Ecrit le 13 février 2013
Glissade lente vers l’enfer
Si l’on consulte n’importe quel dictionnaire, même récent, la définition reste très pudique : temps passé sans travail, inactivité forcée . Cela sonne comme l’ancienne cuillerée d’huile de foie de morue à avaler, une mauvaise purge, un petit mauvais moment à passer, court, qui ne laissera aucune trace ni souvenir. Las, comme c’est faux.
Monsieur Yves DANIEL, notre député de la 6e circonscription, a présenté ses voeux aux élus samedi 02/02 à Abbaretz. Dans son style souvent percutant, il a su trouver les justes mots pour redéfinir et donner de la profondeur au statut du demandeur d’emploi : « ... parce que si on ne travaille pas, on n’existe pas. »
Le système français généreux ?
Si j’en crois les chiffres de comparaison entre nations régulièrement publiés (que je vous épargnerai), nous n’avons pas à rougir de notre système d’indemnisation géré par l’UNEDIC (Union Nationale pour l’Emploi Dans l’Industrie et le Commerce, notre Assurance Chômage, association loi 1901, en gestion paritaire). C’est vrai pour les indemnisations et allocations, que ce soit pour les montants, la durée et la dégressivité. Certes, nul système n’est parfait,pour telle ou telle situation particulière. Mais la critique est bien plus facile que la proposition. Ici et là , on entend quelques voix encore timides plaider pour un plafonnement plus sévère en cas d’indemnisation de salaires élevés, de relèvement de l’allocation ASS (Allocation Spécifique de Solidarité). Pourquoi pas ? Comment survivre avec 475,5 €/mois pour un(e) célibataire ? Mais ce ne sont là que de petits ajustements à la marge, aux 2 extrêmes, dont il ne faut espérer aucun « miracle ».
La maladie qui gangrène notre Assurance Chômage est bien plus grave, bien plus insidieuse, quoique peu claironnée. Elle n’est tout simplement pas durable à brève échéance. Que se passera t-il quand des chômeurs verront d’abord arriver leur allocation avec de plus en plus de retard sur leur compte, puis ne seront plus ou mal indemnisés ? Nous entendons tous les jours l’annonce de nouveaux plans de licenciement, de faillite d’entreprises plus ou moins importantes en effectif, en France ou près de chez nous. Voici quelques chiffres à sérieusement méditer :
Ci-dessous Comptes UNEDIC, source Ouest-France 15/01/13
légende :
Année : ° = estimé, °° = prévu
Rec.-dép. = Recettes : dépenses
Endettement : en cumul arrondi
Malgré toutes les bonnes intentions et incantations de notre Gouvernement, je ne me risquerai pas sur l’horizon 2014 et encore moins sur celui de 2020 !
La faute à la crise et à sa conséquence directe nommée croissance molle ? Oui, mais en partie seulement. La raison fondamentale de la faillite prévisible de notre Assurance Chômage, comme dans tous les pays développés, est que ce système est basé sur un axiome (une hypothèse) gravé dans la pierre de l’économiste moyen : une croissance minimale de 2,3 à 2,6 % par an, et ceci à l’infini. Il a fait ses preuves de juste soutien jusqu’Ã mi-2009, bon an mal an. A l’époque, et même bien avant, quelques esprits inspirés mais non-écoutés posaient la question dérangeante : que se passe t-il si la croissance devient proche de zéro et, pire encore, si elle devient négative (c’est alors de la décroissance) ? Sur un mode optimiste et aveuglé, nos dirigeants successifs, quelle que soit leur chapelle, ont gentiment éludé ce problème proprement inconcevable avec un sourire condescendant. Sur l’autel du sacro-saint profit, la main d’œuvre, donc l’emploi, est devenu la variable d’ajustement par nature. La robotisation (parfois justifiée) à outrance puis la délocalisation, la mondialisation et l’optimisation fiscale (quel terme hypocrite !), entre autres, ont rajouté une couche.
