Voici un texte lumineux (extraits) de Christophe HAMELIN et Renaud TARLET, paru dans la revue semestrielle « Drôle d’époque » N°17. Si vous êtes tout juste chômeur, lisez-le et revenez-y dans quelques temps... Si vous êtes chômeur de longue durée, vous comprendrez tout de suite. Si vous êtes agent ANPE, peut-être vous y retrouverez-vous... A vos neurones !
Libération, 5 janvier 2007, Le projet de budget 2007 de la SNCF prévoit un bénéfice courant d’environ 350 millions d’euros, et 2 490 réductions d’emplois (faisant suite aux 2 750 de 2006)
Challenger, 26 janvier 2007 : aux USA, 17 809 emplois ont été éliminés dans la presse en 2006. On s’attend à 2000 autres au premier semestre de 2007.
Capital, 1er février 2007, le groupe pharmaceutique AstraZeneca annonce une hausse de 28% de son bénéfice annuel, conforme aux attentes du marché, mais prévoit de supprimer environ 3.000 emplois.
Ouest-France du 7 février : 3000 à 4000 emplois vont disparaître chaque année dans l’industrie automobile, durant les quatre prochaines années. D’après une étude de l’observatoire des métiers de la métallurgie.
Ouest-France du 10 février : Kodak a annoncé qu’il allait supprimer 3000 emplois de plus que prévu, portant le nombre de suppressions à 30 000.
Ouest-France du 10 février : Alcatel supprime 12 500 emplois dans le monde.
Capital, 14 février 2007, Chrysler, automobile, annonce son intention de supprimer 13.000 emplois.
Volkswagen, Airbus, CocaCola, Nortel, Japan AirLines, Motorola, Sara Lee, Pfizer ... c’est par milliers que tombent les mauvaises nouvelles.
Les chômeurs se ramassent à la pelle, Les colères et les regrets aussi ...
Il est difficile, aux salariés de base, d’imaginer que ces licenciements sont voulus. Les petits patrons qui peinent à maintenir leur entreprise à flot, n’imaginent pas que le chômage est programmé. Et pourtant ...
LE CHÔMAGE : une construction historique
Le statut du chômage est vécu à l’heure actuelle comme épreuve personnelle et douloureuse.
Or, l’histoire nous enseigne que cette perception du chômage est en fait une construction idéologique du patronat. « Le travail intermittent a été vécu [par les travailleurs] comme une liberté jusqu’Ã l’invention du chômage, dans les années 1910. » (1) Ainsi, Christian Topalov explique-t-il qu’Ã cette époque « être employé par la même entreprise et travailler tout au long de l’année, parfois même de la semaine, est une expérience étrangère à la plupart des ouvriers. » (2) « La notion de chômage [...] a été inventée expressément pour lutter contre la pratique du travail discontinu. »
Car l’enjeu était de taille : les pratiques de production autonomes et d’autoconsommation de la paysannerie ralentissaient l’imposition du salariat comme nouveau mode de production.
Or, celui-ci était nécessaire pour permettre une nouvelle dimension de l’exploitation.
Max Weber relève ainsi qu’aux débuts de l’industrialisation, le patronat voulut « intéresser les ouvriers à une augmentation de leur rendement de travail en leur offrant des salaires à la tâche plus élevés [...]. Des difficultés spécifiques se sont cependant présentées : bien souvent, l’augmentation du salaire à la tâche n’eut pas pour effet d’accroître, mais de faire baisser le rendement de travail [...] parce que les ouvriers ne réagissaient pas à la hausse de salaire par une augmentation, mais par une baisse de la production quotidienne » explique André Gorz (1).
Ce n’est que progressivement qu’a été développée ce qu’André Gorz nomme « la régulation incitative par le consommationnisme », c’est-Ã -dire « éduquer l’individu à adopter vis à vis du travail une attitude instrumentale du genre : »Ce qui compte, c’est la paie qui tombe à la fin du mois« ; et le pousser à » convoiter des marchandises, comme constituant le but de ses efforts et les symboles de sa réussite."
Employabilité
C’est dans ce contexte d’un chômage institué qu’apparaît le discours de l’employabilité. Pour masquer la création volontaire du chômage.
Le discours de l’employabilité est celui-ci :
– On est chômeur parce qu’on le mérite.
