Résistance, Appel commun
Paris. Mardi 8 mars 2004 : réunion d’anciens Résistants, avec Jacques Nikonoff président d’ATTAC, pour célébrer le 60e anniversaire du programme élaboré par le Conseil National de la Résistance, un de ces moments heureux comme on en voit trop rarement dans une vie de militant.
Maurice KRIEGEL-VALRIMONT (notamment responsable militaire lors de la Libération de Paris) a souligné qu¹actuellement il y a une absence de perspective politique et sociale, et que personne ne comble le vide. Il a donné une leçon d¹espoir. Alors que notre période est très noire pour la démocratie et les droits sociaux, il a rappelé qu¹après la peine peut venir la joie : 1936 est survenu après la funeste année 1934, et la Libération de 1944 après l¹an 1942, terrible année de l¹apogée maximum du nazisme.
Raymond AUBRAC a rappelé que le programme du CNR fut l’unique programme de gouvernement à la Libération. Revenant à notre époque, il a dénoncé la civilisation de la peur qui est diffusée chaque soir par la télévision actuelle.
Philippe DECHARTRE, ancien ministre (qui s¹est présenté comme représentant d¹une espèce « en voie de disparition : les Gaullistes de gauche ») a opposé une conception délibérative, celle de la Résistance, à la politique actuelle de « lobbying »
M. ALPHANDERY a évoqué la richesse des discussions politiques et sociales qui animaient les milieux résistants, entre personnes pourtant issues de cultures politiques très différentes, mais unies pour une société meilleure après la victoire sur le nazisme.
Lise LONDON a bien entendu rappelé le rôle des femmes dans la Résistance, et a fait part de ses souvenirs personnels poignants, y compris lors de la Guerre d¹Espagne, banc d¹essai des fascismes.
Jean-Pierre VERNANT (l¹historien) a déclaré que le peuple à la Libération avait alors un pouvoir plus grand car ses revendications étaient vraiment portées au niveau syndical et politique. Il a dénoncé le fait que les Etats n¹auraient plus les moyens aujourd’hui de respecter les conquêtes sociales issues de l¹antifascisme.
Stéphane HESSEL, ambassadeur de France, a évoqué l¹apport du personnalisme chrétien dans la Résistance, et rappelé que le programme du CNR se heurtait aux obstacles des possédants. Ouvrant la perspective sur l¹international, il a indiqué qu¹Ã bien des égards la situation était aujourd’hui plus dangereuse pour l¹humanité qu¹Ã l¹époque du nazisme. Le risque que nous courrons aujourd’hui est la déperdition de la volonté sociale. Il a émis l’idée qu’après le CNR historique, il faudrait maintenant inventer un « C.M.R » (Conseil mondial de la Résistance !)
Dernier détail : Un peu plus tard après la conférence de presse, plusieurs Résistants ont évoqué la place décisive de la poésie dans la Résistance, et notamment lors des moments difficiles et tragiques des arrestations.
(commentaires du nantais Luc Douillard)
L’appel ci-dessous, qu’ils ont signé, est un appel méthodique à la révolte, texte peut-être le plus subversif depuis les grandes initiatives émancipatrices (notamment anticolonialistes, et féministes) des dernières décennies.
Appel à faire revivre
La Résistance
Au moment où nous voyons remis en cause le socle des conquêtes sociales de la Libération, nous, vétérans des mouvements de Résistance et des forces combattantes de la France Libre (1940-1945), appelons les jeunes générations à faire vivre et retransmettre l’héritage de la Résistance et ses idéaux toujours actuels de démocratie économique, sociale et culturelle.
Soixante ans plus tard, le nazisme est vaincu, grâce au sacrifice de nos frères et soeurs de la Résistance et des nations unies contre la barbarie fasciste. Mais cette menace n’a pas totalement disparu et notre colère contre l’injustice est toujours intacte.
Nous appelons, en conscience, à célébrer l’actualité de la Résistance, non pas au profit de causes partisanes ou instrumentalisées par un quelconque enjeu de pouvoir, mais pour proposer aux générations qui nous succéderont d’accomplir trois gestes humanistes et profondément politiques au sens vrai du terme, pour que la flamme de la Résistance ne s’éteigne jamais :
1) Nous appelons d’abord les éducateurs, les mouvements sociaux, les collectivités publiques, les créateurs, les citoyens, les exploités, les humiliés, à célébrer ensemble l’anniversaire du programme du Conseil national de la Résistance (C.N.R.) adopté dans la clandestinité le 15 mars 1944 : sécurité sociale et retraites généralisées, contrôle des « féodalités économiques » , droit à la culture et à l’éducation pour tous, presse délivrée de l’argent et de la corruption, lois sociales ouvrières et agricoles, etc.
Comment peut-il manquer aujourd’hui de l’argent pour maintenir et prolonger ces conquêtes sociales, alors que la production de richesses a considérablement augmenté depuis la Libération, période où l’Europe était ruinée ? Les responsables politiques, économiques, intellectuels et l’ensemble de la société ne doivent pas démissionner, ni se laisser impressionner par l’actuelle dictature internationale des marchés financiers qui menace la paix et la démocratie.
2) Nous appelons ensuite les mouvements, partis, associations, institutions et syndicats héritiers de la Résistance à dépasser les enjeux sectoriels, et à se consacrer en priorité aux causes politiques des injustices et des conflits sociaux, et non plus seulement à leurs conséquences, à définir ensemble un nouveau « Programme de Résistance » pour notre siècle, sachant que le fascisme se nourrit toujours du racisme, de l’intolérance et de la guerre, qui eux-mêmes se nourrissent des injustices sociales.
3) Nous appelons enfin les enfants, les jeunes, les parents, les anciens et les grands-parents, les éducateurs, les autorités publiques, à une véritable insurrection pacifique contre les moyens de communication de masse qui ne proposent comme horizon pour notre jeunesse que la consommation marchande, le mépris des plus faibles et de la culture, l’amnésie généralisée et la compétition à outrance de tous contre tous. Nous n’acceptons pas que les principaux médias soient désormais contrôlés par des intérêts privés, contrairement au programme du Conseil national de la Résistance et aux ordonnances sur la presse de 1944.
Plus que jamais,
à ceux et celles qui feront le siècle qui commence,
nous voulons dire, avec notre affection :
« Créer, c’est résister. Résister, c’est créer ».
Signataires : Lucie Aubrac, Raymond Aubrac, Henri Bartoli, Daniel Cordier, Philippe Dechartre, Georges Guingouin, Stéphane Hessel, Maurice Kriegel-Valrimont, Lise London, Georges séguy, Germaine Tillion, Jean-Pierre Vernant, Maurice Voutey.
Un Rassemblement de la résistance et des alternatives au néolibéralisme aura lieu les 13 et 14 mars 2004 à Nanterre.