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écrit le 7 novembre 2001
(éditorial d’Ignacio Ramonet, Le Monde Diplomatique, novemb. 2001)
Voir plus bas : quand Washington négociait avec les Talibans
La guerre contre un homme
Alors que les Etats-Unis sont engagés en Afghanistan dans le premier conflit du XXIe siècle, comment ne pas s’interroger sur les buts de cette guerre ? Un premier objectif a été annoncé dès le lendemain des odieux attentats du 11 septembre : démanteler le réseau Al-Qaida et capturer, « mort ou vif », M. Oussama Ben Laden, responsable vraisemblable de crimes - plusieurs milliers de morts - qu’aucune cause ne peut justifier. Ce dessein, facile à formuler, n’est pas simple à accomplir. A priori, la disproportion de forces entre les deux adversaires paraît abyssale. Il s’agit même d’une situation militaire inédite, car c’est la première fois qu’un empire fait la guerre non pas à un Etat, mais à un homme...
Usant de ses écrasants moyens militaires, Washington a jeté dans cette bataille toutes ses forces et devrait l’emporter. Toutefois, les exemples abondent de grandes puissances incapables de venir à bout d’adversaires plus faibles. L’histoire militaire enseigne que, dans un combat asymétrique, celui qui peut le plus ne peut pas forcément le moins. « Une armée telle que l’IRA, rappelle l’historien Eric Hobsbawm, s’est montrée capable de tenir en échec le pouvoir britannique pendant près de trente ans. Certes, l’IRA n’a pas eu le dessus, mais elle n’a pas été vaincue pour autant. »
L’ennemi invisible
Comme la plupart des forces armées, celles des Etats-Unis sont formatées pour combattre d’autres Etats, et pas pour affronter un « ennemi invisible ». Mais, dans le siècle qui commence, les guerres entre Etats sont en passe de devenir anachroniques. L’écrasante victoire dans le conflit du Golfe, en 1991, se révèle trompeuse. « Notre offensive dans le Golfe a été victorieuse, reconnaît le général des marines Anthony Zinni, parce que nous avons eu la chance de trouver le seul méchant au monde assez stupide pour accepter d’affronter les Etats-Unis dans un combat symétrique ». On pourrait en dire autant de M. Slobodan Milosevic, lors de la guerre du Kosovo en 1999.
Comment ça va finir ?
Les conflits de type nouveau sont plus faciles à commencer qu’Ã terminer. Et l’emploi, même massif, de moyens militaires ne permet pas forcément d’atteindre les buts recherchés. Il suffit de se souvenir de l’échec américain en Somalie en 1993.
En attaquant l’Afghanistan, sous le prétexte recevable que ce pays protège M. Ben Laden, le gouvernement de Washington sait donc qu’il entreprend la phase la plus facile du conflit. Et qu’il devrait l’emporter, à peu de frais, dans les prochaines semaines. Mais cette victoire contre l’un des régimes les plus odieux de la planète ne garantira pas l’obtention du but premier de cette guerre : la capture de M. Oussama Ben Laden.
« Terroristes » et respectés
Le second objectif paraît trop ambitieux : en finir avec le « terrorisme international ». Principalement parce que le terme « terrorisme » est imprécis.
Depuis deux siècles, il a été utilisé pour désigner indistinctement tous ceux qui recourent, à tort ou à raison, à la violence pour tenter de changer l’ordre politique. L’expérience montre que, dans certains cas, cette violence était nécessaire. « Tous les moyens sont légitimes pour lutter contre les tyrans », disait déjà , en 1792, Gracchus Babeuf.
De nombreux anciens « terroristes » sont devenus des hommes d’Etat respectés. Par exemple, et pour ne pas citer ceux issus de la Résistance française : Menahem Begin, ancien chef de l’Irgoun, devenu premier ministre d’Israë l ; M. Abdelaziz Bouteflika, ancien fellagha, devenu président de l’Algérie ; ou M. Nelson Mandela, ancien chef de l’ANC, devenu président de l’Afrique du Sud et Prix Nobel de la paix.