– Qu’est-ce qui prouve qu’on le mérite ?
– Le fait qu’on soit chômeur.
Ce schéma renverse la réalité en transformant les victimes en coupables.
La société actuelle se construit principalement
– autour de la valeur travail.
– et de la transformation des êtres humains en main d’œuvre.
La division du travail, au départ principe de production, s’est progressivement immiscée dans la vie même des individus, parcellisant, fonctionnalisant toutes les activités qui laissaient jadis une marge d’accomplissement autonome.
L’imposition du travail salarié comme unique moyen de survie, l’avènement d’un contrôle coercitif de plus en plus présent sur les lieux de travail mais aussi dans la vie privée, autant d’éléments encore en progression de nos jours
Politiques vicieuses
Les politiques pour l’emploi, mais aussi les réformes (qui, comme la fin des 35 heures ou l’augmentation de l’âge de la retraite, augmentent la quantité de salariés sur le marché) cherchent à accroître la domestication des gens.
Car le chômage n’est pas inutile pour tout le monde :
l’existence d’une « masse précarisée ou marginalisée » fournit « une armée de réserve à une industrie qui veut pouvoir ajuster rapidement les effectifs employés aux variations de la demande. »
Citons cette phrase de François Soulé-Magnon (conseiller industriel d’Alain Juppé à Matignon lorsque celui-ci était Premier Ministre) : « Dans la conjoncture actuelle, il n’y a que la pression du chômage qui évite une embardée sociale. Une amélioration sur le terrain de l’emploi entraînerait fatalement une pression salariale que le pays ne peut se payer. »
Ainsi le chômeur est une nécessité absolue : la peur qu’il inspire au salarié permet de faire pression sur ce dernier pour lui imposer des conditions de travail et de rémunération de plus en plus insatisfaisantes.
Coupable !
En même temps, le discours culpabilise le chômeur, il limite la perspective d’une Grande Catastrophe : une masse de salariés décidant de vivre frugalement et de travailler épisodiquement.
Le chômeur est présenté comme un profiteur mettant en danger le système social par sa non participation à l’effort collectif. Il est alors sommé de rechercher un emploi qui n’existe pas et de porter sur lui toute la culpabilité de la société pour maintenir le mythe de sa bienveillance.
Renversant
Le système se manifeste dans la modification du vocabulaire.
Ainsi, l’expression de « demandeur d’emploi » caractérise le chômeur, qui en termes économiques constitue pourtant l’offre de travail.
L’employeur, (terme qui gomme efficacement les rapports de hiérarchie entre le patronat et la main d’œuvre), propose quant à lui des « offres d’emploi », alors que d’un point de vue économique, il représente la demande de travail.
La demande devient l’offre, l’offre la demande,
et le chômeur, de celui qui offre sa force de travail, devient celui qui sollicite l’exploitation de cette force comme un bienfait.
Dans le même ordre d’idées, les indemnités chômage, qui représentent la réparation d’un préjudice subi (réparation pour laquelle, rappelons-le, le chômeur a cotisé), deviennent allocation chômage, aide généreusement allouée au chômeur...
Les cotisations qui constituent un salaire indirect, deviennent des charges que le chômeur fait égoïstement subir à la société, bien qu’en fait, ce soit lui qui paye la note. (3)
L’UNEDIC est même allée jusqu’Ã tenter de ressusciter le contrat d’esclavage que Jean-Jacques Rousseau décrivait avec ironie dans Le Contrat Social : « Je fais avec toi une convention toute à ta charge et toute à mon profit, que j’observerai tant qu’il me plaira, et que tu observeras tant qu’il me plaira. » .
Ainsi les chômeurs qui signaient un P.A.R.E. étaient-ils tenus de respecter leurs engagements dans le cadre de leur Projet d’Action Personnalisé, tandis que l’UNEDIC décidait unilatéralement de ne plus tenir ses engagements et de réduire leur durée d’indemnisation ! Les tribunaux ont jugé illégale cette procédure.
Changez !
