date 1999 ou 2000
Les travailleurs pauvres
Des organismes publics imaginent les solutions possibles de politique économique pour lutter contre le phénomène des travailleurs pauvres. Ils mettent en garde contre le danger d’un glissement de la pauvreté vers la précarité.
En France, environ 15 % des salariés se trouvent dans la zone des bas salaires, selon la Dares, soit moitié moins qu’aux Etats-Unis. Le creusement des inégalités de revenus observé depuis quelques années se double d’un phénomène plus inquiétant encore : le développement rapide du nombre de travailleurs pauvres, qu’on croyait réservé aux économies anglo-saxonnes : il concerne déjà en France un salarié sur sept (15 %). C’est certes deux fois moins qu’aux Etats-Unis où 30 % des salariés gagnent moins de deux tiers du salaire médian.Mais, contrairement à ce que l’on observe de l’autre côté de l’Atlantique où cette proportion est relativement stable depuis une vingtaine d’années, elle a « notablement » progressé en France.
Les femmes, les jeunes ...
En raison du gonflement de la catégorie des « très bas salaires », ces salariés pauvres concernent les mêmes catégories de personnes : les femmes, les jeunes et, en général, les personnes les moins qualifiées et les salariés à temps partiel : « plus des trois quarts des emplois à bas salaire sont des emplois à temps partiel en France, contre à peine la moitié aux Etats-Unis », souligne la Dares.
... et les chômeurs
La structure des actifs pauvres est également assez différente d’un pays à l’autre. Le risque de pauvreté concerne davantage les chômeurs en France qu’aux Etats-Unis. Les chômeurs, qui sont des actifs à la recherche d’un emploi, représentent ainsi 44,2 % des actifs pauvres en France contre 16,9 % aux Etats-Unis. Et on ose nous dire qu’en France les chômeurs sont trop gâtés !Le taux de pauvreté est, aux Etats-Unis, 2,5 fois plus élevé qu’en France en raison essentiellement de la situation de grande pauvreté dans laquelle peuvent se trouver les inactifs américains. (le « seuil de pauvreté » correspond à la moitié du salaire médian du pays). (étude de la DARES, qui dépend du ministère du Travail et de la solidarité)
Chez nos voisins
En Italie, plus de 7 millions d’habitants vivent en dessous du seuil de pauvreté. 45 % des diplômés universitaires et 35 % des bacheliers sont encore au chômage trois ans après la fin de leurs études. Près de 40 % des familles pauvres comptent un retraité et dans 75 % des cas, la pension du retraité représente plus de la moitié du revenu familial, selon le rapport annuel de l’Institut National des Statistiques Italien.(Istat).Selon l’Istat, seulement 162 000 postes de travail ont été créés en six ans, et les contrats à temps partiel ont augmenté de 45 % en 1999. L’Italie qui, jusqu’Ã maintenant, considérait la femme au foyer comme un fait naturel, considère qu’elle doit maintenant participer à la vie active. Rappelons qu’une étude a prouvé que, en France, le travail de la femme, en augmentant la richesse globale des familles, a contribué au maintien de la croissance et évité une situation du chômage plus importante que celle que nous avons connue dans un passé récent.
En Amérique, on les appelle des « working poor » : des travailleurs pauvres Lundi 29 mai s’est tenue, à l’université d’Evry-Val d’Essonne, le premier colloque sur ce thème, pour cerner une réalité encore mal connue en France, et explorer les pistes possibles de politique économique pour lutter contre ce phénomène.D’abord, qu’est-ce qu’un travailleur pauvre ? C’est « un individu vivant dans un ménage pauvre, ayant été actif au moins six mois au cours des douze derniers mois ». Et un « ménage pauvre » correspond à 80 % du SMIC pour une personne seule.
