Accueil > Thèmes généraux > Sous-développement, famine > Marc Dufumier, le CCFD et l’espoir
Ecrit le 17 février 2016
4 février 2016 : une soirée du CCFD (Comité Catholique contre la Faim et pour le développement). On n’y a pas du tout parlé de religion. Ni de Notre-Dame des Landes non plus, même si l’invité a fait des allusions aux « aéroports » en général ! Thème de la soirée : « Terres en jeu » ; invité : Marc Dufumier, ingénieur agronome, auteur du livre « 50 idées reçues sur l’agriculture et l’alimentation »
Voir :
Il a réalisé de nombreuses missions d’expertise dans plusieurs pays en voie de développement
Question du soir : la terre va-t-elle rester un bien commun ? M. Dufumier répond : « Non, depuis très longtemps » et il explique : un bien commun est un bien mis en valeur en commun. La terre a été privatisée peu à peu, qu’il s’agisse de petits propriétaires ou de pays se cernant de frontières. Les guerres ont souvent été des conflits liés aux frontières. On le voit bien à notre époque : « vous n’avez pas la nationalité, rentrez chez vous ! » alors que, de tout temps, à chaque crise, les peuples essaient d’aller vivre ailleurs.
La tragédie des communs
La propriété privée s’achète, se vend, se loue, se met en gage, se clôture. En Afrique, où il reste de nombreuses terres vierges, les Etats et les Chefs coûtumiers se répartissent les terres, faisant fi du droit foncier coûtumier.
La terre est inégalement répartie :
– il y a les gens sans terre
– il y a les propriétaires de petites surfaces
– il y a les grandes extensions de terres, qui oublient de créer de l’emploi.
L’accaparement du foncier se fait par l’invasion (voir Israë l) ou par l’achat. La crise agricole actuelle conduit à une concentration foncière.
La solution : les biens « communaux » : forêts et pâturages plus ou moins libres d’accès ? Non plus, c’est une fausse idée, en raison d’une inégalité entre les utilisateurs. Les uns y mettent 2-3 vaches, les autres y mettent 50 vaches, la terre est surexploitée et bientôt ne pourra plus nourrir correctement une seule vache. C’est ce qu’on appelle « la tragédie des communs », tant que les communautés ne s’organisent pas pour établir un équilibre entre leur profit personnel et la nécessité de préserver les ressources à long terme. « La même tragédie se prépare avec d’autres ressources naturelles, par exemple le bois et l’eau, mais aussi l’air ».
Les crises provoquées
Marc Dufumier estime que, dans les pays européens, avant 2007-2008, il y avait excédent de nourriture, d’où l’obligation, faite aux agriculteurs, de laisser des terres en jachère. Mais les stocks mondiaux se sont réduits à trois fois rien. La pénurie est possible, surtout si la production est affectées par les conditions climatiques (sécheresse persistante en été, trop d’eau en hiver). Le commerce mondial se fait à coups de marchés à terme : banques, fonds de placement, caisses de retraites, hedge funds, fonds indiciels, investisseurs institutionnels... utilisent le blé, le soja ou le maïs comme de simples actifs financiers, ils achètent, ils revendent de façon à augmenter leurs profits.
Tant pis si la volatilité des prix est une catastrophe pour les paysans. Tant pis si les peuples ne mangent pas à leur faim. Certains pays, le Brésil par exemple, produisent massivement du soja pour l’alimentation du bétail des pays européens. Mais 13.6 millions de Brésiliens souffraient de la faim en 2012. L’Indonésie est gros producteur d’huile de palme et d’agrocarburants. Seules quelques sociétés y contrôlent toute l’industrie, et les zones d’exploitation atteignent 100 000 ha. La concurrence pour l’utilisation de la terre occasionne des conflits de propriété mettant en évidence l’inégalité du pouvoir de négociation entre les compagnies d’huile et les villageois.
