Ecrit le 8 décembre 2010
Agriculture et territoire
Malgré le froid et la neige, il y avait du monde à la réunion provoquée conjointement par le lycée agricole de Derval et par le Conseil de développement. Invité : Yvon le Caro, qui a donné une conférence intéressante mais sans doute au-dessus des attentes des étudiants présents, sur le thème « Pensée agricole, pensée territoriale » : « On ne peut construire l’avenir des uns sans construire l’avenir des autres. Il faut envisager une co-construction de l’avenir » a-t-il dit.
La société est en mutation rapide. Les aléas des prix agricoles, notamment sur les céréales, déstabilisent le monde agricole tandis que l’explosion de l’urbanisation diminue les surfaces consacrées à l’agriculture Cependant Yvon Le Caro souhaite voir l’aspect optimiste des choses, sans lequel on aurait tendance à baisser les bras.
Urbains des villes, urbains des champs
Pour lui, l’espace agricole est de plus en plus un « espace partagé » La notion de rural et d’urbain n’a plus le même sens qu’il y a 100 ans. Les mentalités sont de plus en plus urbaines, « mais il y a des nuances rurales dans la société urbaine : par exemple, chez vous, on continue à dire bonjour ». « A Rennes, en ville, il y a des espaces ruraux. A Derval, il y a des espaces urbains. On pourrait parler d’urbains des villes et d’urbains des champs ».
La campagne c’est l’espace marqué par l’activité agricole. On y trouve un clivage entre l’agriculture (qui a besoin d’un espace de travail) et la non-agriculture : paysages, loisirs, environnement. Dans des territoires comme la Beauce, il y a des terres agricoles à perte de vue, mais, ici, « il y a des maisons partout, au point que l’on parle de mitage. Alors la cohabitation se vit en termes de voisinage, et parfois de conflits de voisinage ». [Ndlr : Heureusement le monde agricole accepte de plus en plus les promeneurs, Mais les écologistes restent des intrus !].
L’espace partagé
« l’agriculture produit du territoire » : elle crée un espace de loisir, de nature pour les urbains, un espace utile à la collectivité, en termes d’environnement, d’assainissement de l’air. (1). Il s’agit donc de partager l’espace, dans le concret : les relations humaines, les paysages qu’entretient l’agriculteur, la fonction récréative que les agriculteurs savent gérer avec finesse. Sans avoir besoin de loi, les accords entre agriculteurs et citadins-randonneurs, se font souvent à l’amiable. « Chacun intègre la présence de l’autre, les gens à la campagne sont plus tolérants, ils n’hésitent pas à parler à celui qu’ils rencontrent sur un chemin, à frapper à la porte du voisin »
« Alors la notion : espace privé, espace public perd un peu de son sens ». Le randonneur qui emprunte un chemin rural fait un usage public d’une propriété privée. l’agriculteur qui mène ses vaches sur une petite route, fait un usage privé d’un lieu public. En un même lieu, l’agriculteur habite et travaille, le promeneur ou le chasseur circulent et se récréent. « Les loisirs en espace agricole concernent quasiment toutes les exploitations, et les deux tiers de la population. Ils permettent aux agriculteurs et aux usagers, autour de valeurs comme le travail, la nature, la propriété, de construire une expérience de l’altérité dans un espace agricole effectivement partagé » écrit Yvon Le Caro dans son livre « les loisirs dans l’espace agricole ».
Co-construire
l’agriculture joue un rôle dans l’énergie, l’habitat, la production d’eau pure. On note une intensification de l’usage des territoires agricoles mais ces usages ne sont pas toujours compatibles.
Yvon le Caro plaide pour la mise en place de « coopératives territoriales », appelées à réfléchir à des projets agro-territoriaux : comment aménager, à l’échelle locale, des territoires partageables (zonages, règlement, aménagement foncier).
« l’agriculture est trop importante pour la confier aux seuls agriculteurs » dit-il en évoquant le rôle des SCOT (schéma de cohérence territoriale). [Ndlr : mais le SCOT du Pays de Châteaubriant, lancé en principe depuis le 15 décembre 2008 est toujours au point mort]. « En agriculture, dit-il, il faut de l’espace, des paysans dessus, et des techniques agricoles » laissant entendre par là une certaine opposition au modèle productiviste actuel.
Tensions
Co-construire ? Le débat qui a suivi la conférence laisse planer des doutes ! Un jeune a parlé de l’amputation de l’espace agricole « où c’est que ça s’arrêtera ? Et puis le bio qui se met là -dedans ! » Cette réflexion manifeste plus une attitude d’opposition qu’une attitude de réflexion...
Productivisme ? Jacques Lemaître, président de la Chambre d’Agriculture, a parlé, lui, de la nécessité pour les paysans, de nourrir la planète, vieille idée qui donne aux paysans des pays riches l’illusion d’un rôle de sauveur du monde, et évite de s’interroger sur le côté néfaste de l’aide alimentaire aux pays pauvres lorsqu’elle ne s’accompagne pas d’une aide au développement de leur territoire. J.Lemaître a par ailleurs posé une question sur les OGM, n’osant pas dire qu’il est favorable à ces manipulations. Yvon le Caro, à ce sujet, a parlé de « risques inutiles », du gaspillage fait dans les pays riches, aussi bien par les agriculteurs que par les consommateurs, de la nécessité de faire de la qualité et moins de quantité (notamment en consommant moins de viande).
Dans son livre « Agriculture et territoires », il s’interroge :
– Quelle agriculture encourage-t-on à travers la constitution de nouveaux territoires ?
– Peut-on contrecarrer la course à l’agrandissement et à la productivité ?
– De quelle reconnaissance sociale bénéficient les agriculteurs et pour quel niveau de vie ?
– Comment des demandes sociales multiformes, voire contradictoires et même conflictuelles peuvent-elles être assurées par des agriculteurs de moins en moins nombreux ?
« Parlons-en ensemble » dit-il. Chiche !
Ecrit le 8 décembre 2010
Un exemple de conflit
L’environnement est un sujet de discorde entre les agriculteurs et les écologistes, entre la nécessité de protéger les cultures et la nécessité de protéger la santé.
l’association écolo « générations futures » a eu l’idée saugrenue de compter les polluants pouvant se trouver dans l’assiette des enfants. Après avoir concocté un menu type : 5 fruits et légumes, pas trop de gras, l’association est allée faire ses achats et a envoyé le contenu à quatre labos indépendants. résultat : 28 polluants au petit déjeuner : lait au pyralène, jus de raisin aux fongicides, pain de mie aux insecticides, beurre à la dioxine. Dans la pomme : 2 insecticides, 1 acaricide et 3 fongicides. Et le festin continue : steak haché avec perturbateurs endocriniens, haricots aux antimouches, salade au désherbant. Saumon, riz complet, tomates, yaourts : les substances cancérogènes sont partout. En une journée un enfant de 10 ans est exposé à 81 substances chimiques, pesticides, métaux lourds et autres polluants
Bien sûr, chacun de ces invités-surprise ne dépasse pas les limites autorisées, mais que se passe-t-il quand on prend en compte l’effet cocktail de ces substances ?
« Nous partageons pleinement les questionnements de cette étude sur la nécessité de travailler sur les effets synergiques possibles entre les différents types de contaminants », a précisé Marc Mortureux
Directeur de l’Agence nationale chargée de la sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). Une étude devrait paraître en 2011.