En travaillant ils y perdent
Il semble qu’il y a de plus en plus de travailleurs pauvres, en France, pour deux raisons : le travail à temps partiel et le travail précaire (CDD et intérim) Les politiques de l’emploi, notamment la réduction des charges sociales pour les embauches à temps partiel, ont contribué, depuis vingt ans, au développement de cette catégorie spécifique de travailleurs pauvres. . Paradoxe : comme l’ont mis en évidence des études de l’Insee sur le RMI, une proportion non négligeable de ces travailleurs pauvres acceptent un emploi, même s’ils y perdent financièrement. Or, « pour un célibataire au RMI, souligne Yannick L’Horty, il n’est jamais intéressant de reprendre un emploi d’une durée hebdomadaire inférieure à 10 heures 30 ». Ce n’est pas que le R.M.I soit trop élevé (2252 F par mois pour une personne seule), c’est que le travail trouvé est peu rémunérateur. Le travailleur pauvre n’est donc pas forcément un adepte de la « rationalité ». Bruno Van der Linden, de l’Université de Louvain, souligne que des contraintes non financières, comme le statut, la reconnaissance par la société ou par les autres membres du ménage, entrent en ligne de compte dans son acceptation d’un travail précaire et mal payé.
Plein emploi précaire
Depuis quelques temps, il est question d’un système d’allocation compensatrice de revenu (ACR) qui viendrait compléter les faibles revenus du travail. Les patrons y seraient favorables, à condition que ce soit la solidarité nationale qui paie. Mais les économistes font valoir que l’idée, louable en soi, « présente le risque de voir augmenter le nombre d’emplois précaires et à temps partiel. On déplacerait ainsi la trappe à pauvreté vers une trappe à précarité ». Le problème clé est celui de la norme d’emploi : est-il normal qu’il y ait des emplois qui ne permettent pas de vivre ? Il y aurait une contradiction entre l’objectif de plein emploi affiché aujourd’hui et la mise en place d’un système permanent visant à compenser le sous-emploi.
Ecrit le 27 avril 2005
Rapport Martin Hirsch -
21 avril 2005
Ce rapport propose 15 pistes pour sortir les enfants de la pauvreté : En voici une :
La nouvelle équation sociale : combiner les revenus du travail et les revenus de la solidarité
Le rapport interroge : « Comment pouvoir vivre dignement de son travail ? Un travail qui procure les moyens d’une existence décente ? Un travail qui permette d’envisager plus sereinement l’avenir de ses enfants ? »
La première condition est de rémunérer correctement le travail. C’est pourquoi le paramètre salarial est le premier paramètre de l’équation sociale.
Le rapport commente : " Les ressources des familles doivent donc pouvoir être liées au travail, ce qui impose, pour sortir de l’impasse actuelle, de rendre possible l’accès à l’emploi mais aussi de concevoir une nouvelle combinaison entre les revenus du travail et ceux de la solidarité, plus favorable que ce qu’elle est aujourd’hui.
L’idée n’est pas que les prestations se substituent au travail ou compensent l’impossibilité de la société de donner accès à un emploi dans des conditions compatibles avec les capacités et les contraintes de celles et ceux qui ont des enfants à élever " dit le rapport Hirsch.
Le rapport constate que : « le travail ne permet pas toujours de franchir le seuil de pauvreté. Dans de nombreuses situations, le retour à l’emploi s’accompagne d’une réduction des ressources de la famille »
Il est essentiel que le travail permette de ne pas être pauvre et de vivre dignement, sans avoir besoin de revenu de solidarité.
Le rapport propose une nouvelle prestation « le revenu de solidarité active, (RSA ) qui pourrait se substituer progressivement aux aides existantes »
Cette réforme qui peut rendre le travail plus rémunérateur ne dispense pas d’une politique de l’emploi qui rende le travail plus accessible.
Les constats
Les études sur cas types montrent qu’un allocataire du RMI perd du revenu quand il reprend un emploi à quart temps et n’en gagne pas à mi-temps :
– ï€ une reprise d’activité à quart temps au SMIC conduit presque toujours à de très faibles gains nets, très proches de zéro une fois la période d’intéressement terminée : ces montants sont insuffisants pour couvrir les éventuels frais associés à la reprise d’activité (quand on gagne 500 € par mois, on ne peut se permettre de perdre de l’argent !).
