(écrit le 13 mars 2002)
Une délégation de Juifs et de Maghrébins de France est allée en voyage en Palestine et en Israë l. Récit à deux voix. (extrait d’un article de Politis, du 28 février 2002).
Christine Birnbaum et Youssef Haji
Elle est membre de l’Union juive française pour la Paix (UJFP). A Paris, elle enseigne la communication.
Lui est un militant associatif, membre de l’Association des travailleurs maghrébins en France (ATMF).
Christine Birnbaum et Youssef Haji rentrent d’un voyage bouleversant en Palestine et en Israë l où ils ont séjourné du 17 au 24 février 2002 en compagnie de dix-sept autres citoyens juifs ou maghrébins de France. L’émotion et l’indignation se lisent encore sur leurs visages, mais ils ne regrettent pas leur voyage, en dépit des sacrifices (« Nous venons de petites associations et nous nous sommes cotisés pour payer le voyage », précise d’emblée Youssef). Il fallait voir par soi-même, porter témoignage, pouvoir répliquer : « J’entendais des énormités sur la question israélo-palestinienne, souligne Christine, je n’en pouvais plus. C’est une thérapie, ce voyage ».
A genoux !
C’est évidemment l’occupation militaire israélienne qu’ils veulent en premier lieu dénoncer. Mais pas seulement. A I’ATMF, note Youssef, " nous ne pouvions pas porter en tant qu’immigrés la lourdeur du silence arabe, et je pèse mes mots. Ce silence glacial du monde arabe est difficile. Il était important aussi d’aller en Palestine avec l’UJFP, avec qui nous avons en commun des années de lutte contre le racisme et l’antisémitisme en France.
Le voyage se faisait à partir de principes que nous partageons. Autour du droit et de la légalité internationale. "
Alors, ils se souviennent.
Ils se souviennent comment « dès l’arrivée à Jérusalem, sur la route de l’aéroport, on a senti l’occupation ». Ils se rappellent aussi ce moment d’émotion quand, le lendemain, à Ramallah, ils ont été reçus par Yasser Arafat. « Nous n’avons pas l’habitude d’être reçus par les présidents, précise Youssef, mais c’est à un prisonnier que l’on a rendu visite. » « Nous avons voulu lui transmettre deux messages : le refus du silence arabe, pour les Maghrébins de la mission, et pour les Juifs, la volonté de ne pas être confondus avec la machine de guerre israélienne. »
« Nous avions l’impression d’être les seuls à aller le voir, s’étonne Christine. Il y a un boycott. Voilà un élu de son peuple, et on fait comme si ça n’avait aucune importance. »
Images encore d’Abou-Hanine, au nord de Gaza, où la délégation a rencontré des exploitants agricoles palestiniens. « Ils nous ont reçus avec chaleur, presque avec tendresse », s’émeut Christine. « Ils nous ont expliqué que leurs terres, qui étaient juste derrière, leur ont été confisquées en 1948 et que, maintenant, on grignotait le peu qui leur restait », ajoute Youssef.
A Abou Adjine, la route est obstruée par l’armée israélienne Pour la rejoindre, fi faut couper par la plage. Les Palestiniens sont encerclés. « Les soldats occupent un parc de jeux d’enfants. Nous étions effondrés de voir ça. » « Une nuit, raconte Youssef, nous avons été bloqués à quatre kilomètres de Khan-Younès (au sud de la bande de Gaza), sur le check-point d’El Matahine. Les gens étaient sur les routes, à attendre l’ouverture. On voyait des fusées dans la nuit. Les bombardements n’arrêtaient pas. » A Khan-Younès, la délégation est arrivée à la veille de la fête de l’Aïd. A Touffah, où il y a eu plusieurs morts pendant l’Intifada, ils découvrent « un site d’apocalypse ».
