Ecrit le 15 juin 2011
Inutile de dresser le constat chiffré de la sécheresse : chacun sent bien qu’il y a quelque chose qui ne va pas. Pas de pluie l’hiver passé, pas de pluie au printemps non plus. Au 7 juin 2011, 62 départements français (sur 95) appliquent des mesures de limitation d’usage de l’eau. d’autant plus que 2010 a déjà été une année de sécheresse : les stocks d’aliments sont donc réduits voire inexistants.
Le 7 juin, 150 agriculteurs de la Confédération Paysanne se sont réunis en AG Extraordinaire à Nort sur Erdre autour de Dominique Lebreton et Patrick Baron. Ils ont d’abord présenté le bilan dressé par le Comité Calamité du département : 13 000 tonnes de paille ont été nécessaires pour la nourriture des animaux en 2010, mais, pour 2011, le besoin se chiffre à 50 000 tonnes et tout le monde n’a pas passé commande ! « Ne pas paniquer » : tel a été le mot d’ordre de ce comité qui a évoqué la possibilité de faucher les jachères et les bandes enherbées, et l’interdiction de broyage des pailles.
Pour faire face aux difficultés de trésorerie, les paysans demandent en outre le report des cotisations à verser à la MSA (mutualité sociale agricole), le paiement accéléré des subventions de la PAC (politique agricole commune) et une « année blanche » c’est-Ã -dire suspension pour une année des remboursements des prêts effectués auprès des banques.
Urgence paille
l’alternative actuellement est celle-ci :
– Nourrir le bétail
– Ou en vendre une partie
Vendre ? Encore faut-il qu’il y ait un acheteur ! Le problème se pose nettement. Le Groupe BIGARD (spécialisé dans l’abattage et la transformation de viande) a des stocks conséquents.
Nourrir le bétail ? c’est là qu’il est nécessaire d’avoir des céréales et de la paille. Le déficit de fourrage en France est estimé à 15 millions de tonnes de matière sèche. La Confédération Paysanne demande que le « blé éthanol », c’est-à -dire les céréales destinées à la production d’énergie (agro-carburants), serve à la nourriture des animaux. Quant à la paille, les agriculteurs, en cette période, doivent l’acheter. Ils demandent que cette paille leur soit fournie gratuitement.
Couper l’épi à la base
Mais où trouver de la paille ? Il est question d’aller en chercher en Espagne : elle arriverait par bateau jusqu’au port de St Nazaire. « Mais il y a de la paille en France » dit un agriculteur ! En effet, les agriculteurs des régions céréalières récoltent le blé, l’avoine, l’orge (etc) et broient les pailles. Celles-ci sont donc inutilisables pour l’alimentation du bétail.
« Il faut interdire le broyage des pailles » disent les paysans. Deux conceptions s’affrontent alors : prendre un arrêté d’interdiction, ou ne pas prendre d’arrêté ? Prendre un arrêté, cela choque un certain nombre de responsables agricoles (sauf la Confédération Paysanne) parce que c’est un certaine forme de dirigisme. « Et puis, si on prend cet arrêté, les céréaliers vont le contourner en haussant la barre de coupe, pour couper l’épi à la base et n’avoir quasiment pas de paille à fournir ».
Et si cet arrêté n’est pas pris, les céréaliers feront ce qu’ils voudront Et il est évident qu’ils ne veulent pas fournir de la paille. Elle est belle la solidarité entre paysans !
Actuellement la paille-solidarité est d’un million de tonnes. « Mais c’est 15 millions qu’il faut ».
Transport : où sont les bras ?
Un autre problème se pose : le transport de cette paille. Les transporteurs sont chers en ce moment, au vu du renchérissement du prix des carburants. « En 1976, lors de la sécheresse, nous avions des bras et des tracteurs, nous avons pu aller chercher cette paille. Mais depuis, avec la concentration des exploitations et la disparition des paysans, nous n’avons plus les bras, et peut-être pas suffisamment de machines ! ».
