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Ecrit le 8 octobre 2003
Quelle Europe ?
« Mon premier devoir n’est pas d’aller rendre des équations comptables et de faire des problèmes de mathématiques pour que tel ou tel bureau, dans tel ou tel pays, soit satisfait »
Ces propos, tenus par Jean-Pierre Raffarin à TF1, ont provoqué un choc dans son propre parti où l’on dit : « Les règles que nous critiquons, c’est nous qui les avons faîtes » ou bien « On n’est pas encore sorti d’une schizophrénie qui nous conduit à cracher en permanence sur les institutions européennes tout en se disant plus européens que tout le monde ».
Le même débat agite les socialistes, entre les europhiles convaincus et ceux qui doutent de plus en plus fort au point d’appeler à voter non à l’éventuel référendum
Le même débat agite les pays européens eux-mêmes puisque deux d’entre eux, l’Espagne et la Pologne, ont exprimé leur désaccord quatre jours avant la conférence intergouvernementale du 4 octobre .
Les divergences entre « grands » et « petits » pays sur la future Constitution de l’Europe élargie portent notamment sur la Commission européenne. Suivant le projet actuel, les 25 futurs membres ne disposeront pas tous, comme c’était le cas jusqu’ici à 15, d’un représentant au sein de l’exécutif européen. Le chef de la diplomatie française a souhaité « concilier les principes d’efficacité et de représentativité » en privilégiant la Commission « la plus resserrée possible ».
Sami Naïr
Même si l’Europe n’intéresse guère les castelbriantais (bien qu’ils soient très concernés par les choix qui sont faits), voici des extraits de l’intervention de Sami Naïr à l’université d’été du MRC (Mouvement républicain et citoyen) à Belfort
Il pose trois questions qui constituent notre préoccupation au seuil des prochaines élections européennes.
– Quel bilan faisons-nous de la construction européenne ?
– Quelles institutions nous propose-t-on aujourd’hui ?
– Quelle Europe finalement voulons-nous ?
I - Quel bilan pour la construction européenne ?
Selon Sami Naïr : " Depuis 1957 (Traité de Rome), l’objectif de la construction européenne est clair : la création d’un grand marché libéral. Les gouvernements de droite comme de gauche ont encouragé cette évolution.
En 1997, pourtant, le gouvernement de Lionel Jospin avait laissé espérer une réorientation. Elle ne fut que de façade. La gauche sociale-libérale a contribué à enfermer la société française dans une véritable camisole de force économique "
Camisole de force
Elle a accepté en fait :
a) De perdre l’instrument de pilotage économique que constitue la politique monétaire, désormais décidée à la Banque Centrale Européenne en fonction des seuls critères de stabilité des prix
b) Elle a accepté de ne plus agir par le moyen de la politique budgétaire, désormais soumise au respect de critères draconiens (dette publique sous les 60 % du Ppoduit intérieur Brut (PIB), déficit budgétaire inférieur à 3 % du PIB.)
c) Or ces critères ne visent qu’Ã satisfaire les intérêts des détenteurs de capitaux. Leur absurdité, voire leur dangerosité (risques de récession) sont désormais admises par tous.
d) Aujourd’hui ni la France, ni l’Allemagne ne les respectent plus (le gouvernement français prévoit un déficit budgétaire représentant 4% du PIB en 2003, le gouvernement allemand également. Ces déficits provoquent en Europe une véritable polémique, un bras de fer entre la Commission et les gouvernements, mais que sont-ils à côté de celui des Etats-Unis qui devrait dépasser en 2003 les 4.5% du PIB ? ).
Contraintes économiques
Pour la France, cette politique signifie :
a) l’impossibilité de relancer la croissance, d’où le développement du chômage et de la précarité ; (1)
b) l’obligation de réduire les dépenses publiques entraînant la remise en cause du système de protection sociale, du régime des retraites, de l’assurance chômage
c) la privatisation des services publics
d) la décentralisation synonyme de baisse des charges de l’Etat et, à terme, une Europe dite des régions ;
e) en résumé : la remise en cause de l’Etat dans sa fonction de développement social, de promoteur de la justice et de l’égalité.
Offensive contre le monde du travail
Conséquences sur le plan social : Les couches moyennes en paient depuis quelques années le prix ; les couches populaires, depuis le début, subissent des attaques frontales ; elles ont été déstructurées comme jamais depuis 1945. (1)
La vision ultra-libérale qui domine l’Europe fait partie de l’offensive mondiale des couches dirigeantes contre le monde du travail et les couches pauvres.
La distribution de plus en plus inégale des richesses est donc bien au cœur du processus de libéralisation des économies européennes.
2. Quelles institutions nous propose-t-on ?
Rappelons tout d’abord que l’Europe politique n’existe pas.
Ce qui existe, ce sont des mécanismes institutionnels fédéralisant la politique économique, c’est à dire qui enlèvent aux gouvernements démocratiques des nations, la possibilité d’agir sur leur économie.
L’unique objectif est le développement permanent du marché.
L’élargissement à 25 pays est le prétexte à l’affaiblissement des Etats, à la régression sociale, au recul de la démocratie, à l’incapacité d’agir dans le monde.
C’est à nouveau ce qui attend les Européens s’ils adoptent la « Constitution » préparée par la Convention.