« L’alimentation de nos animaux mange les terres arables. Les agrocarburants sont les moteurs de l’accaparement des terres » a dit Marc Dufumier. Allons-nous manquer de terres ? « Non, si nous sommes capables de gérer de façon intelligente, techniquement c’est possible » dit-il encore. Finalement cela résulte des choix politiques effectués ! « La cause première est le libre-échange. C’est comme de faire une course à pieds avec une voiture formule 1. Qui arrivera le premier ? Et qui percevra une subvention ? »
Richesse et protection
« La sol n’est qu’une partie d’un éco-système. L’énergie alimentaire nous vient de l’énergie solaire. Le carbone des hydrates de carbone (sucre, amidon, huiles, cellulose) nous vient du gaz carbonique et celui-ci, le fameux CO2, est en excès dans l’atmosphère. L’azote des protéines nous vient de l’air (l’air contient 79 % d’azote). Seuls les éléments minéraux (phosphore, potassium, calcium, oligo-éléments) viennent directement des sols » explique Marc Dufumier en répétant : « aucun rayon de soleil ne devrait tomber sur une terre nue » : c’est le végétal qui ’’injecte’’ dans l’écosystème, via la photosynthèse, l’énergie (inépuisable et gratuite) qui permet la production infinie de matière organique et anime finalement toutes les formes de vie existantes. Il faut :
– pratiquer les associations culturales avec couverture végétale permanente avec des plantes qui transpirent
– favoriser l’infiltration et la rétention d’eau
– reconstituer l’humus des sols
Ces principes sont ceux de l’agroforestrerie, en rupture avec le mode de production actuel. Marc Dufumier avait été sollicité pour une conférence sur l’agrobiologie dans un établissement scolaire des Yvelines. La conférence fut annulée au dernier moment, sur pression d’un responsable de la FNSEA (vous savez, la fédération Nuisible des Syndicats d’Exploitants Agricoles). En France, une grande partie des sols cultivés est dans un état de dégradation avancée, ou en passe de l’être. Les techniques agricoles de travail du sol, de chaulage, d’irrigation ou d’apport d’engrais chimiques entraînent inévitablement, à plus ou moins long terme, une perte de fertilité.
légumineuses
Marc Dufumier recommande d’utiliser des légumineuses parce qu’elles ont la capacité de fixer de l’azote permettant d’améliorer la fertilité des sols et d’augmenter la productivité des terres agricoles. Très économes en eau ces plantes sont un allié inattendu contre le changement climatique.
Pour 1kg de Dal Indien, il faut 50 litres d’eau. Pour 1kg de bœuf il faut 13 000 litres d’eau. Les légumineuses peuvent être conservées pendant des mois sans perdre leur haute valeur nutritionnelle augmentant ainsi la disponibilité alimentaire entre les récoltes.
Marc Dufumier souhaite aussi réconcilier l’agriculture et l’élevage car cette dernière activité permet de fabriquer du fumier et du compost. Bien sûrelle produit aussi des gaz à effet de serre, mais « le principal contributeur aux gaz à effet de serre est le protoxyde d’azote dû aux engrais azotés utilisés dans les cultures céréalières ». Et le protoxyde d’azote a un pouvoir de réchauffement global 310 fois supérieur à celui du CO2.
Marc Dufumier plaide aussi pour la plantation d’arbres et d’arbustes dans les champs et en bordure. « Le pommier dans la prairie » et bien sûrpour la production bio : « le passage au bio diminue les rendements mais coûte moins cher en intrants ».
Finalement, un exposé ’’noir’’ des pratiques actuelles, mais en même temps un message d’espoir : « l’unité paysans-consommateurs-environnementalistes peut faire échouer les projets nocifs. Il faut unir nos combats, mais sans sectarisme, sans anathème contre ceux qui divergent un peu de nos conceptions. Je crois que les choses peuvent basculer, mais quand ? »
BP