La guerre et la propagande actuelles peuvent laisser croire qu’il n’est de terrorisme qu’islamiste. C’est évidemment faux.
Au moment même où se déroule ce conflit, d’autres « terrorismes » sont à l’œuvre, un peu partout, dans le monde non musulman. Celui d’ETA en Espagne, celui des FARC et des paramilitaires en Colombie, celui des Tigres tamouls au Sri Lanka. Hier encore, celui de l’IRA et des unionistes en Irlande du Nord, etc.
Comme principe d’action, le terrorisme a été revendiqué, au gré des circonstances, par presque toutes les familles politiques. Le premier théoricien à proposer, dès 1848, une doctrine du terrorisme est l’Allemand Karl Heinzen dans son essai Der Mord (« Le Meurtre »), dans lequel il estime que tous les moyens sont bons pour hâter l’avènement de... la démocratie ! En tant que démocrate radical, Heinzen écrit : « Si vous devez faire sauter la moitié d’un continent et répandre un bain de sang pour détruire le parti des barbares, n’ayez aucun scrupule de conscience. Celui qui ne sacrifierait pas joyeusement sa vie pour avoir la satisfaction d’exterminer un million de barbares n’est pas un véritable républicain »
Par l’absurde, cet exemple montre que même les meilleures fins ne justifient pas les moyens. Les citoyens ont tout à craindre d’une République - laïque ou religieuse - bâtie sur un bain de sang. Mais comment ne pas redouter aussi que la chasse tous azimuts aux « terroristes » qu’annonce Washington comme but ultime de cette guerre ne provoque de redoutables dérapages et des atteintes à nos principales libertés ?
Menaces
Les Etats-Unis se disent menacés par une attaque terroriste imminente, ils évoquent surtout leurs centrales nucléaires et leurs ponts comme les très célèbres Golden Gate et Bay Bridge à San Francisco (Californie). Cette annonce est gênante : c’est comme si les Américains désignaient d’avance leurs objectifs aux terroristes.
Cette annonce intervient alors que les bombardements se poursuivent et se poursuivront pendant le Ramadan et alors que la contamination par le bacille du charbon s’étend encore aux Etats-Unis (4 morts) et maintenant au Pakistan
Le Pakistan est une pièce essentielle du dispositif mis en place par les Etats-Unis, mais la marge de manœuvre du président Musharraf est limitée, face aux critiques d’une bonne partie de la population pakistanaise, qui est favorable aux talibans ou révoltée par la mort de civils.
Pour l’heure, quatre semaines de frappes intensives n’ont pas réussi à briser la résistance des talibans, et les interrogations sur l’efficacité de la stratégie choisie se multiplient, en dépit des déclarations des responsables américains et britanniques vantant les premiers « succès » de l’opération.
Le ministre français des Affaires étrangères, Hubert védrine, a estimé que la persistance et l’aggravation du conflit au Moyen-Orient mettaient directement en péril le maintien de la coalition anti-terroriste alors que les frappes se prolongeaient et qu’un « après-talibans » tardait à se dessiner.
Le risque d’une bombe « sale »
L’Agence Internationale de l’Energie Atomique a consacré vendredi 2 novembre 2001 une session d’experts aux menaces terroristes qui pèsent sur le nucléaire, y compris le « scénario d’apocalypse » de l’explosion d’une bombe atomique.
A l’ouverture de la session, le directeur général de l’AIEA, M. Mohamed ElBaradei a qualifié « d’improbable » l’hypothèse que des terroristes mettent la main sur une bombe atomique. Mais « rien ne peut être exclu », a-t-il dit.
Il a cependant exposé d’autres dangers, comme celui d’une « bombe radiologique ». Faite d’explosifs conventionnels et de matériaux radioactifs utilisés dans les hôpitaux et l’industrie, cette « bombe sale » pourrait irradier dans un rayon limité, mais assez pour semer la panique dans une ville et exiger son évacuation.
Le scénario d’un avion de ligne lancé sur une centrale nucléaire, plausible depuis les attaques du 11 septembre contre New York et Washington, est un autre des risques étudiés par les experts réunis au siège de l’AIEA à Vienne.