Celle-ci n’est que la poursuite de la politique qui dessaisit les peuples de leur propre destin.
Quelques exemples :
systématisation et extension de la prise de décision à la majorité qualifiée au Conseil des ministres.
De plus, l’article 24 du projet prévoit une clause « passerelle » qui permet au Conseil européen de faire passer une matière de l’unanimité à la majorité qualifiée, sans que cette décision fasse l’objet d’une procédure de ratification dans les Etats-membres (situation actuelle).
Ainsi, les représentants nationaux seront encore davantage dessaisis de leur contrôle sur l’évolution de la construction européenne
b) extension de la codécision.
Elle concernera désormais 80 domaines contre 37 auparavant, c’est à dire la quasi totalité des politiques importantes de l’Union. Elle devient donc la règle générale. (on imagine les choix ultralibéraux qui seront fait dans un Parlement élargi aux pays de l’Est).
c) traitement très ambiguë de « l’exception culturelle » :
La Commission pourra prendre librement toutes les initiatives dans ce domaine, le Conseil devra prouver, pour l’empêcher d’agir, qu’il y a menace sur la diversité culturelle et linguistique.
Ainsi, alors que les élargissements successifs placent l’Europe face à des défis nouveaux, la dynamique institutionnelle reste fondamentalement identique, source de régression démocratique et de soumission toujours plus étroite des sociétés aux impératifs du marché.
Cette Constitution est inacceptable ; elle est, comme dirait Descartes, inutile et incertaine... "
3. Quelle Europe voulons-nous ?
Sami Naïr continue : « Nous voulons une Europe de projets, une Europe européenne, une confédération d’Etats-nations, ouverte à l’Est et au Sud, une Europe citoyenne et démocratique dans laquelle la République française s’épanouisse ». Et il explique :
1) Une Europe de projets :
L’Europe doit être d’abord un projet, capable de répondre aux aspirations des citoyens et aux grands défis du moment par :
a) des politiques économiques donnant la priorité à l’emploi et à la croissance pour le développement durable ;
b) la relance de politiques publiques fortes au niveau européen
c) il faut redynamiser la Politique agricole commune avec des dispositifs ciblés sur les petits producteurs, des objectifs de qualité (sécurité alimentaire, respect de l’environnement) pour une agriculture participant à l’aménagement du territoire, intégrant la nécessaire solidarité avec le Sud et l’élargissement à l’Est ;
d) poursuivre les politiques de fonds structurels, pour permettre d’atténuer les disparités entre régions et favoriser la mise en œuvre par les collectivités de politiques équilibrées de développement local et d’aménagement du territoire. (ndlr : la région de Châteaubriant bénéficie de ces fonds structurels par l’intermédiaire de Leader +. Renseignements au 02 40 28 36 64)
e) lancer de grands projets d’infrastructures (transports, énergie, environnement...)
f) soutenir des programmes d’échanges dans les domaines de l’éducation et de la formation ;
g) promouvoir un modèle européen original de service public (qualité, continuité...), et refuser le « service universel » à l’américaine (prestations minimales) et contre la marchandisation par l’AGCS de pans entiers de l’activité humaine (santé, éducation, social...). [ndlr : l’AGCS c’est l’accord général sur le commerce et les services, voir La Mée du 10 septembre 2003]
h) défendre une Europe véritablement sociale, par la protection des systèmes sociaux les plus avancés et l’amélioration de ceux qui le sont moins (retraites, chômage, sécurité sociale, famille...), la protection des salariés et l’extension des droits syndicaux, la réalisation d’une réelle égalité entre les hommes et les femmes ;
i) donner un nouvel élan à la coopération avec le Sud à travers des politiques de codéveloppement impliquant largement tous les acteurs (collectivités décentralisées, acteurs économiques, organismes de formation, acteurs sociaux, associations...). C’est la meilleure manière de favoriser la formation de véritables Etats de droit et de promouvoir le développement .
La taxe Tobin
Il faut aussi lancer à la face de la mondialisation libérale la Taxe Tobin (taxe sur les transactions financières)
– a) cette taxe est possible. Elle donnerait une âme à l’euro ;
– b) elle stabiliserait les flux de capitaux, pénaliserait les mouvements spéculatifs à court terme, affirmerait la volonté des citoyens européens de garder la maîtrise de leur destin ;
– c) elle serait un puissant élément de construction d’une identité sociale européenne ;
– d) elle servirait d’aide précieuse aux pays pauvres.
2) Une Europe européenne, confédération d’Etats-nations,
L’Europe que nous voulons doit être une Europe forte manifestant son indépendance vis à vis des Etats-Unis, capable de peser pour la résolution pacifique des conflits notamment au Moyen Orient et en Afrique.
Une Europe, confédération d’Etats-nations, soucieuse de respecter la souveraineté de ses membres tout en offrant la possibilité de coopérations renforcées dans des domaines et à des rythmes choisis par les Etats qui le souhaitent.
L’entrée de la Russie dans l’Union européenne serait la garantie d’une Europe européenne, capable de se lancer dans une alliance prometteuse avec la Chine. Il faut se rendre compte que l’Europe atlantiste qu’on nous a mis en place conduit à l’impuissance et à la dislocation sociale. "