflammation du fourrage est alors maximum. Mais en ce soir d’une chaude journée de l’été 1927, les paysans peuvent-ils avoir accès à ces informations scientifiques ? Une Castelbriantaise raconte l’histoire de sa famille :

Une meule de foin brûle chez les voisins, qui donc a fait le mauvais coup ? « Elle » sûrement ! Elle, la mère, qui n’était pas à côté pourtant : elle étendait du linge, plus loin. Son fils Michel, 7 ans, lui passait les épingles.

 Oui monsieur

Le lendemain arrive un gendarme, à che-val, il est en uniforme et ne prend la peine ni de descendre de cheval ni de rencontrer les parents. ll interroge seulement Michel. « Alors, tu étais là hier quand le feu a pris ? » - Oui - « Oui monsieur, s’il te plaît. Alors elle était à côté de la meule ? » - Oui, monsieur.

Les parents, surpris, interrogent le gamin : « Qu’est-ce qu’il t’a dit ? » - « Il m’a dit de dire : Oui monsieur » - « Bon, n’en parlons plus, on verra bien, et de toute façon, on n’a rien à se reprocher ».

Le gendarme est revenu quelques jours après, sans enquête plus approfondie. La mère fut mise en prison, mais le tribunal de Nantes prononça un non-lieu. Cependant le mal était fait, la honte sur la famille, obligeant à partir pour un autre territoire.

Michel était un élève brillant à l’école primaire mais il dut cesser d’y aller pour travailler avec son père et nourrir la famille.
Un jour, il avait 15 ans, il revenait des carrières de Barel où il avait cassé des cailloux toute la journée. Le salaire ayant été versé, Michel fut heureux d’aller acheter un pain de six livres, cela faisait huit jours qu’il n‘y en avait pas eu sur la table à la maison. Sur le chemin du retour, il s’effondra de faiblesse dans un fossé. Son père le trouva à quelques mètres de la maison, il eut peine à retenir ses larmes et les filles furent priées de remercier leur frère et surtout de respecter ce pain. Il est vrai que sans pain la nourriture était très frugale et Paulette se souvient de moments où, ayant tellement faim, il leur arrivait de manger des cœurs de choux, tels quels, crus et en cachette derrière une haie.

La santé des parents s’étant dégradée, les filles ont été placées d’office dans un orphelinat à Nantes. Le jeune Michel allait de ferme en ferme, travaillant dur et couchant dans de sordides bicoques en bord de route. La Fontaine aux Veaux, sur la commune de Plessé, fut son logement pendant quelques temps. Ce genre de soue à cochon était bien bonne pour « le biquet » surnom donné à ce jeune homme maigre et trop grand qui ne faisait que passer, quelques jours par semaine.

 Le certif

Etant né le 7 mai 1920 Michel n’avait pas pu passer son « certif » , mot magique pour ceux qui le passaient. C’était un passeport pour être reconnu, sinon instruit, tout au moins non illettré.

Michel était en place chez M. et M^me S. à Saint-Omer. Ces gens avaient des filles qui allaient à l’école. Michel comprenait difficilement comme ces filles allaient pouvoir passer le certif et pas lui.

L’idée, dans ce cerveau toujours en éveil, fit son chemin : après des journées de travail harassant il est toujours possible de trouver le temps pour s’instruire.

Marie étant d’âge à le passer, elle revenait tous les soirs les bras chargés de livres, d‘exercices à faire, de poésie à mémoriser. Qu’à cela ne tienne : si une fille pouvait le faire, Michel aussi. Il décida alors de se prendre en main et se rendit auprès de Monsieur le curé qui pourrait certainement l’aider, lui. Mais la seule réponse qu’il obtint fut brève : « Avec les parents que tu as, tu ne feras jamais rien de bon ». Dépité il retourna à la ferme et Monsieur S. lui conseilla d‘aller voir l’instituteur, Michel reprit alors espoir et le marché fut conclu :
 tu prends les cours des filles S, et tu fais les exercices que je corrigerai. Tu pourras venir me voir si tu en as besoin.
 mais je ne pourrai pas vous payer …
 le seul remerciement que je te demanderai c’est d’avoir ton certificat !

« A la lueur de je ne sais quelle chandelle le jeune Michel passait ses soirées à « potasser » et en cela il faut dire que Monsieur S était très compréhensif ».