« Les risques du terrorisme nucléaire ont été propulsés au premier plan », a déclaré le directeur général. L’AIEA, qui surveille les centrales nucléaires dans le monde entier, a prévenu les gouvernements qu’ils devraient payer pour renforcer la sécurité, demandant une augmentation de son budget de 15%, soit 50 millions de dollars.
« Nous devons prendre des mesures préventives. Nous n’essayons pas de provoquer la panique... mais nous devons être prêts », a poursuivi M. ElBaradei.
voir : guerre nucléaire, guerre chimique
voir : la guerre dans nos assiettes
Humanitaire
Kofi Annan, secrtaire général de l’ONU a appelé, le 1er novembre 2001, à une fin « aussi rapide que possible » des bombardements américains afin que la communauté internationale puisse assumer ses obligations à l’approche de l’hiver. Il pense aussi « qu’il n’y a pas de solution militaire au problème afghan et que tout règlement nécessite une large base ethnique »
Les organisations humanitaires, qui déplorent les entraves à l’acheminement des secours, révèlent n’avoir réussi à faire entrer que 9200 tonnes de nourriture, de quoi nourrir 600 000 personnes pendant un mois alors qu’on estime à plus de 5 millions le nombre d’Afghans nécessitant une aide.
Humanitaire : une douzaine de firmes pharmaceutiques vont fournir gratuitement, ou à prix coûtant, des vaccins contre l’antrax aux Etats-Unis où déjà quatre personnes sont mortes de cette maladie. Ils n’avaient pas eu la même générosité pour les milliers de morts du Sida des pays africains ! Mais il faut dire que les USA ont des moyens de pression autrement plus importants . De plus, les firmes pharmaceutiques ont des avantages à obtenir en échange de cette « solidarité » : pour les unes, obtenir une plus grande autorisation de fabrication des médicaments génériques, pour les autres obtenir la limitation de fabrication de ces mêmes médicaments génériques par leurs concurrents. L’Afrique, on vous dit, n’a pas les mêmes moyens de pression que les USA.
Odeurs de pétrole
Ecrit le 28 novembre 2001 :
Extrait d’un article de Sylvain Cypel (pour Le Monde)
Quand Washington négociait avec les talibans
Avant le 11 septembre, l’administration Bush a bridé l’activité antiterroriste du FBI parce qu’elle menait d’intenses négociations avec les talibans, s’engageant à les épauler s’ils leur livraient Oussama Ben Laden. C’est la thèse de « La vérité interdite », un livre qui vient de paraître.
Ce livre est appelé à faire un certain bruit.
Les auteurs, Jean-Charles Brisard et Guillaume Dasquié disent que, jusqu’au 11 septembre 2001, le FBI américain a été empêché d’enquêter, en Arabie saoudite et au yémen, sur les commanditaires d’attentats anti-américains, parce que la diplomatie washingtonienne voulait préserver ses relations avec les monarchies du Golfe. Ils présentent, sur ce point, un témoignage « scoop », celui de John O’Neill, numéro deux du FBI, qui en claqua la porte en juillet 2001, précisément parce qu’il se disait bridé dans son action.
L’attente des compagnies pétrolières
Ils affirment, ensuite, que la diplomatie américaine était engagée, depuis des années, dans de multiples tractations avec les talibans et leurs voisins afin, essentiellement, de répondre aux attentes des compagnies pétrolières américaines.
Les négociations ont été reprises, avec fougue, par l’administration Bush, où le lobby pétrolier est aux manettes.
Depuis 1998, pétroliers et diplomates américains étaient convaincus qu’une victoire totale des talibans - qu’ils avaient souhaitée pour « stabiliser » l’Afghanistan - n’était plus envisageable. Il fallait sortir d’un « grand jeu » où les intérêts opposés, américano-pakistanais d’un côté, russo-irano-indiens de l’autre, empêchaient la victoire d’un camp sur l’autre en Afghanistan. Strobbe Talbott, le sous-secrétaire d’Etat américain, l’avait dit dès juillet 1997 : « Laissons Rudyard Kipling sur les étagères de l’histoire. Le grand jeu décrit dans Kim fut surtout un jeu à somme nulle. »
Pour que le jeu ne soit pas « Ã somme nulle », il fallait, pour Washington, qu’Américains, Russes, Pakistanais et même Iraniens favorisent un accord entre les fractions afghanes, pour pacifier le pays et ouvrir l’Asie centrale à la manne pétrolière.