Mais la Gouvernance du monde a changé de mains. Nous avons énormément de mal à comprendre ce total et imprévu (!) bouleversement. Nous avons largement abusé de la vie à crédit. La crise (principalement de confiance) nous oblige non seulement à limiter notre endettement (3 % du P.I.B., la règle d’or) mais aussi à le rembourser à un rythme plus soutenu (et non prévu) en y apportant des garanties (FMI, agences de notation, ).
vécu et Devenir du Chômeur
Mille pardons, je voulais dire demandeur d’emploi ou plutôt offreur de compétences. Averti(e) précédemment lors d’un entretien préalable au licenciement, où il(elle) s’est senti bien seul, il a reçu le courrier officiel annonçant la rupture de son contrat de travail.
Mettons nous dans sa peau, en empathie, puisqu’il se sent tout nu. C’est un premier coup, il se voit dépouillé de sa raison de vivre et du confort de sa fiche de paie. De sa tâche habituelle. Son premier instinct est de cacher son infortune, parfois à sa propre famille. Le sommeil se dégrade, l’appétit est fuyant, il est plus irritable. Mais il reste confiant dans ses compétences quelque soit son âge. Ne plus quitter le domicile à heures régulières le perturbe plus que tout. C’est ce vide qui est le plus douloureux. C’est comme l’amputation d’un membre que le cerveau ne veut pas reconnaître : des flashs de vie passée, comme des picotements, reviennent inlassablement à sa mémoire.
Une fois ce choc surmonté, il s’ébroue comme un chien sortant de l’eau. Alors commence le laborieux parcours administratif, pas si bien balisé que l’on croit.
D’abord direction l’agence Pôle-Emploi la plus proche pour retirer un dossier d’inscription en vue de régulariser sa situation, passage obligé surtout si une indemnisation-allocation est possible. Après avoir rempli ce dossier et joint ses multiples photocopies (il n’est pas rare qu’une pièce manquante fasse tout reprendre à zéro), on attend fébrilement ce fameux premier entretien, si important pour la suite. Le délai varie. Puis il faut impérativement rentrer dans les cases à cocher (ex ::un tailleur de pierre sera forcément déclaré maçon, faute de « bonne case », alors que ces 2 métiers n’ont strictement rien à voir). Et puis encore des dossiers, toujours avec son bon poids de photocopies, pour la CPAM , la CAF, et que sais-je encore selon les situations.
A ce stade, la sensation est de rentrer dans un monde mal maîtrisé. On pense à la maison qu’il faut finir de payer ou au loyer, à la scolarité des enfants, aux habituelles vacances, à tant de projets de vie formulés et qui risquent d’avorter. Mais le moral reste bon. On actualise son C.V., on guette les offres d’emploi selon son réseau, On dépose des candidatures à tour de bras, avec le ferme espoir d’être convoqué pour entretien et de décrocher le job. Ça marche vite pour certains, ça traîne pour d’autres.
Le temps passe, la confiance en soi mollit. Après 3 à 4 mois, on s’aperçoit enfin que l’on reçoit au mieux et péniblement une réponse (négative ou positive) pour 6 à 7 C.V. envoyés. Alors vient la période du doute. De la perte de confiance en soi déjà entamée, on passe à la perte de sa dignité et de sa propre estime. Les voisins s’écartent de vous, les amis se manifestent moins, on se sent mal, isolé. Coléreux même. L’allocation devient dégressive. On abaisse la voile sur le budget. Les enfants émettent des signaux d’alarme devant un déménagement possible, la perte de leurs amis et de leurs repères connus ou tout simplement pour un vêtement tant désiré mais devenu inaccessible. Et ça, c’est terrible, tant pour l’enfant que pour les parents, surtout si ça frôle la méchante ironie ou l’insulte trop spontanée. Le foyer est ébranlé, le compte en banque diminue, les factures sont retardées, la spirale guette. Le chômage pourrit l’ambiance La destruction mentale se poursuit.