– ï€ La reprise d’activité à mi-temps procure 20 à 50€ à l’issue de la période d’intéressement. Les montants de la PPE (prime pour l’emploi) sont très peu significatifs (20 à 30€)
– ï€ Lorsque la reprise d’activité se fait à temps plein, la situation des ménages est sensiblement plus favorable notamment pour les couples. Mais ces gains cachent des situations contrastées : pour les couples bi-actifs, les 500€ de gains sont en partie neutralisés par la perte de la CMU complémentaire et, éventuellement, la nécessité d’avoir recours à des modes de garde des enfants. De même, le gain lié à une reprise d’activité au SMIC demeure faible pour les familles les moins nombreuses précédemment titulaires du RMI (une personne isolée ne gagne, tout compris, que 150 € par mois à terme si elle reprend une activité à temps plein).
Pour ce type d’emploi la PPE est plus significative (50 à 70€ par mois) quoiqu’elle ne compense pas la perte d’aide au logement très élevées sur cette catégorie.
La prise en compte de différents coûts montre ainsi qu’un allocataire du RMI perd souvent de l’argent quand il reprend un emploi, y compris à mi-temps. Le gain se transforme en perte si l’on prend en compte les aides facultatives et les frais engendrés par la reprise d’un travail. |
Ainsi la reprise d’une activité profes-sionnelle ne se traduit pas toujours pour les ménages par un accroissement du revenu disponible.
Tous les beaux messieurs-dames qui gagnent 4000, 5000 euros par mois, peuvent-ils comprendre ça ?
Poor workers :
travailleurs pauvres
Selon l’INSEE, il y avait 1,09 million de travailleurs pauvres en 1997 et 0,99 million en 2001 (au seuil à 50% du revenu médian).
Au seuil à 60% du revenu médian, les travailleurs pauvres sont au nombre de 2,08 millions en 1997 et de 1.97 million en 2001.
Les travailleurs pauvres sont relativement peu qualifiés : 34% d’entre eux sont dépourvus de diplôme. On voit toutefois que depuis 1997, la part des diplômés du supérieur pauvres s’accroît sensiblement (passant de 7% en 1997 à 9% en 2001).
Un tiers des travailleurs pauvres est ouvrier et cette proportion s’accroît de façon très notable (passant de 29% en 1997 à 33% à 2001), alors qu’au contraire la part des artisans et commerçants pauvres se réduit (passant de 16% à 10%). On s’étonnera ensuite de voir que les ouvriers poussent leurs enfants à éviter le travail manuel !
Par ailleurs, de plus en plus de travailleurs pauvres sont salariés, qu’ils soient en emploi continu pendant l’année (de 38% à 40%) ou de façon intermittente dans l’année (de 33% à 37%).
Enfin la pauvreté dans l’emploi est de plus en plus liée à la précarité de cet emploi.
La réforme proposée
– Les objectifs poursuivis
C’est la notion de travailleur pauvre qu’il est proposé de combattre dans notre pays, sans pour autant affaiblir la situation de ceux qui n’ont pas encore pu retrouver une activité professionnelle. . Selon le rapport Hirsch : « progressivement, si la politique économique et sociale permet d’améliorer la situation du marché de l’emploi, un tel mécanisme devrait permettre d’augmenter le taux d’activité et le niveau de vie des plus modestes ».
– ï€ Les revenus intégrés au revenu de solidarité active. Le rapport propose que la nouvelle prestation intègre toutes les sources de revenu
– . les minima sociaux (RMI, ASS, API) qu’il faut rebâtir afin qu’ils cessent d’être des allocations différentielles, se transformant en « maxima » sociaux pour toutes celles et tous ceux qui ne peuvent revenir à l’emploi ;
– . les aides fiscales, telle que la prime pour l’emploi, dont la conception et la mise en œuvre n’ont permis d’atteindre aucun des objectifs qui avaient présidé à sa création.
– . Pour les aides au logement, le rapport ne tranche pas.
Le RSA
Telle qu’elle est conçue, la nouvelle prestation (RSA : revenu de solidarité active) doit maintenir la situation existante pour les personnes sans activité et ne générer un gain que pour les ménages en activité. Le revenu de solidarité active pourrait être paramétré ainsi :
Pas de changement de revenu pour les ménages sans activité : les personnes qui n’ont aucun revenu du travail ne verraient pas leur situation se modifier ;
"cependant un mécanisme complé-mentaire devrait être mis en place
pour favoriser une activité, même à temps très partiel, de personnes durablement éloignées de l’emploi "
2) Un soutien à ceux qui sont aujourd’hui des travailleurs pauvres, de telle sorte qu’il ne soit pas possible, dans notre pays, à partir de l’équivalent d’un niveau d’activité à quart de temps pour une personne seule, de vivre sous le seuil de pauvreté défini à 60% du revenu médian.