Après les attentats attribués à Ben Laden contre les ambassades américaines au Kenya et en Tanzanie (août 1998), les négociations américano-talibanes ont porté sur l’extradition d’Oussama Ben Laden. En contrepartie, l’administration Clinton faisait miroiter aux talibans une reconnaissance de leur régime.
L’administration Bush, de février à août 2001, va tenter d’aboutir. Des talibans sont invités à Washington dès mars. Le dernier contact connu est celui de Christina Rocca, haut-responsable du département d’Etat, avec l’ambassadeur taliban à Islamabad, le 2 août 2001.
Les meilleures preuves sont parfois les moins secrètes : ainsi du rapport de Kofi Annan, le 14 août 2001, quatre semaines avant les attentats. Beaucoup de l’intense effort diplomatique, y compris au plus haut niveau, d’avril à juillet, pour imposer une alternative au régime unique des talibans, y est détaillé.
Etait-il accompagné d’une offre de soutien financier et de menaces ? Interrogé dans « Pièces à conviction » (FR3, 18 octobre 2001), l’ex-ministre des affaires étrangères pakistanais Naif Naïk, représentant Islamabad à la session du « Processus de Berlin » qui a réuni Américains, Russes, Iraniens et Pakistanais du 17 au 20 juillet, l’affirme : « Une fois le gouvernement élargi constitué, il y aurait eu une aide internationale. (...) Ensuite le pipe-line aurait pu arriver. (...) »
L’ambassadeur Simons a indiqué qu’au cas où les talibans ne se conduiraient pas comme il faut, et où le Pakistan échouerait à les faire se conduire comme il faut, les Américains pourraient user d’une autre option qualifiée de « opération militaire » contre l’Afghanistan. (...)
L’attentat du 11 septembre 2001 est donc bien tombé pour permettre cette opération militaire en Afghanistan avec le soutien du monde entier.
Un tapis de bombes
Les auteurs du livre affirment : « Nous avons posé la question suivante : »Un Américain aurait dit en juillet aux Pakistanais que si les talibans acceptaient de livrer Ben Laden et de signer la paix avec le Front uni, ils auraient un « tapis d’or », mais que s’ils refusaient, ils s’exposaient à un « tapis de bombes ». Est-ce exact ?« réponse de Tom Simons : »Nous avons dit en juillet que nous enquêtions sur l’attentat contre le bâtiment USS-Cole le 12 octobre 2000 au yémen, et que s’il y avait des preuves solides de l’implication de Ben Laden, il fallait s’attendre à une réponse militaire."
Que conclure ? Un : l’activité diplomatique s’est effectivement accélérée avec l’équipe Bush. On peut très plausiblement expliquer ce regain d’intérêt pour l’Afghanistan à l’entourage pétrolier du nouveau président. Deux : la réapparition du roi d’Afghanistan date de plusieurs mois avant les attentats. Trois : des talibans, au moins une fois, ont laissé croire qu’ils pourraient extrader Ben Laden.
Restent les inconnues. Quelle est la relation réelle entre le mollah Omar et Oussama Ben Laden ? Y a-t-il eu des dissensions entre les talibans, ou répartition des rôles entre eux ? Dans quel état d’esprit discutaient-ils, eux qui parfois parlaient d’extradition et à d’autres moments se raidissaient ?
Reste enfin une incertitude : y a-t-il eu de réelles menaces d’intervention américaine lourde contre les talibans avant les attentats ?
Un fait est acquis : Al-Qaida a préparé les attentats du 11 septembre bien avant que George Bush n’entre en fonctions.
