Ecrit le 14 mars 2012
Quelles agricultures pour nourrir durablement tout le monde ?
Voilà , les quatre idées développées par Marc Dufumier lors de la conférence du 8 mars 2012 à Châteaubriant. Si vous n’y êtes pas venus, c’est bien dommage pour vous ! L’homme est chaleureux, enthousiaste, convaincu et convaincant !
Les enjeux
Selon Marc Dufumier :
- 1. Il s’agit de pouvoir nourrir 9 milliards d’êtres humains en 2050.
- 2. Et bien sûrde pouvoir les nourrir correctement, sans hormones, sans dioxines, sans pesticides, avec un peu de viande, des œufs, du lait
- 3. il s’agit d’assurer un revenu décent aux agriculteurs, pour qu’ils puissent vivre de leur travail. En effet, à chaque fois qu’une exploitation disparaît, c’est du chômage que l’on crée !
- 4. Il s’agit aussi de produire une grande quantité de protéines végétales, sachant qu’il faut 3 à 10 kcal de protéines végétales pour produire une kcal de protéines animales.
- 5. Il faudra aussi produire des matières premières pour l’industrie : plus le prix des carburants fossiles monte et plus il y aura une demande de produits végétaux pour produire de l’éthanol et autres agro-carburants.
- 6. Et avec tout ca, enrayer l’exode rural. Celui-ci se produit sous le poids de la pauvreté (quitte à construire des bidonvilles aux portes des cités).
- 7. Et ne pas créer de dommages au cadre de vie.
- 8. Et penser aux générations futures (sans pollution des nappes phréatiques, sans salinisation des sols, sans destruction des insectes pollinisateurs)
Il ne s’agit pas de choisir dans les huit points précédents, il faut tout faire à la fois. Or le contexte actuel est défavorable !
Contexte défavorable
Le contexte actuel c’est :
- 1. le réchauffement climatique : on n’en est qu’au début. On nous annonce une élévation moyenne des températures de 2°C avec augmentation de la fréquence et de l’intensité des sécheresses, cyclones et autres perturbations.
- 2. L’extension des villes sur les plus belles terres agricoles.
- 3. La raréfaction de nombreuses ressources (énergies fossiles, phosphates) et l’accroissement de leur coût, à tel point qu’il va bien falloir diminuer leur utilisation
- 4. et puis il y a des mouvements migratoires de plus en plus massifs (exode rural, migrations internationales, fronts pionniers) : c’est la pauvreté qui pousse ces populations à partir, pour fuir la faim.
Le réchauffement climatique est lié à la production de gaz à effet de serre.
- 1. Celui dont on parle le plus, c’est le gaz carbonique (dioxyde de carbone).
- 2. Mais il y a aussi le méthane, 28 à 30 fois plus réchauffant que le gaz carbonique. Ce méthane est produit par la décomposition des matières en fumier et par la rumination des bovins (ceux-ci sont responsables de plus de 70 % du méthane mondial) !
- 3. Et il y a enfin le protoxyde d’azote : ce gaz est 300 fois plus réchauffant que le gaz carbonique. En France, l’agriculture contribuerait à hauteur de 76 % aux émissions de N2O provenant essentiellement de la transformation des produits azotés (engrais, fumier, lisier, résidus de récolte) sur les terres agricoles.
Mettre fin à la faim
Sur 7 milliards d’humains dans le monde, 2 milliards souffrent de la faim, de malnutrition et/ou de carences. Il faut 200 kg de céréales par an et par habitant pour nourrir les êtres humains. Or la production mondiale est de 335 kg/an/hab. Alors pourquoi les gens ont-ils faim ? Parce qu’ils sont pauvres.
Et pourtant la plupart du temps, ce sont des paysans, ils cultivent leurs terres mais la productivité de leur travail est trop faible. Sur 1,33 millions d’exploitants agricoles dans le monde, 800 millions exploitent avec des outils rudimentaires (houe, arrosoir), 500 millions utilisent la traction animale et 30 millions sont très mécanisés. Les écarts de production sont énormes, de 1 à 200 :
un producteur de Casamance produit 0,5 tonne/actif et par an. Sur cette production il doit prendre une partie pour nourrir sa famille, une partie pour exporter (et gagner quelque argent), une partie pour s’habiller, se soigner.
un producteur de Louisiane produit 100 tonnes par actif et par an !
Dans les pays riches, nous gaspillons. Et les aliments qui auraient pu suffire à subvenir aux besoins des pauvres, nous les utilisons pour nourrir nos cochons ou pour faire tourner les moteurs de nos véhicules.
Oui mais, nous, dans les pays riches, nous prétendons être généreux ! Nous offrons une aide alimentaire à ceux qui meurent de faim ! Marc Dufumier explique qu’il faut cesser d’exporter ainsi nos surplus alimentaires, car cette « aide », exportée à vil prix, vient concurrencer les productions locales et ruine les paysans locaux, les condamnant à mourir de faim ou à émigrer !
La France exporte des céréales mais importe des protéagineux destinés à l’alimentation animale (tourteaux de soja) ou humaine (lentilles, haricots, fèves, pois chiches). Ce n’est pas raisonnable, dit Marc Dufumier qui plaide pour un changement de nos productions (davantage de produits vivriers et de céréales dans les pays du Sud, moins de céréales et plus de protéagineux dans les pays du Nord) : un changement de nos pratiques commerciales (privilégier les circuits courts) et un changement de nos pratiques agricoles. « Rediversifions nos productions : des porcs en Beauce et des céréales en Bretagne »
Pas de soleil à terre
Marc Dufumier explique qu’il faut faire le plus grand usage de l’énergie solaire et du gaz carbonique de l’air. « Que pas un rayon de soleil ne tombe à terre, sans que son énergie n’ait été utilisée pour la photosynthèse » dit-il en demandant que la terre soit toujours couverte de végétation, que les eaux s’infiltrent au maximum dans les sols et que les haies protègent les plantes des vents desséchants. « Il est nécessaire de cultiver des légumineuses en rotation ou en association avec les céréales, de réconcilier agriculture et élevage, de reconstituer l’humus des sols, de favoriser les champignons micorhyziens ».
Dans son dernier livre « Famine au Sud, Malbouffe au Nord », Marc Dufumier parle d’agro-écologie « intensive » faisant un usage massif des ressources naturelles renouvelables ou inépuisables. Il plaide pour une agriculture paysanne, « des gens vivant au cœur de leurs exploitations, connaissant leurs terroirs, responsables de leurs actes, sachant s’adapter aux conditions changeantes de leur environnement ». Pour les pays du Sud, « c’est à l’Etat d’intervenir pour équiper les paysans, en commençant par investir dans les infrastructures essentielles à la hausse des rendements, à la conservation des récoltes et à la commercialisation ».
En 2050 l’agriculture bio peut nourrir la planète. « Le bio n’est pas destiné à rester une alimentation pour privilégiés. C’est une opportunité pour le Nord et la voie la plus sûre pour que le Sud puisse enfin mettre fin à la faim » conclut M. Dufumier.