Les revenus des familles seraient constitués de trois composants :
– - les revenus du travail, dépendant du salaire et du nombre d’heure de travail.
– - un revenu de solidarité active (RSA ) dont le montant varierait en fonction du revenu mensuel travaillé, selon la configuration familiale.
– - des prestations familiales qui, comme actuellement, dépendraient du nombre d’enfants (AF et CF).
4) Un système qui doit s’inscrire dans une politique de l’emploi dynamisée et qui sécurise contre le temps partiel contraint, le travail précaire ou discontinu
Le rapport insite sur le fait que cette proposition ne répond qu’Ã une partie du problème d’accès à l’emploi des personnes pauvres et doit être relayée par une politique active de promotion de l’emploi des personnes non qualifiées. « Cette politique ne doit pas conduire à déstructurer l’emploi par la promotion d’un temps partiel mal maîtrisé. Les modalités de pénalisation du temps partiel à très petite durée devraient être étudiées par le gouvernement, lorsque ce temps partiel ne s’inscrit pas dans un processus de réinsertion encadré. »
Pistes pour la gestion du nouveau dispositif
Le revenu de solidarité active, tel qu’il est envisagé dans le rapport, outre les simplifications importantes qu’il induit, présente deux caractéristiques princi-pales :
– d’une part la suppression des effets de seuil liés à la reprise d’un emploi,
– d’autre part la remise en clause des cloisons entre assistance et activité.
Retenir ce principe, c’est ouvrir de nouvelles perspectives :
Personnaliser les contrats aidés : les contrats aidés permettent de réduire le coût du travail pour des personnes éloignées de l’emploi ; mais ils offrent une rémunération limitée pour une durée de travail limitée ; conjugués avec le revenu de solidarité active, ils peuvent devenir une aide plus souple, véritablement conçue comme une amorce d’emploi stable ; avec le même montant de subvention moyen d’un contrat, il doit être possible d’aider davantage les premiers mois de retour à l’emploi ;
La même logique de combinaison entre revenu du travail et revenu de solidarité pourrait être adaptée à d’autres situations, comme celle des adultes handicapés, lorsqu’ils peuvent travailler à temps partiel.
Il ne serait pas choquant d’inclure dans les revenus soumis à l’impôt, et à un taux adapté, le revenu de solidarité active ce qui marquerait symboliquement le passage d’une logique d’assistance stigmatisante à une nouvelle logique, davantage tournée vers l’activité et le travail.
De même, les modalités de la soumission du RSA à des cotisations d’assurance vieillesse devraient être étudiées pour que la nouvelle prestation corrige l’effet du RMI de nourrir également la pauvreté aux grands âges.
RMI : revenu plafond
Le revenu minimum d’insertion est devenu la seule ressource d’un nombre considérable de ménages. Il est devenu un « revenu maximum » : le plancher est devenu plafond, pour la majorité des allocataires et tous ceux qui essaient d’en sortir sont pénalisés par des revenus très peu élevés.
C’est pour en tirer les conséquences que le rapport Hirsch propose qu’une prestation nouvelle vienne désormais s’y substituer. « Cette résolution est un élément clef de la stratégie proposée aux pouvoirs publics pour réduire d’un million le nombre d’enfants pauvres d’ici 15 ans »
coût de la mesure :
Les simulations donnent des résultats convergents, situant le coût de la mesure proposée dans une fourchette de 6 à 8 milliards d’euros. C’est beaucoup ?
Quelques références :
La dette publique atteint plus de 1.000 milliards d’euros en 2005, soit plus de 16.000 euros par Français
Pernod Ricard rachète Allied Domecq pour 10,7 milliards d’euros
Avec un rendement de 66,6 milliards d’euros en 2004, la Contribution sociale généralisée (CSG) est le deuxième impôt en France, après la TVA.