Un scénario possible pourrait être celui-ci : depuis 1999, les talibans étaient soumis à de fortes pressions politiques. Même s’ils étaient divisés - ce qui n’est pas prouvé -, Ben Laden n’a pas eu de difficultés à convaincre le mollah Omar que, s’il le « lâchait », il serait ensuite broyé lui aussi. L’été 2001, les talibans ont, à tort ou à raison, conclu qu’une intervention militaire lourde se préparait contre eux. LÃ encore, Ben Laden n’a eu aucun mal à les persuader que, dans ces conditions, mieux valait tirer les premiers. Ou bien l’a-t-il fait sans les informer ? Ses agents dormants aux Etats-Unis n’attendaient que le feu vert. Telle est la conclusion implicite que l’on tire de « La vérité interdite »
Cela reste une spéculation, fondée sur des indices réels. Elle présente l’avantage de fournir une cohérence politique à l’engrenage qui, le 11 septembre, a abouti à l’inimaginable.
Extrait d’un article de Sylvain Cypel
(pour Le Monde)
Livre « La vérité Interdite » de Jean-Charles Brisard
et Guillaume Dasquié, Editions Denoë l, 20 €, 131,19 F.
Suicidez-le !
On peut légitimement s’interroger sur les dessous de la guerre en Afghanistan, se demander si, une nouvelle fois, les opinions publiques ne sont pas manipulées au nom d’intérêts, ici pétroliers, jugés « supérieurs » à la vie des gens. En tout cas une chose est quasiment sûre désormais : Ben Laden ne sortira pas vivant de cette histoire, il ne sera pas jugé par un tribunal car il aurait trop de révélations, gênantes, à faire. Saura-t-on un jour l’exacte histoire des attentats du 11 septembre 2001 ? La diplomatie, la raison d’Etat ont parfois des odeurs de pétrole qui peuvent troubler les esprits.
Le grand intérêt de la thèse que défendent les auteurs du livre c’est de démontrer que dès son accession au pouvoir, l’équipe Bush a relancé la négociation avec les talibans pour « assainir » la crise afghane, quitte à brider les ambitions des responsables de la lutte antiterroriste. L’échec de cette négociation a été effectif avec les attentats du 11 septembre.
L’ombre de l’or noir plane sur l’Afghanistan
Le transit du pétrole et du gaz de l’Asie centrale par l’Afghanistan de l’après-talibans constitue l’un des enjeux d’une sourde lutte de pouvoir que se livrent les grands voisins de Kaboul pour l’hégémonie régionale, sous l’influence des Etats-Unis et de la Russie.
Pour contourner l’Iran, pays avec lequel Washington n’est pas censé commercer au regard de sa législation, l’Afghanistan est la principale voie de passage du gaz et de l’or noir de la région de la Caspienne (Turkménistan, Kazakhstan, Ouzbékistan) vers l’Océan indien et donc le marché mondial.
Un projet de gazoduc afghan reliant le Turkménistan au Pakistan a été à l’étude jusqu’Ã fin 1998, avant d’être mis en sommeil par le retrait de la compagnie américaine Unocal qui en était à l’origine.
Pour le journaliste pakistanais Ahmed Rashid, auteur l’an dernier de « L’ombre des talibans », la diplomatie américaine a soutenu la prise de pouvoir de la milice islamiste en 1996 pour favoriser les groupes pétroliers américains.
Influencée par les Etats-Unis, alliés du Pakistan mais hostiles à l’Iran, l’Asie centrale serait le champ d’un « nouveau grand jeu » aux relents d’or noir, succédant au « grand jeu » mené par le Royaume-Uni et la Russie dans la région au XIXe siècle. Cette lutte oppose un pôle russo-irano-indien au camp américano-pakistanais, avec, en arrière plan, l’Arabie Saoudite et la Chine.
Cette lutte d’influence est telle que Jacques Attali, ancien conseiller du président français François Mitterrand, prévoit « la nécessité d’un Yalta entre les puissances de la région sur le plan énergétique », c’est-Ã -dire une répartition des zones de transit et des quantités produites.
« Nos relations avec l’Iran (...) sont excellentes et se sont renforcées, à l’inverse de celles avec le Pakistan, ami des talibans, qui cherche à accroître son influence en Asie centrale et s’intéresse au gaz du Turkménistan », a déclaré la semaine dernière l’ambassadeur de l’Alliance du Nord à téhéran, Mohammad Khairkah, dont le mouvement vient de reprendre Kaboul.
