Ecrit le 26 octobre 2011
Souvenirs : et le Lycée s’appela Guy Môquet
Il y a 70 ans, 27 otages du camp de Choisel étaient fusillés à la Sablière. Parmi eux un jeune lycéen parisien du nom de Guy Môquet.
Depuis 1977, le Lycée de la ville porte son nom. Actuellement la chose semble aller de soi surtout depuis la « découverte », en 2007, par Nicolas Sarkozy, de la lettre de l’adolescent à ses parents avant d’être fusillé. Cependant, à l’époque, l’attribution du nom de Guy Môquet au Lycée fut loin de recueillir l’unanimité. Il est historiquement intéressant de connaître les circonstances de cette attribution.
En 1959, je suis nommé au collège municipal nouvellement créé. Pendant 7 ans ce fut une errance permanente des profs et des élèves entre les sept ou huit implantations de l’établissement à travers la ville. La rentrée 1966 se fait enfin normalement dans les locaux flambant neufs du Lycée route de Vitré ; c’est ainsi qu’on l’appelait. En tant qu’élève, surveillant, maître auxiliaire, j’ai toujours connu des lycées portant le nom de personnalités célèbres ayant vécu dans la ville ou dans la région. l’anonymat du Lycée route de Vitré me semble anormal.
Le 25 janvier 1974, à une réunion de la commission permanente du Conseil d’Administration, je demande que l’on donne un nom au Lycée et je renouvelle ma demande à chaque réunion du C.A. car l’administration ne fait rien ; si bien que mandaté, malgré tout, par le C.A. j’organise une consultation des personnels (administration, enseignement, surveillance, service) en proposant les noms de Guy Môquet et de René-Guy Cadou. Le nom de RG Cadou fut retiré avant la consultation, parce que des établissements scolaires du département portaient déjà ce nom.
Pour brouiller les pistes, le Proviseur avance le nom de Max Schmidt (premier Recteur de la nouvelle Université nantaise ) Les résultats donnent 112 voix pour Guy Môquet et 4 pour Max Schmidt. Le 24 janvier 1975, par 26 voix sur 32 votants, le C.A. émet le voeu que le nom de Guy Môquet soit attribué au Lycée de Châteaubriant.
Ce voeu n’est pas du goût de tout le monde. Sous la férule vigilante du maire de l’époque, le conseil municipal outrepasse ses attributions et décide que le Lycée s’appellera Jean Moulin. Or, pour un lycée, la décision appartient au préfet sur proposition du Recteur et le 20 avril 1977 le préfet prend un arrêté donnant officiellement le nom de Guy Môquet au Lycée de Châteaubriant. Le 21 octobre 1977, en présence des autorités officielles, l’ancien député Prosper Môquet assiste à l’inauguration officielle du Lycée portant le nom de son fils. Il a fallu 3 ans d’efforts pour arriver à ce résultat qui, théoriquement, ne présentait aucun problème.
Quelques années plus tard, à une réunion du C.A. du Lycée d’enseignement professionnel qui est devenu autonome, Louis Nizon qui m’a considérablement aidé dans mes actions antérieures entreprend la même démarche. Il propose le nom d’Emile David. Quel magnifique symbole ! Le nom d’un jeune lycéen, 17 ans, pour le Lycée d’enseignement général ; le nom d’un jeune ouvrier nantais, 19 ans, pour le Lycée d’enseignement professionnel. Tous les deux fusillés à la Sablière.
La veille du scrutin le vote semble acquis mais pour des raisons mystérieuses (pression ? manipulation ?) et parce que cela déplaît en haut lieu, le Proviseur réussit, au tout dernier moment, à retourner les intentions de vote des élèves et c’est le nom du candidat choisi par lui qui sort vainqueur des urnes : Etienne Lenoir, un ingénieur belge qui n’a jamais mis les pieds à Châteaubriant. Pourquoi pas Bernard Palissy ou Denis Papin ? Quelle aberration ! Peut-être qu’en 2011 le résultat aurait été différent.
En effet les choses ont changé. Localement, la municipalité, de droite comme en 1975, vient de donner le nom de Guy Môquet au nouveau gymnase de la ville. Je crois rêver mais c’est très bien ainsi. Depuis qu’en 2007, pour des raisons qui lui appartiennent, N. Sarkozy a lancé le nom de Guy Môquet, les gens de droite trou-
vent ce lycéen fréquentable. Ils en font même un héros national. Pour se racheter peut être, ils ont plutôt tendance à en faire des tonnes. La lecture obligatoire de la lettre de Guy Môquet à tous les lycéens de France au début de l’année scolaire en est un exemple. Cette obligation de service a soulevé des controverses et des polémiques parmi les profs et les historiens à propos du devoir de mémoire et de la vérité historique.
L’exploitation de cette lettre relève du cynisme quand elle est faite à des fins électorales et aussi d’une ridicule servilité quand, devant les caméras, lecture en est faite aux joueurs de l’équipe de France de rugby avant un certain match France-Argentine.
méditons sur l’exemple qu’ils nous donnent par leur sacrifice mais ne tuons pas une deuxième fois ces héros de la Résistance en utilisant leur figure pour des causes qui n’étaient pas les leurs.
[Ndlr : la Région Pays de Loire va entreprendre prochainement la réfection des deux lycées qui n’en feront bientôt plus qu’un. Espérons que le nom de « Guy Môquet » ne sera pas jeté avec les gravats des démolitions.]