Souvenirs d’une fracture sociale
Le 17 février 1995, devant quelque 20.000 personnes rassemblées à la porte de Versailles, Jacques Chirac prononçait un discours résumant ses engagements en tant que candidat à l’élection présidentielle. Bilan, dix ans plus tard, de la construction de cette « France pour tous ».
FRACTURE SOCIALE
Les promesses :
« Je n’accepte pas de voir tant de jeunes au chômage. Je n’accepte pas la fatalité du chômage de longue durée (...) Je n’accepte pas de voir près d’un million de nos compatriotes contraints de vivre du RMI. Je n’accepte pas de voir l’exclusion de ces cadres approchant la cinquan-taine » et « je n’accepte pas de voir tant de nos compatriotes s’installer dans l’assistance », lançait J.Chirac
Le bilan :
De 11,6% en 1995, le taux de chômage a diminué de 2,9 points entre 1995 à 2002. Il est depuis reparti à la hausse, repassant le seuil des 10% de la population active en 2005.
Le nombre d’allocataires du Revenu minimum d’insertion (RMI), qui était de 946.000 en 1995, est passé à 1,068 million en 2002. Il atteint 1,22 million en 2004.
Seuls 37% des 55-64 ans occupaient un emploi en 2003.
Ecrit le 11 mai 2005
Rapport Hirsch
la santé dépend des revenus
« Au possible, nous sommes tenus » :Chargée par le Ministre des solidarités de travailler sur le thème « Familles, vulnérabilité, pauvreté », la commission, présidée par Martin Hirsch, a élaboré 15 résolutions de nature économique, familiale, sanitaire ou encore éducative et pour lesquelles les implications financières sont envisagées. On trouve, parmi les nombreuses mesures proposées, un objectif de réduction à zéro de la pauvreté des enfants et également la volonté de combiner les revenus du travail et les revenus de la solidarité avec la création d’un « revenu de solidarité active » (RSA ). (relire La Mée du 27.04.2005)
Voici ce qui concerne la santé :
Des inégalités croissantes
Les inégalités de revenu ont des retentissements sur la santé : la prise de conscience est très récente en France. Alors que certains de nos partenaires européens (notamment la Suède, les Pays-Bas et le Royaume-Uni) ont mis en place des programmes gouvernementaux ambitieux, la réflexion en France est balbutiante. Des études montrent que les inégalités face à la santé se creusent : les écarts d’espérance de vie entre cadres et ouvriers vont tendanciellement en s’accroissant depuis 30 ans.
La loi relative à la politique de santé publique du 9 août 2004 comporte 100 objectifs dont deux seulement parlent de « réduire les obstacles financiers à l’accès aux soins pour les personnes dont le niveau de revenu est un peu supérieur au seuil ouvrant droit à la CMU » et à « réduire les inégalités devant la maladie et la mort par une augmentation de l’espérance de vie des groupes confrontés aux situations précaires ».
Mais il est frappant que ces deux objectifs soient les seuls que le Parlement n’ait pas été en mesure de formuler de manière chiffrée.
Renforcer -encore-
l’accessibilité du système de soins
Une étude récente de l’IRDES (institut de recherche en économie de la santé) montre que le lien entre l’écart de mortalité et le niveau de revenu s’explique essentiellement par des inégalités dans la qualité des soins (plus que dans les difficultés d’accès proprement dîtes). Certes la Couverture Maladie Universelle Complémentaire (CMUC) a répondu à beaucoup de problèmes : ses bénéficiaires engagent des dépenses ambulatoires supérieures de 29 % à celles des personnes qui en sont dépourvues ; les études récentes de la DREES montrent que l’état de santé de ces personnes est significativement lié au délai depuis lequel ils en bénéficient : ceux qui sont bénéficiaires depuis deux ans sont deux fois plus nombreux à se déclarer en très bon état de santé (20%) que ceux qui ne sont bénéficiaires que depuis 1 an (10%).
Peut mieux faire
Mais la CMUC, qui concerne près de 5 millions de personnes, reste une démarche inaboutie : elle laisse encore de côté près de 3 millions de personnes, soit 5 % des Français, qui renoncent aux soins parce qu’ils ne disposent pas de complémentaire santé.
