Ecrit le 17 septembre 2014
Depuis la fin du mois de novembre 2014, les manifestations, émeutes, actions ciblées et occupations se multiplient un peu partout en Grèce (dans le silence total des médias européens). La cause principale est la situation du jeune prisonnier anarchiste de 21 ans, Nikos Romanos, devenu un symbole de toutes les violences subies par la population, mais aussi du profond désir de lutter, quelle que soit la forme, et de refuser la torpeur et la résignation.
Nikos est l’ami d’enfance d’Alexis Grigoropoulos, assassiné à l’âge de 15 ans par un policier dans le quartier d’Exarcheia à Athènes. Un quartier réputé pour ses révoltes historiques et ses nombreuses initiatives autogestionnaires et solidaires. Un quartier dans lequel la liberté, l’égalité et la fraternité ne sont pas des mots jetés à l’abandon au frontispice de monuments publics glacés de marbre. Nikos a vu son ami mourir dans ses bras le soir du 6 décembre 2008. Profon-dément révolté, il s’est par la suite engagé dans l’anarchisme révolutionnaire et a dévalisé une banque pour financer son groupe qualifié de terroriste par le pouvoir. Après avoir été torturé, notamment au visage, lors de son arrestation, il a finalement réussi à obtenir son bac en prison, mais se voit aujourd’hui refuser la possibilité de poursuivre ses études. c’est pourquoi, depuis le 10 novembre dernier, Nikos est en grève de la faim. Son état s’est progressivement dégradé, notam-ment au niveau cardiaque, malgré ses 21 ans, et il a été transféré sous haute surveillance à l’hôpital Gennimatas d’Athènes devant lequel manifestent régulièrement des milliers de personnes qui parviennent parfois à dialoguer avec lui à travers les grilles de sa fenêtre. En solidarité avec Nikos, un autre prisonnier politique, Yannis Michailidis, s’est mis en grève de la faim le 17 novembre au Pirée, suivi par deux autres, Andreas Dimitris Bourzoukos et Dimitris Politis, depuis le 1er décembre.
Le gouvernement grec vient de confirmer son refus de permettre à Nikos de poursuivre ses études et préfère le laisser mourir, non sans faire preuve d’ironie. Des petites phrases assassines et provocatrices qui ne font qu’augmenter la colère populaire et les nombreuses protestations.
Photo : Le Parlement, sous surveillance
Dans cette ambiance de fin de règne, parmi d’autres initiatives solidaires, l’Ecole Polytechnique est à nouveau occupée depuis le premier décembre, 41 ans après avoir défié avec succès la Dictature des Colonels en novembre 1973, au cours d’une occupation similaire pour défendre une radio libre qui s’opposait au régime autoritaire. Les CRS suréquipés viennent d’échouer par deux fois dans leurs tentatives de déloger les manifestants. Douze insurgés arrêtés ont cependant été violemment frappés, au point que trois d’entre eux souffrent de fractures du crâne. L’occupation de l’Ecole Poly-technique n’a pas cédé, malgré le déversement de quantités énormes de gaz lacrymogène depuis l’extérieur. Une ZAD (Zone A défendre) a été mise en place, jumelée avec d’autres ZAD dans le monde, notamment celles de NDDL et du Testet en France.
Le site internet ne vivons plus comme des esclaves
écrit : « Ce soir-là , j’ai remarqué plus de filles que jamais parmi les insurgés et une diversité à tous les niveaux qui augure d’une ampleur et d’une radicalité sans précédent. J’ai vu et ressenti une déter-mination et une fraternité rarement ren-contrées jusqu’ici, dans mes voyages en Grèce et ailleurs, là où l’humanité ne se résout pas à vivre à genoux et tente, diversement, de se lever. J’ai vu la vie s’organiser autrement dès le lendemain et la chaleur des barricades se transformer en chaleur des cœurs parmi les occu-pants de l’Ecole Polytechnique et d’ailleurs ».
Le Parlement, sous surveillance
Rien n’est fini, tout commence !
« Car durant ces dernières heures, les lieux d’occupations se sont multipliés, rappelant le processus de décembre 2008 qui avait amené la Grèce à connaître les émeutes sans doute les plus puissantes en Europe depuis plusieurs dizaines d’années ». Des occupations de bâtiments publics et de groupes financiers, de chaînes de télévision et de radios, d’universités et de mairies, depuis Thessalonique jusqu’Ã Héraklion. « Des occupations toujours plus nombreuses, ainsi commentées par Yannis Michailidis dans son dernier communiqué de gréviste de la faim, très relayé sur Internet : » c’est ce qui brise la solitude de ma cellule et me fait sourire, parce que la nuit de mardi [2 décembre], je n’étais pas prisonnier, j’étais parmi vous et je sentais la chaleur des barricades brûlantes « . Avant de conclure : » Rien n’est fini, tout commence ! « Parmi les paroles qui ont résonné : » ce n’est plus l’heure de mettre la pression, mais de rentrer en insurrection « , ou encore des appels à » agir comme si notre propre vie était en jeu, car en vérité, c’est bien le cas pour nous tous qui vivons comme des damnés, comme des esclaves, comme des lâches « ; » il faut retrouver pleinement confiance en nous-mêmes pour parvenir à redonner partout confiance aux gens et, en particulier, pour rassembler les laissés-pour-compte qui devraient être les premiers à descendre dans la rue, au lieu d’attendre que la libération ne vienne du ciel « . » J’ai vu un ancien de 1973 avoir les larmes aux yeux et songer que nous vivons peut-être un autre moment historique. J’ai lu d’innombrables tags en soutien à la grève de la faim de Nikos Romanos, mais aussi à la mémoire de Rémi Fraisse, tué par le bras armé du pouvoir sur la ZAD du Testet ".
La situation prend des allures de guerre civile et rappelle certaines régions du monde. A l’intérieur du quartier, comme dans beaucoup d’autres coins d’Athènes, la musique résonne dans le soir tombant : du rock, du punk, du rap , du reggae, des vieux chants de lutte. « Dans l’Ecole Polytechnique, on a même installé deux immenses enceintes du côté de l’avenue Patission et on balance ces musiques pour le plus grand bonheur des passants qui nous soutiennent et lèvent parfois le poing ou le V de la victoire tant désirée. d’autres baissent la tête et ne veulent pas y croire, ne veulent pas voir, ne veulent pas savoir, murés dans la prison d’une existence absurde et pauvre à mourir d’ennui, si ce n’est de faim ».
Une nouvelle page de l’histoire des luttes est peut-être en train de s’écrire à Athènes et au-delà . Rester assis, c’est se mettre à genoux.
Signé : Yannis Youlountas
membre de l’assemblée d’occupation de l’Ecole Polytechnique à Athènes