Si à cette époque le travail durait 7 jours sur 7, le dimanche après-midi les commis avaient le droit d’aller en famille. Mais pour Michel, dans quelle famille irait-il ?

« Bien sûr de temps en temps il allait voir ses sœurs à l’orphelinat mais le trajet était long, coûteux et fatigant. De plus les bêtes n’allaient pas attendre son retour pour la traite. Il valait mieux rester là en compagnie de ses chers livres qui lui permettraient peut-être de sortir de cette vie morne et sans avenir ».

Le hasard du calendrier fit que, en 1938, le certificat d’études primaires eut lieu le 7 mai. Michel s’y présenta, timide, persuadé que ses jeunes collègues allaient le pren-dre pour le biquet qui n’a pas de complexe face à ces enfants de famille. Vraiment, était-ce raisonnable ? Eh oui, il avait eu raison d’y croire. Il fut reçu.

La seule ombre au tableau fut que dans toutes les familles on arrosait la réussite du candidat alors que pour lui personne ni père ni mère ni sœurs n’étaient là pour savourer ce moment de grande satisfaction personnelle. Quel joyeux anniversaire ! 18 ans !

Posséder un diplôme était déjà une réussite pour un élève « en pointillés » dans les écoles dures de la vie à la campagne. Il allait faire bon usage de cette reconnaissance par la société de son aptitude à lire, écrire et compter. Le « biquet » s’était montré digne du nom de Biguet.

 Une vie de courage

Les humiliations ne manquent pas quand on est pauvre. Michel se souvient de ce jour où Madame S. faisait des galettes de blé noir. « Une galette tomba par terre. Aussitôt la patronne appela le biquet et lui conseilla de la manger car, sinon, elle finirait dans la gamelle du chien et ce serait vraiment dommage. Devenu adulte et père de famille, Michel interdit toujours à ses enfants de manger la part du chien. Toute nourriture tombée ou salie ne devait en aucun cas être avalée par qui que ce fût  ».

Pendant la guerre, il ne fut pas envoyé combattre car il était trop maigrichon. Il a pu aider dans les fermes où les hommes avaient été mobilisés. Jusqu’au soir, il travaillait et allait dormir dans le réduit qu’on voulait bien laisser à sa disposition. Après la guerre il tenta l’entrée aux chemins de fer. D’abord trieur de wagons, il prépara divers concours (grâce au « certif ») et devint « facteur » à la SNCF puis Chef de Station. Mais les temps étaient durs quand même quand il y a sept personnes à nourrir à la maison. Michel, étant toujours de matinée, n’hésitait pas à faire une deuxième journée l’après-midi dans les champs avec son épouse et les enfants. Il suivait toujours la même ligne de conduite : rendre service, gagner honnêtement sa vie et surtout éduquer ses enfants dans le respect de certaines valeurs, surtout le travail. Admirant toujours ceux qui trimaient pour gagner leur vie, il savait accueillir par exemple les ouvriers qui arrivaient pour travailler à la centrale voisine. Les Algériens qui séjournaient dans des bungalows de l’autre côté de la voie savaient qu’à la gare, on pourrait les aider, quel que soit le problème : papiers administratifs, raccommodage... Amélie, l’épouse de Michel, était habituée aux visites, « elle savait recevoir et faire en sorte que les gens soient heureux. Cette façon d’ouvrir la porte à tout le monde a toujours été et il en reste quelque chose chez les enfants : l’égoïsme n’existe pas »

Michel est décédé à l’âge de 60 ans. Pour la famille, les années passent le souvenir reste. Certains des enfants ont le souvenir d’un homme dur et autoritaire qui ne pouvait se débarrasser du sentiment de culpabilité qui lui a « bouffé » la vie. Une de ses phrases favorites était «  je suis heureux de pouvoir revoir les gens qui se sont occupés de moi » et «  Le plus important est d’avoir sa conscience et de pourvoir repasser où on a vécu, la tête haute  ».

Ce livre passionnant raconte une vie de courage et incite aussi à la réflexion : «  Obéir et répéter « Oui Monsieur » n’est pas une solution, on a vu le résultat ».
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Livre : « M » … la Misère, de Bernadette Biguet-Selle – 105 pages – On pourra le trouver au Salon du Livre les 20-21 novembre 2021 à Châteaubriant.