Il est bien connu que la création de la Couverture Maladie Universelle Complémentaire -CMUC- a engendré des effets de seuil. La loi de réforme de l’assurance maladie essaie de remédier à cette situation mais les premiers résultats sont décevants. Selon la Caisse nationale d’assurance maladie, sur les 2 millions de bénéficiaires potentiels de la mesure seuls 104 000 avaient fait valoir leur droit fin mars 2005. Le rapport Hirsch propose de réouvrir le dossier dans une double perspective :
– maintenir la couverture complémentaire, comme facultative,
– mais sans que des obstacles financiers contraignent les choix
Capital social
L’étude sur le cumul des inégalités sociales et inégalités de santé fait ressortir le poids du « capital social des individus » , de trois façons
– . Un effet « matrimonial » : une surmortalité des célibataires.
– . Un effet « parental » : les enfants dont un des parents a une consommation excessive d’alcool ont un risque 7 fois plus grand de devenir dépendants à l’alcool que les enfants de parents non consommateurs ; les enfants dont les deux parents fumaient quand ils étaient jeunes, ont 4 fois plus de risque de devenir fumeurs pendant l’adolescence et 2 fois plus si un seul fumait.
– . Un effet « quartier » : 17,2% des enfants sont en surcharge pondérale en Zone d’Éducation Prioritaire (ZEP) contre 13,3% dans les autres zones ; les enfants scolarisés en ZEP présentent 2 fois plus de dents cariées que les enfants hors ZEP.
Ces conclusions sont essentielles car elles mettent en évidence les déterminants sociaux de l’état de santé. Il faut donc insister sur deux points :
– 1 - Un programme national d’expérimentation pour la santé des enfants . La moitié des services de Protection Maternelle et Infantile (PMI) de France sont sous encadrés au regard des normes établies en 1989. De plus ces services n’ont pas la possibilité d’effectuer des actes curatifs. Ils ne concernent qu’un enfant de moins de 6 ans sur 10. Par ailleurs il existe un médecin scolaire pour 5510 élèves et une infirmière pour 1835 élèves et le service de promotion de la santé à l’école consacre 70% de son temps à effectuer des bilans de santé dont le suivi doit être réalisé en médecine de ville ou à l’hôpital. Que dire ainsi des dépistages de l’obésité, qui devraient concerner 13 % des élèves et restent presque toujours sans suite, car les médecins n’ont pas su ou pas pu faire la connexion avec un nutritionniste ? Rappelons aussi que l’effort d’éducation à la santé, conduit dans les établissements scolaires, montre un grand fossé, souligné par un récent rapport d’inspection, entre ses enjeux considérables et les moyens dont il dispose.
L’enjeu est donc bien de trouver les bonnes portes d’entrée pour dépenser plus précocement et plus préventivement en matière de santé. Cela passe par la mise en réseau des acteurs et exige une volonté locale.
Le rapport Hirsch propose la constitution de réseaux de praticiens qui accepteraient de libérer une partie de leur agenda pour assurer les suites des dépistages effectués par les médecins scolaires ou les PMI et de garantir le tiers payant aux familles défavorisées pour l’acquisition de lunettes et les soins dentaires (ce serait bien aussi de garantir le tiers payant pour les consultations médicales).
Loi des soins inversés
– 2 - Faire porter prioritairement l’effort de prévention dans les zones qui en ont le plus besoin : c’est l’orientation du rapport Hirsch.
Actuellement les Zones Urbaines Sensibles - ZUS - décrivent une sorte de « loi des soins inversés » : ce sont les territoires où les besoins sanitaires sont les plus forts et où l’offre de soins est la plus faible.
La réforme de l’assurance maladie (article 49 de la loi du 13 août 2004) a prévu la possibilité pour les Missions Régionales de Santé de définir des zones, rurales ou urbaines, de santé prioritaires, avec notamment des aides supplémentaires à la rémunération visant à faciliter l’installation des professionnels de santé libéraux dans ces zones.
Le découpage des zones ne doit pas répondre aux seules préoccupations d’organisation des soins (notamment de la permanence des soins) mais aussi à un véritable diagnostic de santé publique.
