Ecrit le 1er juillet 2009
Celui qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards ni patience
Colette Chatellier, Henri Courtin : double départ en retraite dans le personnel animateur de l’ESAT de Châteaubriant « Les Ateliers de la Mée ».
Colette
Colette Chatellier a, au départ, une formation d’animatrice socio-culturelle, métier qu’elle exercera à peu près deux ans avant d’être embauchée à la Persagotière à Nantes pour s’occuper de soutien scolaire et d’animation des week-ends des enfants. LÃ , des stages lui font réellement trouver sa voie : le travail auprès d’adultes handicapés mentaux. Embauchée en 1976 au CAT de Châteaubriant, elle coordonne les équipes de ménage et d’espaces verts et fait une formation d’éducatrice spécialisée.
A partir de 1978 elle s’attache à développer, chez les adultes du CAT, la prise d’initiative , la prise de responsabilité et, plus globalement, l’autonomie individuelle. Ce travail s’effectue en particulier auprès des travailleurs du CAT qui logent en ville.
En 1980, à propos d’une formation (encore !) Colette découvre la compagnie l’Oiseau-Mouche. Ainsi nait l’atelier-théâtre du CAT.
« J’ai participé à toutes les créations de 1981 à 2008, avec les metteurs en scène Philippe Mirassou et Alexis Chevalier. Le théâtre a eu un apport important, aussi bien pour les acteurs, que pour les autres adultes handicapés, mais aussi pour les éducateurs et toute la vie de l’établissement » dit-elle. Les acteurs ont pu prendre confiance en eux, valorisés par la reconnaissance de leurs prestations. Le théâtre a permis aussi l’intégration du CAT dans la cité. « Mais il fallait être un peu fou pour relever ce défi-là ». Il fallait aussi l’appui des directeurs successifs, Yves Guilard, Bruno de la Fournière, René Henriquet et Isabelle Maumy, et de tout le personnel acceptant la désorganisation des équipes pour cause de répétition, soutenant avec enthousiasme ce type d’activité assez rare ! « Activité exigeante : les acteurs savaient qu’ils devaient produire un spectacle de qualité et non une amusette de patronage » dit-elle.
Caresse, Cursus, Anton, Nage libre, Pollen et Juke Box l’aventure s’est terminée en 2006-2008 avec la pièce Kontakt, merveilleux projet humain et européen.
Mais le théâtre n’était qu’une petite partie de l’activité de Colette qui devait aussi enrichir les relations avec les partenaires sociaux pour trouver une solution pour les adultes handicapés : un milieu de travail ordinaire pour quelques-uns, un foyer de vie en internat ou en accueil de jour pour d’autres, voire un retour en milieu psychiatrique quand il était nécessaire de soigner une dépression ou de stabiliser un comportement.
Colette s’occupait aussi des équipes de nettoyage (emploi du temps, suivi des chantiers, contacts avec les clients), de la coordination du restaurant d’entreprise et de l’accueil d’éducateurs stagiaires.
Henri
Henri Courtin, lui, a d’abord obtenu un baccalauréat technique fabrication mécanique, puis un BTS mécanique-dessin industriel. Moniteur de colonies de vacances et de centres aérés jusqu’Ã 22 ans, il souhaitait travailler avec des personnes handicapées, peut-être parce qu’il était sensibilisé à ce problème du fait de la cécité de son jeune frère. Il fait un an d’éducateur-stagiaire à Bazouges avant d’être admis à l’école d’éducateurs de Tours. « Mais je n’avais pas d’argent, il me fallait bien vivre ! » dit-il. Il est donc dessinateur industriel chez Huard pendant 3 ans et demi, avant de pouvoir entrer au CAT en janvier 1977. LÃ , il prépare le diplôme d’éducateur technique spécialisé : trois ans d’études à raison d’une semaine par mois.
Au CAT il se trouve dans le service « Essais et placements », chargé de trouver des stages ou un emploi. Il fait alors équipe avec Colette. Lui s’occupe plus spécifiquement des placements. Tous les deux, ils interviennent auprès des adultes le soir, dans leur logement : gestion des comptes, ménage et repas, vêtements, hygiène, loisirs. « Dès cette époque nous avons institué des groupes de parole, nous parlons même de vie affective et de contraception. En 1979 nous sommes précurseurs en établissant des relations avec le centre de planification familiale » disent Henri et Colette, d’une seule voix.
« Nous avons compris que l’insertion professionnelle et extra-professionnelle doivent être menées de front. Vers 1980-1981 nous avons créé un groupe de fonctionnement autonome avec 34 h de travail effectif par semaine, des emplois du temps établis sur 15 jours, un travail effectué en autonomie » explique Henri. Dès cette époque l’accent est mis sur l’autonomie et la mobilité. « Les adultes avaient un vélo, ou une mobylette, ils devaient pouvoir se rendre seuls à leur travail. ».