Humiliés
Et ils assistent là à une scène à jamais inscrite dans leurs mémoires. « Je ne connais pas l’hébreu, dit Christine. Le premier mot que j’ai appris, c’est » al haber-kaïm« ; » à genoux ! « . L’étoile de David flottait dans un paysage de ruines. Des gens se présentaient pour aller vers leurs villages. Ils étaient arrêtés par une barrière et des blockhaus dans lesquels il y avait des soldats que l’on ne voyait pas. Les ordres venaient comme des voix descendant du ciel : »Arrêtez-vous ! Les femmes d’un côté et les hommes de l’autre !« Ils avançaient par groupes de cinq, puis on les obligeait à se mettre à genoux jusqu’à ce qu’on les juge suffisamment humiliés. »
La scène bouleverse et indigne les membres de la délégation au point qu’Ã Jérusalem, ils couchent sur papier ce qu’ils ont vu, et « à la Brecht », comme le dit Christine, ils miment la scène devant les journalistes de l’AFP. Malgré leur émotion, et cette ardente volonté de témoigner, ils sont incrédules.
A Gaza, Jabar Ouchah, un militant des droits de l’homme qui les accompagne, les a prévenus : « Vous allez retourner à Tel-Aviv et les Israéliens vous diront que vous n’avez pas vu la réalité. Si vous dites que vous étiez en Cisjordanie, ils vous diront que c’est de Gaza que partent tous les attentats. Si vous y êtes allés, ils vous diront que ce n’est pas de la ville qu’ils partent mais du camp de Khan Younès. Et si vous avez visité ce camp, ils vous diront »mais c’est à Raffah que s’élaborent les stratégies d’extermination du peuple juif « A Raffah, ils sont allés en effet. C’était deux heures après un bombardement : » Ce ne sont pas des gens qu’on voyait mais des spectres ", se souvient Youssef
Alors comment porter témoignage de cet enfer ? Et opposer la réalité à la désinformation ? « Ils nous savaient juifs, insiste Christine, et pourtant, jamais nous n’avons éprouvé la moindre haine. »
AREZKi METREF
Dans Politis du 28 février 2002
(écrit le 13 mars 2002)
Colonisateur et colonisé
" Il n’y a pas, pour nous, de spirale de la violence, et de représailles de Tsahal. Quelle que soit l’horreur inadmissible des attentats-suicides, on ne peut mettre sur le même plan le colonisateur et le colonisé, une armée surpuissante qui peut tout se permettre et le geste désespéré d’individus ou de groupuscules fanatisés. (...) Les actes barbares commis par ceux qui résistent ne peuvent jamais être confondus avec la violence d’Etat et les crimes de la soldatesque qui invoque les valeurs de la démocratie
Denis Sieffert, dans Politis du 7 mars 2002
Le 8 avril 1948 à Deïr Yassin
Un rapport du Comité International de la Croix-Rouge (CICR) raconte :
« En avril 1948, le 8 exactement, eut lieu le massacre de Deïr Yassin, petit village à 10 km de Jérusalem où environ 300 personnes arabes, toutes sans armes, furent massacrées, sur un total de 400 habitants. L’irgoun [ndlr : organisation clandestine nationaliste juive] a accompli cet acte de terrorisme inqualifiable auquel nous avons assisté. Vieillards, femmes, petits enfants, nouveau-nés, tout fut sauvagement tué, à la grenade, au couteau, par une troupe parfaitement dirigée par ses chefs et sans aucun motif militaire ni provocation ... Cette action a eu d’immenses répercussions. Toute la presse aussi bien juive qu’arabe, a hautement condamné ce procédé, mais en insistant sur le fait qu’il pouvait se reproduire et que chacun devait se méfier. La terreur s’est aussitôt installée chez les Arabes, déclenchant des mouvements de panique parfaitement disproportionnés avec le danger réel. Grâce à Deïr Yassin, 700 000 Arabes ont quitté leur domicile pour devenir des réfugiés, abandonnant tout aux Juifs. C’est ainsi que toute la population de Jaffa s’est enfuie les 28 et 29 avril alors que les Juifs de Tel-Aviv n’avaient déclenché qu’une petite attaque dans les faubourgs »
témoignage cité dans le livre « Bethléem » de Pierre péan et Richard Labérivière, qui retrace l’histoire de vingt siècles de disputes autour du lieu où Jésus vit le jour, et qui explique à quel point la paix, dans cette minuscule enclave palestinienne cernée de colonies juives, et abritant le berceau natal du christianisme, la paix n’est pas encore à l’horizon (Ed Fayard, 130 F). Un livre qui permet de comprendre la situation de colonisation que vit le peuple Palestinien. Par exemple :
« Quelques jours à Bethléem suffisent pour toucher du doigt la plupart des problèmes qui se posent en Palestine. Si les occupants sont partis en décembre 1995, ils restent néanmoins omniprésents. Tous les flux sont contrôlés par eux. Les hommes d’abord, qui ne peuvent aller librement à Jérusalem : même le maire est obligé de demander un permis spécial pour se rendre à une réunion et il a peu de chances de l’obtenir à temps. Alors que les taxis israéliens de Jérusalem peuvent venir à Bethléem, ceux de Bethléem ne peuvent aller à Jérusalem. Dès qu’on sort de Bethléem des blocs de bétons peints en jaune et brun montrent qu’on passe en zone » C " contrôlée par les israéliens. La monnaie est israélienne, la banque installée sur la place de la Nativité n’a même pas changé ses formulaires, toujours rédigés en hébreu. Le téléphone comme l’électricité sont contrôlés par les Israéliens.