En particulier la définition de zones de santé pourrait être l’occasion d’encourager le développement de maisons de santé intégrant des démarches de soins et de prévention, voire, en zones rurales, des démarches médico-sociales.
Ces zones pourraient être un lieu privilégié pour développer certaines actions ciblées de dépistage, notamment du saturnisme et de l’obésité.
Ainsi le rapport Hirsch (relire aussi La Mée du 27 avril 2005) présente des propositions nouvelles, allant dans le sens d’un progrès social. Mais on n’entend déjà plus parler de ce rapport ...dérangeant ?
Ecrit le 10 août 2005 :
Vers l’explosion sociale ?
Ca pétera ah ah ah
Martin Hirsch, président de Emmaüs France, et Maître de Requêtes au Conseil d’Etat, déclare, dans un point de vue publié par Le Monde du 23 juillet : « Quand on fréquente le milieu des classes dirigeantes et celui des » sans-grade ", on ne peut être que frappé par un double désarroi, parfaitement symétrique :
– LÃ -haut, la France est décrite comme dans un état « préinsurrectionnel ». « N’est-ce pas que cela va exploser ? », dit-on dans les dîners. « Cela ne pourra pas durer longtemps comme cela ! », renchérit-on sur les terrasses. « Quand pensez-vous qu’aura lieu l’insurrection ? », interroge-t-on dans les couloirs des cabinets ministériels.
– Parmi les sans-grade, le sentiment prévaut que rien ne change, que les mêmes erreurs sont commises par les élites, où l’aveuglement règne. Ils s’étonnent de ce mélange de réflexe suicidaire et d’une immortalité qui fait penser aux séries de science-fiction : quoi qu’il arrive, on les retrouve toujours.
C’est d’ailleurs l’un des paradoxes de la situation politique française : nous sommes le pays dans lequel chaque élection depuis vingt ans aboutit à la défaite de ceux qui sont en place, mais où la classe politique se renouvelle le moins. Nous cumulons les inconvénients de l’instabilité avec ceux de la sclérose !
Il est curieux de voir ainsi les classes dirigeantes intérioriser aussi fortement le principe d’une insurrection, comme si elle était justifiée et méritée ! Il est aussi surprenant de voir l’indulgence du peuple et, finalement, sa faible mobilisation, signe d’une crainte plus que d’une confiance. Alors, plutôt que de prédire ou d’attendre le soulèvement, essayons de voir ce qui pourrait agir sur le climat et l’améliorer.
Inégalités hi hi hi
Premier constat : la question des inégalités a été évacuée du débat politique. Il ne suffit pas de s’indigner à grands cris, face à la « révélation » du montant des indemnités de départ d’un grand patron ou de gloser sur le concept de discrimination positive pour faire renaître le sentiment de justice. Il faut remettre la question des inégalités au cœur du débat politique.
Les inégalités sont inacceptables. Comment agir sur leurs causes et non pas simplement atténuer leurs effets ? On ne peut pas réformer un pays quand flotte un sentiment d’injustice ni être exigeant vis-Ã -vis de l’effort, sans convaincre que celui-ciestéquitablement réparti.
L’absence de discours structurant sur les inégalités accroît les frustrations et décrédibilise toute action réformatrice.
Les écarts d’espérance de vie entre catégories sociales sont forts en France et s’accentuent. Comment, dans ces conditions, retarder uniformément l’âge de la retraite ?
Quant à ce qui est reproché aux hauts revenus, ce n’est pas tant qu’ils sont hauts, c’est surtout qu’ils continuent à augmenter quand pauvreté et chômage s’aggravent.
précarité hé hé hé
Il ne suffit pas de dire qu’il y aurait d’un côté des personnes surprotégées qui feraient obstacle à toute réforme, favoriseraient les rigidités de la société, jalouses de leur statut, au détriment de tous les précaires. Ce discours sous-entend qu’automatiquement, un peu moins de protection pour les uns se traduirait par un peu plus de facilité et de stabilité pour les autres. Or, on constate au contraire une diffusion des phénomènes de précarité.