Avec l’éducateur scolaire, les adultes handicapés travaillent le code de la route. Avec deux éducateurs, ils étudient la mécanique. Au cours des déplacements, ils sont sollicités sur les panneaux de signalisation, et sur les aspects pratiques du code de la route et de la conduite. « Quand tout ceci est bien débroussaillé et mémorisé, les adultes préparent l’examen du Code et de la conduite avec une auto-école attentive : M. Hubert de Sion-les-Mines. c’est comme cela que nombre d’entre eux ont pu passer avec succès le permis de conduire ».
Ce groupe de fonctionnement autonome a pu prendre de nombreux chantiers de vitres et de ménage, avant 9 h et après 17 heures, à Châteaubriant et jusqu’Ã Derval. Les adultes s’organisent, le midi ils vont manger au restaurant, comme les autres. Ils en sont toujours très fiers. « A notre grand étonnement, ils se montrent toujours solidaires. Quand l’un manque, les autres s’organisent pour le remplacer. Ils sentent bien notre considération à leur égard » commente Henri Courtin.
Parmi ses autres activités, Henri Courtin coordonnait les équipes d’espaces verts, et accueillait les adultes en stage souhaitant une place au CAT.
Obama et le foot
Pour Colette et Henri, comme pour les autres éducateurs de l’ESAT , la présence sur place est de 8h30 à 17h30 ou 18 h. « Le midi nous mangeons avec les adultes, au restaurant d’entreprise, puis nous passons au foyer. Certains adultes suivent la télévision, écoutent de la musique, ou lisent le journal. Nous sommes là pour écouter ce qu’ils ont à dire, pour discuter, pour élever le débat, pour chercher à aller toujours plus loin en fonction de l’actualité et de leurs centres d’intérêt. Nous pouvons parler d’Europe, comme de football, de l’élection d’Obama ou des affrontements en Iran » disent les deux jeunes retraités.
Colette et Henri, l’un comme l’autre, ont toujours eu le souci d’amener la société à un autre regard envers les personnes handicapées. « J’ai toujours refusé de jouer la différence » dit Henri. « J’ai toujours refusé l’enfermement » dit Colette. « Ici les personnes handicapées se montrent. Restaurant, théâtre, menuiserie, espaces verts, ménage : les adultes sont dans la cité. Ils se savent handicapés, ils en souffrent, ils le disent. Nous les avons toujours considérés comme des gens normaux, capables de travailler, de jouer, de conduire des véhicules et des engins dangereux. Ils nous sont reconnaissants de notre confiance ». Le combat des éducateurs : les rassurer sur leur valeur. « Celui qui vient au monde pour ne rien troubler, ne mérite ni égards ni patience » (citation de René Char).
« Nous ne sommes pas en situation de protection, nous poussons sans cesse à l’autonomie maximum, à la révélation des aptitudes méconnues. Il nous faut lutter parfois contre eux-mêmes, ou contre leurs parents, contre un certain découragement. Nous y répondons en exigeant toujours plus. En travaillant l’écoute, la franchise, le respect des règles sociales, le respect de l’autre et notamment de la femme. Il nous a fallu combattre la vulgarité des uns, stopper la familiarité des autres qui croyaient nécessaire d’aller saluer tous les convives au restaurant d’entreprise. Il nous a fallu les encourager à progresser, sans jamais marquer de condescendance, en sachant que les adultes handicapés sont différents de nous, sur certains points, mais pas inférieurs ».
Un moment privilégié : la réunion d’équipe, une heure ou deux par semaine.pour faire le point collectivement sur les chantiers en cours mais aussi sur les évolutions des uns et des autres. « Et éventuellement sur les événements marquants, le dernier match de foot, les élections de la veille, la fête de la musique du lendemain ».
Réussir sa vie
« Un des acteurs de la pièce Kontakt m’a exprimé sa joie : lui, handicapé, on le reconnaît en ville, on le salue. c’est ma plus belle récompense » dit Colette. « Hier, un adulte de l’ESAT m’a téléphoné pour me souhaiter la Fête des Pères, me considérant comme son père, comme celui qui l’a appelé à la vie. Cela m’a beaucoup touché » dit Henri.
Plus de 33 ans d’action. Les adultes décrivent Colette comme efficace, souriante, fédératrice, organisatrice du travail en commun. Et Henri comme homme de terrain, sensible, généreux, ayant le sens de la justice,.
Colette et Henri sont un peu l’histoire du CAT où ils ont laissé beaucoup d’eux-mêmes. Avec la satisfaction d’avoir donné le maximum. c’est cela, réussir sa vie.