« Les Iraniens ne sont pas enclins à stabiliser l’Afghanistan sous quelque régime que ce soit, car cela permettrait d’y construire un oléoduc », a jugé de son côté l’analyste politique pakistanais M.A. Niazi.
Les hommes là -dedans sont peu de chose.
Laissez-nous faire joujou
« Pas d’ingérence dans nos affaires » dixit Rabbani l’officiel président du régime afghan. « Ah, tant qu’il s’agit de nous remettre en selle, de chasser ceux qui nous ont chassés, on veut bien de vous et de vos bombes. Mais s’il s’agit de nous empêcher de reprendre nos joutes ancestrales, tout ce qui a fait que nous sommes devenus les Libanais du coin, niet ! Go home ! »
En clair, les Américains, pour un bénéfice encore hypothétique (la capture du furet), ont remis la pagaille là où les Talibans (c’est bien leur seul bonus, et de quelle façon paranoïaque et cruelle !) avaient remis un semblant d’ordre.
Bien joué, nos stratèges en Pentagone !
En attendant, l’Alliance du Nord, si joliment vantée par quelques romantiques aussi sincères que naïfs, disperse une manifestation de 200 femmes déburquasées, pour motif de sécurité. Celle de qui ? Des sacs de patates en bleu, ou de ces pauvres mecs apeurés à l’idée de soutenir le regard d’une femme ?
Drogue }
Dans Politis du 22 novembre 2001, Alain Labrousse explique que la culture du pavot est très ancienne dans cette région du monde où, à partir du XVe siècle l’opium est devenu une ressource étatique dont ont hérité les Anglais. En 1930 l’Afghanistan produisait moins de 100 tonnes d’opium. Vers la fin des années 60, la production avait doublé pour faire face à la demande des consommateurs.
Lors de la guerre contre les soviétiques, la Russie bombardait les zones rurales pour affamer les moudjahidines. C’est alors que les paysans, quitte à prendre des risques, ont semé ce qui rapportait gros : le pavot. En 1988-89, à la fin de la guerre avec les Soviétiques la production était estimée à 1000 tonnes et les moudjahidines ont poussé les paysans à continuer cette culture pour financer leurs achats d’armes. En 1994 la production d’opium était de 3200 tonnes, permettant de fabriquer 320 tonnes d’héroïne. Cela représentait 60 à 70 % du marché mondial, le reste venant essentiellement de la Birmanie.
« Pour un kilo d’opium, le paysan afghan touche 50 à 100 dollars. Le kilo d’héroïne se vend 4000 à 10 000 dollars au Pakistan et jusqu’Ã 100 000 dollars en Europe. Ce sont les services secrets pakistanais qui contrôlent l’essentiel du trafic. Ils ont par exemple aidé à la victoire des talibans en Afghanistan ».
De 4600 à 200
En 1999 l’Afghanistan a produit 4600 tonnes d’opium. En juillet 2000, le mollah Omar, chef suprême des talibans a décrété l’interdiction totale de cette culture, on ne sait pas trop pourquoi. Pour des raisons mystiques ? Ou parce que les trafiquants, disposant de stocks importants, souhaitaient faire une pause dans cette culture ? En tout cas, en 2001 la production d’opium sera, en tout, inférieure à 200 tonnes. Dans les deux principales régions de production, la surface cultivée en pavot est passée de 55 000 ha à 200 ha.
Inversement, dans la zone contrôlée par l’Alliance du Nord, la surface cultivée en pavot est passée de 2000 à 6000 ha.
« Entre 1995 et 2000, les trafics de drogue, ou de pierres précieuses, ont joué un rôle important dans 30 conflits sur 35 recensés » dit Alain Labrousse. Ces trafics permettent aux combattants de toutes tendances de se payer des armes très sophistiquées et d’entretenir tous les réseaux d’argent « sale ». La paix n’est pas pour demain.