Il faut à tout prix éviter la spéculation sur la paille, disent les paysans. « Il faut envoyer au marché un signal fort, faire savoir qu’il y aura de la paille pour tout le monde, encourager les éleveurs à garder les animaux », pour ne pas faire une décapitalisation qui condamnerait l’entreprise et qui présenterait un risque pour toute la filière animale : celle-ci mettrait 3 ans ou plus à se relever à l’heure où l’Europe n’est plus autosuffisante en viande bovine
Un aliment sécheresse
Les paysans réclament un « aliment sécheresse » à un prix raisonnable, c’est-Ã -dire pas à un prix de marché, mais à un prix de solidarité : moins de 60€ la tonne de paille arrivée dans la cour de ferme ; et blé éthanol à 115€/tonne . « Mais la vraie solidarité, c’est une année blanche, c’est-Ã -dire le report des remboursements d’emprunts, pour pouvoir acheter de l’aliment. Les assurances, les industries agro-alimentaires, les banques doivent être solidaires de nous, quand ça va mal ».
Il faut que les Pouvoirs Publics interviennent, disent-ils encore, en rappelant que, lorsqu’il a fallu sauver les banques, les Etats n’ont pas hésité.
Veaux, vaches, cochons
Si l’on entend surtout les producteurs de lait et de viande bovine, un producteur de porcs a rappelé que « dans le cochon, c’est pas bon ». « Nous perdons actuellement 35 centimes par kg, en dessous du coût de production » Un maraîcher a signalé, lui, que le défaut d’arrosage est très préjudiciable aux cultures légumières.
Et la crise due au « concombre tueur » (qui a été accusé à tort, le pauvre) n’a rien arrangé. Bref, rien ne va.
« Tout cela est la faute du libéralisme ! Le laisser-faire s’étale au grand jour. L’étendue des dégâts est telle, actuellement, qu’on ne sait plus quoi faire. Beaucoup de paysans sont incapables de faire face financièrement. Est-ce qu’on veut voir disparaître, encore, 30 % des paysans qui restent ? ». La sécheresse servira-t-elle de prétexte ? « Ils ont intérêt à faire du bruit autour de la sécheresse, cela masque les réalités et les responsabilités ».
Honte
Pourquoi donc n’y a-t-il pas une session extraordinaire de la Chambre d’Agriculture au sujet de la sécheresse ? De nombreux agriculteurs en détresse se terrent chez eux. Ils ont honte d’être ainsi acculés. « Moi je crois que la solidarité est morte et j’ai honte pour nous » conclut un participant.
Les annonces de N. Sarkozy
Nicolas Sarkozy s’est engagé à « décaler d’un an » le remboursement des prêts accordés aux éleveurs en 2009 (les paysans réclament un e année blanche sur tous les emprunts !) et à doter le Fonds national de garantie contre les calamités agricoles de 200 millions d’euros pour accélérer les indemnisations des pertes causées par la sécheresse, avec les premiers versements dès septembre. Il a annoncé que les éleveurs situés dans les zones sinistrées seraient exemptés de la taxe sur le foncier non bâti et qu’un effort logistique serait fait pour la livraison et le stockage de fourrages.
Enfin il propose un plan à cinq ans de création de retenues d’eau dans les fermes.
Mais rien sur l’interdiction de broyage de la paille (la seule chose qui permet de lutter contre la spéculation sur les prix). Rien non plus sur les « millions de tonnes de grains de blé et de maïs » destinées à fabriquer des agrocarburants. Quant à la création de « bassines d’eau artificielles qui coûtent très cher », cela ne résoudra pas le problème cette année ni les années à venir (et on se pose même des questions sur l’irrigation et ses conséquences à long terme).
« Je comptais plus sur la pluie que sur le président. Je ne me suis pas trompé » dit un paysan. Ah ! Il a plu dimanche 12 juin, juste pour gâcher les fêtes prévues..