De plus, il est exigé du chômeur une mobilisation totale en vue de la recherche d’emploi, qui doit devenir l’unique dimension de son existence. Les brochures de l’ANPE vont lui demander de travailler sur son savoir-être. L’emploi est censé ne pouvoir être obtenu qu’Ã la suite d’une réforme de sa personnalité, ce qui n’est pas sans évoquer les pratiques et discours totalitaires, telle l’autocritique dans les goulags chinois.
L’ANPE se révèle alors être une fabrique d’hommes nouveaux, appelés à considérer leurs amis et leurs relations comme des contacts susceptibles de leur fournir un emploi : « utiliser vos relations, c’est exploiter la capacité de toutes les personnes contactées à devenir un maillon de votre recherche d’emploi. » (4)
C’est tout le rapport aux autres qui doit être ainsi modifié afin d’être mobilisé pour la recherche d’emploi.
Les employés de l’ANPE doivent, eux aussi, subir des discours et des pratiques délirantes.
– Alors que d’un côté, le marché de l’emploi se dégrade et se précarise,
– que leurs pratiques professionnelles sont déqualifiées et de plus en plus procédurières,
– les agents ANPE sont sommés d’être de plus en plus efficaces et de faire du chiffre. Ceci est profondément destructeur pour les employés ANPE, poussés à se sentir coupables des conséquences de choix ne dépendant pas de leur volonté.
De plus des méthodes de primes collectives permettent de briser les solidarités : si un agent n’atteint pas son objectif (et, bien souvent, le seul moyen qu’il ait de le faire est de radier à tout va), ce sont tous ses collègues qui en pâtissent.
Pessimiste ?
Un tableau pessimiste ? On non, réaliste
La situation s’avère être extrêmement préoccupante. Cette situation n’est rendue possible que par le fait que les peuples ont été transformés en main d’œuvre.
Or, notre société du travail
manque de travail
puisqu’elle l’économise volontairement par la hausse de la productivité.
Les individus arrivent donc à l’âge adulte, prêts à être intégrés dans des postes de travail, alors que dans le même temps est créée une pénurie d’emplois.
Dans le même temps, le phénomène du chômage permet d’entretenir un sentiment paranoïaque dans la population.
il y a d’ailleurs un parallèle troublant entre le discours de l’employabilité et le discours antisémite :
une masse de gens sont considérés comme des sous-hommes. La masse gigantesque de ces individus « superflus » est contrôlée au niveau de la société tout entière à la manière des foules fascistes de l’entre-deux guerres.
Le devenir de l’individu moderne laisse alors rêveur :
– être intégré dans des structures de travail dont il saisit mal la finalité mais dont dépend sa survie
– et, dans le même temps, sommé par la publicité de jouir dans un monde déstabilisé.
Peut être y a-t-il là un indice précieux pour nous éclairer sur notre Modernité qui, de la colonisation à Auschwitz, en passant par les immenses douleurs de l’urbanisation et la destruction de la diversité biologique, semble n’être qu’une suite de catastrophes ....
Christophe HAMELIN - Renaud TARLET
On peut trouver le texte complet ici :
http://www.actuchomage.org/modules.php?op=modload&name=PagEd&file=index&
topic_id=14&page_id=234
Ecrit le 21 février 2007 - Durée du travail
Les Anglais travaillent-ils plus ?
Les hommes politiques de Droite, et les médias, ne cessent de culpabiliser les Français en leur disant qu’ils ne travaillent pas assez.
Les statisticiens européens d’Eurostat ont calculé que ....
– si l’on considère les salariés travaillant à temps plein, les Français travaillent en moyenne 41 h par semaine (oui, malgré les 35 heures !) et les Anglais 43 h.
– si l’on considère les salariés à temps partiel, les Français travaillent 23,1 h/semaine et les Anglais 18,9 h.
Avec ces paramètres, les Français (tous statuts confondus) travaillent en moyenne 38 h/semaine, et les Anglais 37 h..... !
Face à la pénurie de travail, « la France a fait le choix de baisser la durée légale du travail. Les autres pays ont choisi d’inciter les gens à recourir au temps partiel », explique Eric Heyer (OFCE, Observatoire français des conjonctures économiques) ).
Pour l’instant la France n’est pas encore massivement confrontée aux « petits boulots », comme le sont la Grande-Bretagne ou l’Italie,
mais « cette réalité peut changer, notamment avec la montée en puissance des services à la personne ».
Nous voilà prévenus.