Plus surprenant encore est le problème de l’eau. A Bethléem, comme sur l’ensemble du territoire cisjordanien, l’eau est contrôlée par l’armée israélienne (...) qui décide du volume d’eau qui sera acheminé vers les réseaux palestiniens et de celui qui le sera vers les colonies juives. (...) "
(extrait du livre de Pierre péan, page 247)
(écrit le 19 mars 2002)
« Arrêtez de tirer, commencez à parler ! »
Des corps ensanglantés gisent à même le sol dans un décor dévasté de verre brisé, de tables et de chaises renversées. Des sauveteurs se penchent sur les victimes, morts ou blessés, fauchées, samedi 9 mars 2002, par l’attentat-suicide au Moment Café, à Jérusalem-Ouest.
Publiée pleine page dans des journaux israéliens et palestiniens, lundi 11, la photo est barrée d’un bandeau rouge qui interpelle Ariel Sharon : « Que faut-il qu’il arrive encore pour vous décider à négocier ? ». L’ensemble est souligné d’un slogan : « Arrêtez de tirer, commencez à parler ! », signature du « Cercle des parents », qui rassemble 200 familles israéliennes ayant perdu un enfant dans un attentat ou à l’armée.
La semaine dernière, la photo d’une voiture palestinienne déchiquetée par un missile israélien côtoyait celle d’un ambulancier israélien hébété, tenant dans ses bras un bébé touché par l’explosion d’un kamikaze palestinien.
L’association apostrophait alors MM. Sharon et Arafat : « Qu’attendez-vous ? »
Créé en 1994 par le père d’Arik Frankenthal, un adolescent kidnappé puis tué par des militants du Hamas, le Cercle milite pour « la réconciliation et la paix ». Les parents israéliens ont tissé des liens avec 140 familles palestiniennes également endeuillées par l’Intifada. « Mais, depuis un an, souligne Rami, dont la fille a été tuée dans un attentat à Jérusalem en 1997, il nous est très difficile de nous voir ; nous n’avons plus que des contacts téléphoniques ».
La prochaine rencontre est prévue pour le 22 mars, devant le siège de l’ONu à New York. Une vingtaine de familles, venues d’Israë l et des territoires palestiniens, devraient installer 1500 cercueils, nombre des victimes de l’actuel conflit, recouverts des drapeaux des deux parties.
Ces familles se voient parfois reprocher leur mansuétude à l’égard des « agres-seurs ». « A ceux-là , nous tentons d’expliquer que si nous avons perdu un enfant, nous n’en avons pas pour autant perdu l’esprit », confie Rami. Leur combat est aussi politique. « La sécurité d’Israë l plutôt que la possession de la terre » : tel est leur credo. L’association défend l’idée d’un retrait partiel des territoires occupés, accompagné d’un échange de terres contre les colonies qui seraient intégrées à Israë l.
Aux sceptiques, le Cercle propose la lecture d’un guide consultable sur son site Internet (theparentscircle.com). En 60 questions, il balaie les clichés et brise les tabous les plus répandus sur le conflit. « Pourquoi les Palestiniens ont-ils rejeté Taba ? Pourquoi ne s’installent-ils pas dans les pays arabes ? Y a-t-il une différence entre une attaque contre des colons et un attentat contre des Israéliens à ? Arafat contrôle-t-il les territoires ? » Toutes les réponses visent un horizon : la paix.
Stéphanie Le Bars
Journal le Monde du 14 mars 2002