Pôle-Emploi et services
Pôle-Emploi, né de la fusion de l’Anpe et de l’Assedic depuis le 1er janvier 2009 (3 ans déjà !) n’a pas encore digéré ni maîtrisé son immense tâche, qui s’alourdit de mois en mois. Ce nouvel organisme encore en « rodage » (depuis le temps !) regorge sans doute de bonnes volontés et de compétences. Mais de nouvelle organisation en nouvelle réorganisation, les échos restent médiocres sur la qualité de soutien apporté.
Pour joindre Pôle-Emploi, le chômeur a le fabuleux choix entre trois moyens :
1- il veut ou peut utiliser ses jambes ou autre moyen de locomotion pour se rendre à l’agence. Il s’en retournera après avoir déposé l’objet de sa visite à l’Accueil, avec promesse d’être tenu au courant. Quand ? : dés que possible ! Si c’est jouable en ville, c’est beaucoup plus compliqué en rase campagne ;
2- s’il possède une ligne téléphonique, impossible de contacter directement son agence ou son référent. Le N° 3949 s’impose. Après avoir franchi le barrage du robot-répondeur, puis un un délai variable (prévoir pistaches à portée de main), il obtient parfois une voix impersonnelle (mais où est donc cette personne ? mystère) qui promet de transmettre le message. Il raccroche sans garantie de fiabilité.
3- pour ceux possédant un accès à l’Internet, le site dédié à Pôle Emploi est complet quoique rigide (encore « rentrer » dans les cases existantes). Mais c’est une machine déshumanisée, non-interactive.
Les rapports humains du demandeur d’emploi avec Pôle-Emploi Sont souvent sous tension, et surtout proprement déshumanisés à outrance. Disponibilité et réactivité n’appartiennent pas (encore ?) à leur bible.
Il est bien naturel que le chômeur ait des devoirs, même s’il a sa dose de soucis à régler par ailleurs. Les principaux sont l’actualisation mensuelle et la présence obligatoire aux convocations d’entretiens soit à l’Agence, soit par téléphone. Pour autant, Pôle-Emploi reste très autoritaire et suspicieux face à son public perturbé et fragilisé. Tout manquement enclenche systématiquement une procédure de radiation pure et simple. Si elle va au bout, c’est 2 mois d’allocation perdus, le temps de se réinscrire. En 2011, il y a eu 41 000 radiations prononcées en France, dont 15 % au motif d’absence. M. Jean-Louis Walter, le médiateur de Pôle-Emploi, vient de préconiser (30/01) plus de tact et de souplesse. Que Dieu, s’il existe, veuille l’entendre.
Chaises musicales
Dans un lourd contexte de destruction d’emploi chacun(e) doit se battre avec ses propres armes pour recouvrer un contrat de travail. Il n’y a pas que des bonnes nouvelles et il faut faire feu de tout bois. Et le temps qui passe est l’ennemi n°1.
Oui, le chômage est terrifiant, destructeur et tueur. Tueur d’avenir, d’espoir, de lisibilité de l’horizon. Tueur de son estime de soi, de son habituel paysage sociétal, de ses repères. Le découragement guette, l’isolement est au bout de la rue.
Je reste pensif et mal à l’aise sur deux faits différents et pourtant reliés : une frange d’emplois reste non-pourvue faute de candidat ; notre Assemblée Nationale « gâche » une bonne semaine (voire deux) de travail à minima pour s’étriller sur la définition du mariage civil. Pourquoi dis-je ça ? Nos voisins anglais viennent tout juste d’adopter un texte à peu près similaire : ça a demandé seulement un après-midi aux députés et à la chambre des Lords. La compétitivité commence par nos Elus.
Signé : Pascal,de Blain
Les chiffres du chômage dans la zone d’emploi de Châteaubriant sont consultables ici.
Voir aussi un tableau récapitulatif de l’évolution du chômage