Notre fameux modèle social ! Qui peut prétendre de bonne foi que notre système social mérite ce qualificatif ? Nous avons simultanément des dépenses élevées, des déficits qui se creusent, un chômage haut, une pauvreté qui s’étend, et des inégalités qui ne s’atténuent pas.
résultat ? Toute somme supplémentaire investie dans notre dispositif ne provoque pas un gain réel de protection. Quant aux réformes, déclenchées au nom de l’efficacité, elles ne se traduisent pas par une maîtrise durable des dépenses, mais provoquent des inégalités supplémentaires, parfois insidieuses.
N’oublions pas que la réforme des retraites se fait précisément au moment où l’on voit remonter le nombre de ceux de plus de 60 ans qui vivent au-dessous du seuil de pauvreté.
Quant à la réforme de l’assurance-maladie, ses économies sont virtuelles, ses menaces sur l’égal accès aux soins sont sérieuses.
(Extraits des propos de Martin Hirsch)
Trois questions
Martin Hirsch, auteur d’un rapport publié en avril 2005 et dont on n’entend plus parler, pose trois questions, selon lui fondamentales.
Un : comment faire pour que le retour au travail se traduise systématiquement par un gain de revenus, sans pour autant diminuer la protection des chômeurs et des allocataires de minima sociaux ?
Deux : comment passer d’un système uniforme de médiocre compensation financière de l’exclusion à un accompagnement personnalisé et contractualisé des personnes en difficulté ?
Trois : comment faire en sorte que la notion de sécurité sociale professionnelle soit autre chose qu’un slogan mais connaisse un véritable contenu ?
En d’autres termes, existe-t-il une autre voie que l’accroissement des inégalités et la réduction des protections, même transitoires, pour faire redémarrer
la croissance et l’emploi ?
Mais pour pouvoir s’atteler à ces chantiers, encore faut-il des pouvoirs publics capables d’agir. On sous-estime leur faiblesse ! Car si la situation est si désespérante, c’est aussi parce qu’on a le sentiment que même les meilleures politiques, à les supposer conçues, ne pourraient pas être mises en œuvre. L’Etat est moins respecté, parce qu’il ne satisfait pas aux deux conditions qui inspirent le respect : la justice et l’efficacité. Incapacité à décider, peur de la concertation, impuissance masquée par des incantations vaines ou de la communication spectaculaire.
Fuite en avant
Participent du même phénomène les soupirs poussés au sommet de l’Etat - par les politiques comme par les hauts fonctionnaires - sur leur propre impuissance à faire bouger la machine et le malaise des hussards-grognards de la République, qu’ils soient enseignants ou travailleurs sociaux, confrontés quotidiennement à des situations graves auxquelles ils ont trop rarement le moyen d’apporter des solutions.
Prendre une décision aujourd’hui s’apparente à ouvrir un coffre muni de quatre serrures, avec quatre détenteurs de clés, jamais là au même moment. Par exemple, les conseils généraux ont des compétences en matière sociale, mais l’appareil statistique ne permet pas à un président de conseil général de connaître le nombre d’enfants pauvres dans son département. Autre exemple : le droit au logement opposable ne voit pas le jour, notamment parce qu’on ne saurait pas quelle collectivité désigner comme responsable.
D’où cette fuite en avant législative. La palme de l’année dernière revient à la loi qui a créé le revenu minimum d’activité : le nombre de députés qui l’ont votée est supérieur au nombre de personnes qui en ont bénéficié !
Aujourd’hui, la complexité est telle qu’il faudra bien, dans la même période, transformer drastiquement notre organisation administrative et s’attaquer aux problèmes de fond. Pour cela, on a besoin de politique.
C’est d’ailleurs une des leçons du 29 mai. On décrivait un désintérêt pour la politique ? Erreur de diagnostic ! Il existe un appétit énorme pour le débat politique, qui va de pair avec un mépris pour la discussion politicienne.
Chacun semble désormais attendre 2007 comme l’échéance de toutes les chances. Avec le risque d’un nouveau rendez-vous manqué s’il s’agit simplement de croire en l’homme providentiel, au motif qu’il a le verbe haut, ou de penser qu’un nouveau rejet d’une majorité sortante vaudrait adhésion à un projet calqué sur les revendications du moment.
.
Martin Hirsch
(extraits)
Pauvreté dans les Pays de Loire
Les nouveaux pauvres, aux USA, en 2010-20100302-[opinions]]