écrit le 4 décembre 2001 :
Massacre à la forteresse de Qala-e-Jangi
Des chevaux éventrés gisent dans la poussière, mêlés aux cadavres déchiquetés de combattants étrangers dans la vaste cour de la forteresse de Qalae-Jangi en Afghanistan, le 28 novembre 2001.
Pour mater la révolte de 600 prisonniers talibans, concentrés dans ce fort du XIXe siècle, l’aviation américaine a effectué plus de 30 sorties. Et l’Alliance du Nord les a tirés comme des cartons à une baraque de tir dans une fête foraine.
La forteresse est un champ de bataille, totalement chaotique. Des véhicules, jeeps et camions aux squelettes métalliques calcinés par les bombes américaines. De grands sapins, fauchés par les obus. Des maisons en terre éventrées, trouées de roquettes. Le sol est jonché de fragments de bombe, d’obus, de roquettes. Et, partout, ces cadavres éparpillés, aux têtes éclatées, aux membres arrachés. Un char de l’Alliance du Nord écrase de ses chenilles plusieurs corps.
Il est impossible d’accéder à certaines parties derrière le rempart Sud en raison d’un amoncellement de troncs fauchés, de ferrailles tordues, de maisons écroulées. C’est ici qu’ont résisté jusqu’au bout les derniers volontaires étrangers pro-talibans. Dans cet immense décor d’apocalypse, les combattants de l’Alliance du Nord vont et viennent, ouvrent des caisses de munitions, tirent avec un char un camion embourbé.
Le général Abdul Rashid Dostam, est venu constater la reprise de la forteresse. Blouson noir sur robe marron, grande stature, le général Dostam, dit que ses hommes ont proposé aux Pakistanais, Arabes, Tchétchènes et Ouzbeks, qui constituaient la « légion étrangère » des talibans, de se rendre, mais qu’ils ont refusé. « Alors, nous avons dû les tuer », dit-il en lissant sa moustache.
Le CICR (comité international de la Croix Rouge ) a obtenu l’accord du général Dostam pour évacuer les cadavres des combattants étrangers. « C’est une mesure de salubrité publique, mais aussi nous voulons essayer de les identifier pour pouvoir informer leurs familles », explique Olivier Martin responsable du CICR.
Le général Dostam a arpenté la vaste cour, puis il est monté sur le rempart Est, troué d’un énorme cratère produit par une bombe, où se trouve ce qui devait être un appartement confortable constitué de chambres et de salons. Il s’est assis dans un fauteuil, au milieu des débris de verre et de tapis en morceaux. « Je vais reconstruire la forteresse », dit-il.
Quelques tirs, quelques explosions secouent encore le silence du champ de bataille. Des chevaux rescapés hennissent. Les soldats ne semblent pas particulièrement soulagés par la fin des combats, comme s’il ne s’agissait que d’une étape de plus dans l’actualité guerrière de l’Afghanistan. L’un d’eux lave avec précaution dans un ruisseau fangeux une paire de chaussures noires de tennis qu’il vient d’enlever à un cadavre. Puis il les enfile avec plaisir.
Un soldat ramasse tranquillement des fusils dans un champ de cadavres. Malheur aux dépouilles des vaincus. Même dans la mort les vaincus ne sont pas des hommes. On a honte d’être un Homme.
De nombreuses questions restent sans réponse : pourquoi n’avoir pas sérieusement désarmé les prisonniers à leur arrivée ? Pourquoi les avoir rassemblés dans un endroit où se trouvaient entreposées des armes ? Pourquoi les avoir laissés tous ensemble, alors qu’on les disait très dangereux, sans un nombre de gardiens suffisant pour les surveiller ? Pourquoi les Occidentaux, présents sur les lieux, les ont-ils laissés sous la surveillance du général Dostam dont on connaît le lourd passé en matière de mépris des droits de l’homme ?
Note du 11 septembre 2006 :
Et si ce n’était qu’une horrible machination ?
Il y a des éléments troublants
Une autre vidéo pose des questions
Si vous préfèrez la version originale en anglais, c’est ici :
http://video.google.fr/videoplay?docid=1336167662031629480&q=Painful+Deception